Dominique de Villepin toujours pro-palestinien ?

par Sylvain Rakotoarison
mardi 14 novembre 2023

« Par soumission à la voix du plus fort, la voix de la France s'est tue, celle qui faisait parler le Général De Gaulle au lendemain de la guerre des Six-Jours, celle qui faisait parler Jacques Chirac après la deuxième Intifada. »

Et de poursuivre : « Comment comprendre aujourd'hui que la France appelle à la “retenue” quand on tue des enfants en connaissance de cause ? Comment comprendre (...) que la première réaction de la France, par la voix de son Président, soit celle du soutien sans réserve à la politique de sécurité d'Israël ? (…) Il n'y a pas en droit international de droit à la sécurité qui implique en retour un droit à l'occupation et encore moins un droit au massacre (…). [Israël] ne peut se prévaloir du fait que le Hamas instrumentalise les civils pour faire oublier [qu'il] assassine ces derniers (…). Oui, il y a une terreur en Palestine et en Cisjordanie, une terreur organisée et méthodique appliquée par les forces armées israéliennes, comme en ont témoigné de nombreux officiers et soldats israéliens écœurés par le rôle qu'on leur a fait jouer. ».

Un coup de gueule très fort du l'ancien Ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin qui paraît être actuel mais qui date en fait d'une interview au journal "Le Figaro" du... 1er août 2014, il y a plus de neuf ans ! Le 17 juillet 2014, l'armée israélienne était entrée dans la Bande de Gaza et un nouveau cessez-le-feu de soixante-douze heures avait débuté le 31 juillet 2014. Comme on le voit, il n'y a pas grand-chose qui a changé en neuf ans... du moins, dans la réaction de l'ancien ministre, car en 2023, la grande différence, c'est qu'il y a eu les massacres du 7 octobre.

L'ancien Premier Ministre Dominique de Villepin fête ses 70 ans ce mardi 14 novembre 2023. Toujours plus ou moins présent dans la classe politique, il est surtout marqué par son discours du 14 février 2003 au Conseil de Sécurité de l'ONU contre la guerre en Irak, alors qu'il était encore Ministre des Affaires étrangères.

Il partage avec Georges Pompidou, Raymond Barre et Élisabeth Borne le fait de ne jamais avoir reçu de mandat électif à sa nomination à Matignon (comme Emmanuel Macron lorsqu'il a été élu Président de la République). Mais à la différence des trois autres qui ont été élus députés après leur nomination, Dominique de Villepin n'a toujours pas été élu, même pour un mandat local.

Après ses velléités de se présenter à l'élection présidentielle de 2012 (il n'a pas obtenu tous les parrainages nécessaires), Dominique de Villepin a renoncé à toute ambition politique au profit de son cabinet d'avocat conseil international très lucratif.

Depuis un mois, Dominique de Villepin est de nouveau présent dans les médias pour donner ses réflexions sur la guerre que mène Israël contre le Hamas après le 7 octobre 2023. Les propos n'ont pas varié et semblent toujours aussi anti-israéliens même s'il a mesuré l'horreur des massacres du 7 octobre 2023 : « L'ampleur, l'horreur et la barbarie qui se sont exprimés nous appellent tous à un devoir d'humanité et de solidarité vis à vis d'Israël et du peuple israélien. ». Plusieurs semaines plus tard, il a aussi déclaré : « Ce qui m’inquiète aussi c’est la montée de l’antisémitisme en France (…). Il faut que nous mesurions la mémoire douloureuse que nous avons pour les communautés juives, arabes et musulmanes. Il faut se rassembler et donner l’exemple sur notre propre territoire que nous pouvons vivre ensemble. ».

Ainsi, l'ancien Premier Ministre a déclaré sur France Inter le 12 octobre 2023 : « Je le dis avec une peine infinie : je ne suis pas surpris par cette haine qui s'est exprimée, quand on se souvient de ce que nous avons tous dit de cette prison à ciel ouvert [qu'est la bande de Gaza]. (…) On se dit que quelque chose a été raté, par nous tous, par l'ensemble de la "communauté internationale", avec l'amnésie qui a été la notre, l'oubli qui a considéré à imaginer que cette question palestinienne allait pouvoir s'effacer devant un accord économique, stratégique et diplomatique, comme substitut à cette tragédie. (…) La ligne de fracture du monde, aujourd'hui, recoupe celle de l'Ukraine. La voix de l'Europe, la voix de "l'Occident" n'est pas majoritaire. Tout ce qui va se passer, va l'être sous l'œil et le regard du monde qui ne voit pas les choses comme nous. ».

Et de marteler : « Le devoir de responsabilité que nous avons vis à vis de cette horreur, c'est de bien prendre en compte l'importance de la réaction, de se souvenir que le droit à la légitime défense n'est pas un droit à une vengeance indiscriminée, qu'il n'y a pas de responsabilité collective pour un peuple pour les crimes commis par quelques-uns (…). Il y a manifestement des crimes contre l'humanité dès lors qu'a été ciblée de façon systématique et générale une catégorie de population, mais il faut éviter que la riposte indiscriminée ne conduise à enflammer un peu plus la région, mais aussi le monde. [Le Hamas] n'est pas le peuple palestinien (…). Combattre le Hamas n'est pas enfermer deux millions de Palestiniens dans la Bande de Gaza sans pouvoir sortir. (…) Il y a une exigence d'humanité et de solidarité vis-à-vis d'Israël, une exigence de responsabilité que nous devons porter à la tête de la communauté internationale et une expérience à partager, nous devons penser que la solution à deux États, plus que jamais est aujourd'hui la seule (…). Israël ne peut pas être en sécurité tant qu'il n'y a pas la reconnaissance d'un État palestinien à ses côtés qui partage la responsabilité de la sécurité dans cette région. ».



L'expression utilisée par Dominique de Villepin « prison à ciel ouvert » est une expression qui a fait bondir plusieurs responsables de la majorité et surtout fait applaudir les responsables de France insoumise dans une sorte de drôle d'alliance.

Invité de la matinale de France Info le 7 novembre 2023, Dominique de Villepin a soutenu l'idée (commune depuis longtemps) de deux États : « Tous les Israéliens l’ont compris : ils ne peuvent plus vivre avec les Palestiniens. Il faut donc une politique de séparation qui doit être digne : c’est-à-dire conférer aux Palestiniens un État viable et véritable, qui pourra se construire et être d’autant plus en paix. ». Selon l'ancien ministre de Jacques Chirac, le départ des colons de Cisjordanie, « c'est l’histoire, le prix de la sécurité pour Israël ».



Comme solution transitoire, Dominique de Villepin a préconisé un mandat international pour Gaza : « On va se retrouver avec un territoire de Gaza détruit, sans aucune forme d’administration civile. Je pense que la meilleure stratégie, c’est d’avoir une administration internationale, qui peut-être en partie arabe, sous l’égide de l’ONU. ». L'idée serait surtout de démilitariser la zone et d'exfiltrer les terroristes du Hamas et leurs soutiens. Et il a ajouté : « La paix est toujours utopique, mais il y a une raison d’y croire : c’est que tant que nous n’aurons pas fait cela, Israël ne vivra pas en sécurité, et nous non plus. ».



Dans un entretien le 7 novembre 2023 pour "La Tribune de Genève", l'ancien président de République solidaire (un parti créé le 19 juin 2010) a voulu alerter : « L’éradication du Hamas est illusoire, Israël doit adapter ses buts. (…) Quand nous voyons Netanyahou s’engager dans une impasse, nous devons être capables le dire. ».

Invité quelques jours plus tôt sur BFMTV, le 27 octobre 2023, Dominique de Villepin a mis en garde sur le réveil des États arabes : « On a été trompés par le silence des États arabes et musulmans des dernières années. Les peuples n'ont jamais oublié que la cause palestinienne et l'injustice faite aux Palestiniens étaient une source de mobilisation considérable. La question palestinienne reste pour les peuples arabes la mère des batailles. ».

En évoquant « un gouffre géopolitique qui est l'absence de perspective face à une offensive terrestre massive », il a insisté sur la vision du monde entier : « Regardez les réactions en Indonésie, en Afrique, au Nigeria. Tout ça forme un tout. C'est le nouveau monde dans lequel nous sommes, nous ne sommes pas capables de gérer seuls en gendarme du monde (…). La guerre contre le terrorisme (…) n'a jamais été gagnée nulle part et enclenche au contraire des engrenages extrêmement dramatiques (…). Le plus gros travail aujourd'hui, c'est celui qui consiste pour les pays européens, les États-Unis à aider Israël à avancer au-delà de cette réponse militaire (...) qui est une impasse (…). C'est difficile parce que la solution à deux États est sortie du logiciel israélien. C'est difficile car il faut faire émerger des interlocuteurs palestiniens. (…) Mais la diplomatie, c'est d'être capable au fond du tunnel d'imaginer qu'une lumière est possible. ».

Cette condamnation de la réaction israélienne massive qui touche principalement la population civile de Gaza rend de plus en plus difficile le soutien inconditionnel de l'État d'Israël à la suite du 7 octobre 2023. Dans ses différentes interventions, Dominique de Villepin a donc abordé ces deux faces du problème : la sécurité d'Israël et la protection des civils de Gaza. Il a eu cette formule très forte, le 7 novembre 2023 : « Dans ce contexte, chaque enfant tué, chaque femme tuée, ce sont plus de terroristes. Donc l'objectif d'Israël, ce qu'il atteint, c'est exactement l'inverse de ce qu'il souhaite. ».

Du reste, le Président de la République Emmanuel Macron n'est pas loin d'avoir la même opinion quand on l'écoute sur la BBC : « Aujourd'hui, les civils sont bombardés de facto. Ces bébés, ces dames, ces personnes âgées sont bombardés et tués. Il n'y a donc aucune raison et aucune légitimité à cela. Nous exhortons donc Israël à arrêter. » le jour de la grande marche contre l'antisémitisme à laquelle il n'a pas participé et qui a rassemblé un peu moins de 200 000 personnes partout en France, dans des manifestations pacifiques sans heurt ni violence (exactement 182 000 dont 105 000 à Paris).

Depuis longtemps, Dominique de Villepin n'a cessé d'émettre des opinions principalement pro-arabes sans jamais oublier de rappeler, histoire oblige, son fameux discours du 14 février 2003, qui, pour certains, passe comme le dernier acte d'une France indépendante idéalisée (il suffit d'écouter Jean-Marie Le Pen vingt ans auparavant pour savoir à quel point cette indépendance-là était déjà fustigée). On veut rendre nostalgiques les Français sur Chirac comme sur De Gaulle (au fond, je m'en réjouis), mais ils étaient aussi des hommes politiques avec des combats et des opposants et ceux qui, aujourd'hui, par nostalgie démagogique, voudraient s'identifier ou se reconnaître dans ce passé français supposé glorieux sont pourtant, généralement, les héritiers de leurs plus féroces opposants (ceux de De Gaulle et Chirac).

En passant, on se posera quand même la question de savoir s'il est vraiment impartial dans ce conflit ou s'il a des donneurs d'ordre du côté arabe. En effet, depuis le 1er juillet 2015, il n'est plus inscrit au barreau de Paris et dirige une entreprise commerciale (Villepin International) qui fait notamment du lobbying international : « conseil en management et en stratégie, analyse des risques politiques et des enjeux économiques, réalisation d’études, d’audits et de préconisations, tenue de conférences et de forums, intermédiation en vue de rapprochements, présentation et publication d’exposés ou d’analyses ».

Wikipédia annonce ainsi : « Son réseau en Chine, en Iran, au Venezuela ou encore au Qatar, lui permet d’intervenir dans le flux d’affaires entre pays émergents. (…) Considéré comme "très proche du Président chinois Xi Jinping", il siège également au conseil du fonds d’investissement d’État China Minsheng et à l'agence de notation chinoise Dagong. Selon le journaliste [Clément Fayol], il y "aiderait des entreprises chinoises à se développer en Afrique et en Europe dans l’aéronautique, les infrastructures, les assurances, parfois en concurrence avec des entreprises françaises". Il a aussi créé une galerie d'art à Hong-Kong, où il vend principalement des œuvres de l'artiste sino-français Zao Wou-Ki, dont il est un intime de la veuve Françoise Marquet. ».

Selon le Hamas, au 12 novembre 2023, les bombardements de l'armée israélienne aurait fait 11 180 victimes majoritairement civiles dont 4 609 enfants [Un nouveau bilan du Hamas le 13 novembre 2023 fait état de 11 240 morts dont 4 630 enfants et 3 130 femmes, et de 29 000 blessés].

Dans un entretien diffusé le 12 novembre 2023, le Premier Ministre israélien Benyamin Netanyahou s'est justifié ainsi : « Ce n’est pas seulement notre guerre, c’est votre guerre aussi (…). C’est le combat de la civilisation contre la barbarie. (…) Israël se bat dans le respect des lois internationales. L’armée israélienne réalise un travail exemplaire en tentant de minimiser les victimes civiles. ». Il a admis que chaque vie civile est une tragédie, mais le Hamas a empêché les Palestiniens d'évacuer les lieux : « [Il] a tiré dans des zones sûres et dans les corridors humanitaires que nous avons établis (…) pour empêcher les Palestiniens de se mettre à l’abri. Il place des roquettes dans les écoles, les hôpitaux, il a des tunnels sous des lits d’enfants. ».

Incontestablement, rien n'est simple dans une guerre, les horreurs sont toujours au rendez-vous, mais l'une des différences entre l'armée israélienne et les terroriste du Hamas, c'est qu'elle ne cherche pas à haïr, ni à humilier ni à torturer, à se rendre sadique vis-à-vis des Palestiniens, les soldats israéliens veulent "seulement" éliminer ceux qui ont fait vœu de détruire l'État d'Israël et les Juifs en général. Il reste que des milliers d'innocents meurent dans ces bombardements et que leur mort ne contribue évidemment pas à se rapprocher de la paix.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 novembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


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