Pourquoi l’islam n’a pas détruit les statues de Bouddha durant quatorze siècles ?

par Lucien-Samir Arezki Oulahbib
jeudi 8 mars 2007

Comment se fait-il que l’islam n’ait pas détruit les statues de Bouddha pendant quatorze siècles et qu’il ait fallu attendre les talibans ? Parce que ces derniers se sont aperçu, comme les différents théoriciens islamistes du début du XXe siècle, que c’est précisément parce qu’ils n’ont pas détruit suffisamment le passé, supposé « obscur », que l’islam aurait été freiné, puis contaminé ? Or, pour qu’il reste une théo-onto-politique il ne doit pas basculer en éthique, d’où la nécessité de poser intégralement l’espace-temps dans sa dimension islamique et éliminer toutes les scories... Voilà leur niveau de discussion, il me semble.

C’est ce qu’a bien vu Ayan Hirsi Ali, dont on ne voit pas au nom de quoi on pourrait énoncer qu’elle "méconnaît " l’islam alors qu’elle a vécu, dans sa chair en propre, l’islam réel, et non pas l’islam fantasmé ou révolu : le fait que les femmes mangent séparées des hommes reste une réalité incontournable par exemple, même si elle est terre à terre, et il est trop facile de placer cette pratique dans une dimension culturelle tribale ou de s’en référer à l’histoire du judaïsme et du christianisme : d’ailleurs, si l’islam était supérieur théologiquement à ces deux religions sur la question des femmes, cela se saurait... Ayan Hirsi Ali, a parfaitement compris l’essence de l’islam qu’exprime, intégralement, l’islamisme, d’où le désir de celui-ci d’ en restaurer l’espace-temps supposé éternel.

Le "vrai" islam, celui du commencement, l’islam réel et non fantasmé n’est évidemment pas celui des musulmans européens, mais celui que veulent en effet vivifier les islam(istes) y compris leurs tendances moins totalitaires, mais majoritaires dans certains pays... (Arabie, Palestine désormais, Algérie - s’il n’y avait pas la répression des généraux, les Kabyles et certains arabophones laïcs, ce qui ne veut pas dire athée -, sans oublier sa version shiite, l’Iran, etc...).

Car ces islam(istes), ne veulent pas voir leur doctrine se transformer en mystique, en métaphysique, bref se judéochristianiser (séparation du temporel et du spirituel) alors que, dès le départ, le Calife est Commandeur des croyants (d’où la non-existence d’une hiérarchie ecclésiastique dans le sunnisme etc.). Ce qui implique, au contraire, une étroite corrélation pratique et pas seulement théorique ou ontologique entre spirituel et temporel (du côté chrétien, Léo Strauss regretta cependant ce manque dans la modernité, de même, mais sur un plan plus politique, Heidegger... puisque celui-ci crut voir une pratique nouvelle articulant les deux dimensions dans l’épaisseur existentielle du national-socialisme...).

Certains prétendent donc être en lien direct avec un "autre" islam, un islam qui n’est pourtant pas au pouvoir, nulle part, sinon dans leur imagination, fertile, il est vrai, un islam qui ne condamnerait pas à mort au gré des bombes errantes.

Or, non seulement ces adeptes d’un "autre islam" se considèrent eux-mêmes, en fin de compte, plus musulmans que les islamistes, mais ils accusent ceux qui critiquent l’islam de l’aborder "comme les islamistes", c’est-à-dire de façon "littérale"...

Seulement, la réalité ne consiste pas à se satisfaire de ce sophisme, car il s’agit de se demander si, dans ce cas, ces "meilleurs" musulmans ne basculent pas dans une logique interprétative et donc métaphysique, bref dans un "protestantisme" qui, en effet, fait d’eux des "déviants" non seulement du point de vue islamiste, mais aussi d’un Boubaker...

En fait, en ces temps de confusion, il est nécessaire de rappeler d’une part qu’il n’existe pas de libre arbitre dans l’islam. Par exemple Averroès, mis souvent en avant par nos hypermusulmans, n’a fait que s’insurger contre le libre arbitre comme l’a démontré Thomas d’Aquin dans son " Contre Averroès" (traduction de Libéra, Garnier-Flammarion). En effet, pour Averroès, " l’homme ne pense pas, il est pensé"...

Ce qui implique une différence de nature et non pas de degré entre le judéochristianisme et l’islam : la lecture de la Genèse (II, 19-20) montre bien d’ailleurs que Dieu permet à Adam de nommer les animaux avec ses propres noms alors que dans le Coran (II,31), Adam récite les noms fournis par Dieu. Voilà toute la différence, colossale, textuellement et contextuellement.

D’où la nécessité de soumettre l’islam à l’exégèse critique, comme pour les autres religions, surtout lorsqu’elle a des prétentions politiques que ces dernières n’ont pas, en particulier aujourd’hui...


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