Faut-il encore polémiquer sur le RSA ?

par Sylvain Rakotoarison
lundi 15 mai 2023

« Il s'agit ni plus ni moins de fourguer aux employeurs un nouveau bataillon de salariés jetables. »

Cette déclaration ci-dessus n'est pas une réaction de 2023 sur la réforme du RSA (revenu de solidarité active) que compte présenter le gouvernement le mois prochain dans le cadre de son projet de loi qui vise à transformer Pôle Emploi en un nouvel organisme, France Travail, s'occupant de l'emploi mais aussi de la formation professionnelle. Non, cette déclaration date de septembre 2008, un article de la revue mensuelle qui revendique le communisme libertaire, "CQFD", en réaction à la réforme voulue par le Président Nicolas Sarkozy, la transformation du RMI en RSA mise en œuvre le 1er juin 2009 (loi n°2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion).

Comme on voit, les polémiques politiques sur le RSA ne sont pas nouvelles et continuent toujours à alimenter de manière souvent assez stérile le débat sur l'insertion et sur le chômage. J'avais déjà évoqué un sujet parallèle à propos de l'indemnisation des demandeurs d'emploi (qui s'est durcie ces dernières années) et s'il y a évidemment des abus, voire des fraudes, la grande majorité tant des demandeurs d'emploi que des bénéficiaires du RSA ne sont pas heureux de leur situation et préféreraient avoir un (véritable) emploi et est complètement insérés (socialement) dans la société.

Pourtant, ce sujet est comme l'immigration, comme bien d'autres sujets, des "marqueurs" d'une hypothétique appartenance à la droite ou à la gauche, à cela près que depuis 2017, il n'y a plus vraiment de bloc de droite ni de bloc de gauche (ce qui, à long terme, pourrait poser un problème démocratique), mais trois blocs, un d'ultra-droite, un autre d'ultra-gauche, et un entre-les-deux qu'il est bien difficile de qualifier, aujourd'hui occupé par la majorité présidentielle mais qu'occupent aussi quelques socialistes fidèles à leur parti (et pas à leurs ambitions), des centristes et le parti Les Républicains.

Le RMI (revenu minimum d'insertion) a été créé par le gouvernement de Michel Rocard par une loi votée à la quasi-unanimité des députés (loi n°88-1088 du 1er décembre 1988 instituant le RMI). Michel Rocard a été un innovateur social puisqu'il a aussi inventé la CSG (contribution sociale généralisée) qui a le goût très amer d'être une cotisation sociale sur laquelle le salarié contribuable paie (en partie) l'impôt sur le revenu ! La génie français dans son œuvre.

L'idée du RMI n'était cependant pas kafkaïenne (au contraire de la CSG), elle répondait à un véritable besoin dès lors que nous étions entrés dans une société à très forte proportion de chômage (depuis les premiers chocs pétroliers). Elle avait été testée notamment par le centriste Pierre Méhaignerie qui l'avait appliquée dans son département lorsqu'il était président du conseil général d'Ille-et-Vilaine. Du reste, le RSA est géré par les départements, ce qui est l'une de leurs principales missions.

Ce revenu permet de dépanner lorsqu'une personne est dans le pétrin social et économique et il n'est pas voué à se pérenniser pour cette personne. Tant le RMI que le RSA, le mot clef est "insertion" ou "activité", pas "revenu". Hélas, depuis plus de trente-quatre ans, cette idée a surtout été comprise comme une allocation, nécessaire, mais pas suffisante pour sortir de la précarité et se réinsérer, et surtout, pas suffisante pour vivre. Aujourd'hui, le RSA pour une personne seule sans enfant à charge est de 607,75 euros par mois.



C'est pourquoi les Présidents volontaristes, ceux qui ne voulaient pas se satisfaire d'un chômage de masse, à savoir Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron (les autres se sont montrés particulièrement fatalistes face au chômage), ont toujours voulu réformer le RMI/RSA pour en faire un véritable outil d'insertion. D'où la réforme de Nicolas Sarkozy qui l'a réalisée en plusieurs temps, un temps d'expérimentation géographique (permise par la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat) puis sa généralisation en 2009 (loi déjà citée).

L'idée était d'obliger les allocataires de ce revenu à suivre une formation et à faire des heures d'activité afin de retrouver leur "employabilité" (le mot est laid mais c'est bien ce que cela veut dire : se lever le matin, se confronter au transport, avoir une vie sociale sur le lieu de travail, avec un chef et des supposés collègues, etc.). À l'époque, d'où la citation du mensuel "CQFD", certains opposants craignaient même que le nombre d'allocataires chutât de 1 million à 100 000 (il n'en a rien été).

Dans la réforme de 2008, l'attribution du RSA se faisait en compensation de plusieurs obligations, la principale étant de déclarer ses revenus tous les trimestres (puisque son attribution dépend du niveau de ressources de l'allocataire), mais aussi d'être à la recherche d'une activité professionnelle ou d'entreprendre les démarches pour un projet professionnel. Malheureusement, le RSA a surtout comblé des besoins alimentaires mais n'est toujours pas assez efficace en termes d'insertion professionnelle.



Près de 1,9 million de personnes bénéficiaient en 2022 du RSA. Son coût est de l'ordre de 12 milliards d'euros (en 2020), dont environ 15% correspondant aux coûts d'encadrement et de réinsertion (et le reste l'allocation elle-même). Son financement s'est fait par un nouvel impôt sur les revenus du capital. En 2012, le dispositif était excédentaire car 35% des personnes pouvant bénéficier du RSA ne l'ont pas demandé (je n'ai pas trouvé de données plus récentes mais il suffit de lire le formulaire pour comprendre pourquoi certains ne demandent pas le RSA et pourquoi les missions locales ne sont pas au chômage).

L'objectif du gouvernement actuel n'est donc pas très éloigné de celui de Nicolas Sarkozy au début du quinquennat de celui-ci. Et les réponses apportées peu différentes de ce qui a déjà été mis en œuvre. Lors de la remise du rapport de préparation à la création de France Travail, le 19 avril 2023 (dont l'auteur est Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l'emploi), le Ministre du Travail Olivier Dussopt (ancien député socialiste en 2017) a annoncé souhaiter rendre obligatoire 15 à 20 heures d'activité d'insertion par semaine (ce qui correspond à un mi-temps, alors que la recherche d'emploi prend un temps complet) qui seraient rétribuées selon les dispositions du code du travail.



Thibaut Guilluy a expliqué sur franceinfo le jour même : « Nous, ce qu'on propose, c'est un choc de l'insertion, c'est de faire en sorte qu'il y ait un coach, un conseiller, qui ait vraiment du temps pour pouvoir les accompagner dans leur parcours de retour à l'emploi. » en précisant que ces heures seraient « des immersions d'entreprises, des stages, de la formation pour pouvoir se former à un métier ou pour passer le permis de conduire ». Avec quelques exceptions : « Chacun a un parcours singulier. Il y a des personnes qui ont des difficultés sociales, très profondes, des problèmes de santé, donc il faut pouvoir s'adapter. ».


L'autre obligation, ce serait de s'inscrire à France Travail (ex-Pôle Emploi), alors qu'actuellement, seuls 40% sont inscrits. Le risque est d'avoir une remontée des statistiques avec de nouvelles inscriptions, bien sûr, mais l'idée est d'avoir un meilleur accompagnement. Mais là encore, il n'y a rien de révolutionnaire et on sait très bien que cela ne fonctionne pas vraiment. Aujourd'hui, un conseiller de Pôle Emploi "gère" (le verbe gérer est plus juste que suivre) en moyenne 450 demandeurs d'emploi, ce qui est déjà beaucoup trop pour faire un suivi individualisé. Si les moyens humains ne sont pas apportés parallèlement à cette réforme, elle sera aussi inefficace que les précédentes.

En déplacement à La Réunion, la Première Ministre Élisabeth Borne a confirmé ce samedi 13 mai 2023 à l'agence Pôle Emploi de Saint-Leu-les-Trois-Bassins que les obligations seraient suivies de sanctions si elles n'étaient pas tenues : « On doit continuer à viser les leviers pour permettre à chacun de revenir vers un emploi. C'est d'autant plus important dans un contexte où on sait qu'il y a beaucoup d'entreprises qui cherchent à recruter et qui disent qu'elles n'y arrivent pas (…). En effet, je vous confirme que dans le projet de loi, il y aura bien la possibilité de suspendre, sur une durée courte peut-être pour démarrer, en tout cas, il y aura aussi un dispositif de sanctions dès lors qu'on aura accompli, de notre côté, notre part de responsabilité, c'est-à-dire qu'on aura mis la personne bénéficiaire du RSA en situation de suivre le parcours qu'on lui a proposé. ». Mais il n'y aura pas de sanction avant de résoudre d'autres « freins périphériques », comme le problème de la garde d'enfant.

Outre le fait que la possibilité de suspendre partiellement le RSA existe déjà, la Première Ministre considère qu'être au RSA est volontaire de la part des bénéficiaires et qu'il suffirait qu'ils se disent qu'ils veuillent un emploi pour avoir un emploi. Si des entreprises cherchent à recruter, c'est de l'ordre de un à plusieurs de centaines de milliers d'emplois, à comparer aux trois millions de demandeurs d'emploi que compte encore le pays. Un bon ajustement entre les formations et les besoins du marché est donc nécessaire, certes, mais ne résoudra pas, en lui-même, le problème du chômage de masse (même s'il s'est beaucoup amélioré depuis 2017 avec la création de 1,7 million d'emplois dont 90 000 emplois industriels).

Plus globalement, lorsqu'on lit à la loupe les déclarations gouvernementales, il n'y aura rien de véritablement nouveau depuis la réforme Sarkozy de 2008. Mais on communique. La politique est probablement le comble de l'action du verbe.

Pourquoi donc insister sur les sanctions pour les bénéficiaires du RSA ? Sans doute pour des raisons politiques pour ne pas dire politiciennes. Le gouvernement souhaiterait une alliance avec Les Républicains. Mais la majorité présidentielle se trompe si elle souhaite engager une coalition sur des mesures ressenties comme plutôt antisociales car, justement, l'incapacité à trouver une majorité à l'Assemblée Nationale sur la réforme des retraites provient d'une partie non négligeable des députés LR (de l'ordre du tiers) qui sont, au contraire, partisans d'une politique plus sociale que celle du gouvernement. Donc, stigmatiser les bénéficiaires du RSA n'aidera pas le gouvernement à compléter sa majorité dans l'hémicycle. Et ne les aidera pas à retrouver du travail.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (13 mai 2023)
http://www.rakotoarison.eu


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