Les rois du monde

par Paul Jael
lundi 6 novembre 2023

Vu mon âge, j’ai passé plus de la moitié de ma vie dans un monde caractérisé par ce qu’on appelle « La Guerre Froide ». Deux blocs se faisaient face : « l’Occident » et l’URSS avec ses satellites d’Europe orientale. Chacune avait son institution militaire : OTAN contre Pacte de Varsovie. En 1991, l’un des adversaires s’écroule et la guerre froide prend théoriquement fin. L’Occident a finalement « gagné » cette pseudo-guerre. Le pacte de Varsovie est dissous. Pourquoi pas l’OTAN ? On nous faisait pourtant croire qu’elle avait été créée pour faire face à la menace soviétique. En réalité, cette menace existait bien et justifiait une alliance défensive, mais ce n’était pas là la raison principale de l’existence de l’OTAN.

Depuis le XIXe siècle, l’Occident porte en lui la conviction que sa destinée est de gouverner et dominer le monde. Il s’agit d’ailleurs de plus qu’une idée ; il s’agit d’une pratique puisque l’idée a été constamment appliquée depuis lors et qu’elle l’est encore aujourd’hui même si l’adversité devient de plus en plus sérieuse, notamment avec la puissance montante de la Chine. Qu’on pense que la moitié des frontières en Afrique et en Asie ont été dessinées par les puissances occidentales ou ont été influencées par leur intervention. A un moment où la décolonisation rendait le monde de plus en plus multipolaire, l’Occident avait besoin de créer une alliance militaire. Pour un bloc qui se sent appelé à diriger le monde, les ennemis potentiels sont légion. Telle est la raison réelle de l’existence de l’OTAN et donc l’explication de sa persistance.

De par cette volonté hégémoniste, l’Occident se trouve être partie prenante, directement ou indirectement, dans quasiment tous les (très nombreux) conflits qui émaillent l’histoire mondiale contemporaine, tant les conflits internationaux que les guerres civiles. La frontière entre ces deux types de conflits n’est d’ailleurs pas toujours claire : quid du Kosovo par exemple ? Et l’Ukraine : au départ, il s’agissait d’un simple problème de politique intérieure ; ce pays était divisé entre deux communautés, l’une regardant vers l’Ouest et l’autre vers l’Est. Du point de vue occidental, il y a dans tous ces conflits un « bon » contre un « mauvais ». Le bon est évidemment celui qui dit à l’Occident : « vous êtes la lumière du monde ». C’est exactement ce que nos hégémonistes ont envie d’entendre. Et ça peut suffire pour s’impliquer dans des guerres qu’il aurait mieux valu essayer d’éviter. Cette implication peut prendre diverses formes ; dans l’ordre décroissant d’engagement : participation aux combats (Irak), bombardement (Belgrade), fourniture d’armes et blocus économique (Ukraine), manœuvres diplomatiques (dont on sait qu’elles sont la poursuite de la guerre par d’autres moyens).

Regarder lucidement la politique de l’Occident comme hégémoniste ne signifie pas donner raison à ses ennemis. Les objectifs que ceux-ci poursuivent et les moyens qu’ils mettent en œuvre peuvent également être contestables. Certains visent peut-être aussi une certaine hégémonie. Mais qu’on arrête avec ce fantasme des « bons contre les mauvais ». L’Occident ne se bat pas pour le bien mais pour garder le contrôle.

Dans le chef de l’Occident, ce qui peut fortifier le sentiment d’être le chevalier blanc, c’est qu’il y règne plus qu’ailleurs les droits de l’homme (en ce compris le droit de la femme à être l’égale de l’homme), la démocratie, la tolérance religieuse… Certes, c’est chez nous que « les lumières » se sont allumées. Indiscutablement, c’est une qualité. Mais n’oublions pas que la moitié de l’humanité a été colonisée par nous. Et que notre comportement aux antipodes était aussi aux antipodes des valeurs des lumières. Notre volonté de diriger le monde est le meilleur moyen de faire détester ces valeurs par le plus grand nombre.


Lire l'article complet, et les commentaires