La croisade des Nouveaux athées

par Guy Morant
lundi 13 novembre 2006

Qu’y a-t-il de commun entre un athée américain et un prêcheur charismatique ? Le magazine Wired, plutôt enclin au rationalisme, découvre que l’intolérance n’est pas toujours le monopole des croyants.

En France, les athées se posent volontiers en héros de la raison face aux hordes menaçantes des croyants, tous plus ou moins fanatiques et sanguinaires. Darwin et Brassens sont appelés à la rescousse, pour défendre la science et l’humanisme contre les nouveaux obscurantismes. Hélas, les chiffres des sondages relativisent leur courage : selon l’étude « Les Français et leurs croyances » (CSA 2003), par exemple, l’existence de Dieu paraît exclue à 22 % des Français, tandis que 19 % la jugent improbable (les agnostiques, ceux qui ne se prononcent pas, seraient réduits à 1 % de la population !) Même si les croyants restent majoritaires, rien ne laisse penser qu’ils menaceraient particulièrement le parti adverse !

Imaginez seulement la situation des athées américains, dont la proportion ne dépasse pas 2 % (AP/Ipsos « Religious Fervor In U.S. Surpasses Faith In Many Other Highly Industrial Countries » - juin 2005) ! Même avec le renfort des 4 % d’agnostiques, les sans-dieu étasuniens ne font pas le poids, dans une société où le créationnisme est encore défendu par de nombreux scientifiques ! Il y a donc plus de courage à consacrer sa première page à « The New Atheism » (Wired, novembre 2006) au pays de Mark Twain, qu’à se poser la question : « Les religions sont-elles toxiques ? » (Marianne, 4 novembre 2006) au pays de Voltaire.

Dans le numéro de novembre de Wired, Gary Wolf signe un long article, titré significativement « The Church of the Non Believers » (l’église des non-croyants), dans lequel il relate sa rencontre avec Richard Dawkins, l’auteur du récent The God Delusion (L’illusion de Dieu), Sam Harris et d’autres figures américaines de l’athéisme. Pour le lecteur français, habitué à un respect prudent de la presse envers les religions, le ton de cet article surprend : au nom de la raison, les intellectuels cités mènent une charge virulente contre toutes les formes de religions, y compris... l’agnosticisme, considéré comme une attitude lâche ou polie, mais incohérente (si l’on admet la possibilité d’un dieu, pourquoi ne pas accepter celle du « monstre en spaghetti volant, des licornes, de Thor, Odin, ou les fées au fond du jardin  ?) À l’instar des homosexuels, les athées sont appelés à manifester publiquement leur incroyance, afin de ne pas servir involontairement la cause des religions. L’objectif de Dawkins et de ses amis est de renforcer la visibilité du mouvement, afin de briser l’isolement des Américains qui ne se reconnaissent pas dans la religiosité envahissante de leur pays.

Pourtant, de l’aveu même de Gary Wolf, les perspectives politiques de ce mouvement sont maigres. Les Nouveaux athées fonctionnent, peu ou prou, comme une galaxie de groupuscules peu influents (en France, le nouveau rationalisme est représenté par des institutions comme le Laboratoire de zététique, qui fait partie du réseau du Center for Inquiry), dont les membres se recrutent essentiellement parmi les retraités. Leur intransigeance antireligieuse ressemble au fanatisme de n’importe quelle minorité politique. Wolf évoque sa rencontre avec des évangélistes et ses lectures de théologiens. Les positions extrêmes des athées ne lui conviennent pas. Il reconnaît surtout la difficulté que rencontrent ceux-ci à promouvoir leurs convictions, dont la sécheresse et le caractère abstrait ne séduit personne. Même si les sciences ont fortement entamé les certitudes des croyants, la foi prolifère encore dans les zones d’ombres du savoir. Quant aux fondamentalistes religieux, ils refusent le moindre débat avec les scientifiques et s’en tiennent au message des textes sacrés. Au grand dam de Dawkins, de Harris et des autres, la religion semble résister à toutes les attaques du rationalisme.

Dans la conclusion de son article, Gary Wolf fait appel au philosophe athée Daniel Dennet, qui estime que l’athéisme est une attitude peu naturelle pour l’être humain. Tout homme, selon lui, a besoin de mythes et de croyances sans fondement. Comme n’importe quel prophète, le philosophe qui s’attaque aux croyances des autres prend des risques, car il cherche à provoquer une transformation profonde de la société. En d’autres mots, le Nouvel athéisme, en déclarant la guerre aux religions, en appelle à une véritable croisade des sans-dieu, avec tout ce que cela comporte d’extrémisme et d’intolérance.

Paradoxalement, on peut donc refuser l’appel des athées au nom de la démocratie, en acceptant de respecter les convictions des croyants, pour ne pas transformer nos doutes en une religion de la raison. Tout bien considéré, j’en viens donc à apprécier autrement l’attitude française à l’égard du fait religieux. Dans le dossier de Marianne, « Les religions sont-elles toxiques ? », par exemple, même si de nombreux auteurs mentionnés sont d’authentiques athées, vous ne trouverez aucune trace de prosélytisme ou d’irrespect à l’égard du fait religieux. Mêmes si les religions sont montrées du doigt et considérées comme meurtrières (Elie Barnavi), elles ne sont pas dénoncées comme des illusions pures et simples qu’il conviendrait d’interdire. Invoquant les Lumières, Marianne s’attaque avant tout au fanatisme, dont la définition pourrait inclure les Nouveaux athées, au même titre que les diverses « cabales de dévots ». Le meilleur héritage des Lumières n’est-il pas justement celui-ci : « Je déteste ce que vous écrivez, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez continuer à l’écrire » (citation probablement apocryphe de Voltaire) ? Que la France, patrie de l’athéisme (à en croire les sondages), manifeste une telle tolérance à l’égard d’opinions et de croyances souvent contraire aux connaissances les plus établies de la science peut être considéré comme l’une de ses qualités les plus remarquables, et comme l’un de ses héritages les plus dignes d’être préservés.


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