Regard sur la piété étatsunienne en 2006

par bright nantes
mardi 14 novembre 2006

La fondation religieuse Templeton a commandé au Baylor Institute for Studies of Religion, Waco, Texas, une enquête sur l’état de la religiosité aux Etats-Unis d’Amérique. Cette étude, The Baylor Religion Survey (Septembre 2006), a été rendue publique le 11 septembre 2006. Lecture commentée.

Le champ de l’enquête survole toutes les facettes de la religion et de la spiritualité aux USA, soit environ 400 items couvrant des sujets tels que les croyances et pratiques religieuses, la consommation de biens et services en lien avec ces croyances et pratiques, les croyances alternatives (astrologie, “Bigfoot”, visiteurs extraterrestres, etc.) et pratiques du même ordre (méditation, thérapies new age, etc.).

Cette contribution survolera quelques points permettant de mieux connaître le contexte nord-américain et de s’interroger de façon plus universelle.

Les affiliations religieuses

Les individus consultés devaient se déclarer une affiliation religieuse, ce qu’ils ont réalisé pour 1687 d’entre eux. Les différentes confessions de rattachement ont été regroupées selon les familles usuelles outre-Atlantique :

Protestants évangéliques (anabaptistes, pentecôtistes, etc.) 33,6 %

Protestants « classiques » (baptistes, anglicans, luthériens, etc.) 22,1 %

Protestants « black » (obédiences afro-américaines) 5,0 %

Catholiques (romains et nationaux) 21,2 %

Juifs 2,5 %

Autres (bouddhistes, musulmans, mormons, etc.) 4,9 %

Non affiliés 10,8 %

Attention aux lectures trop rapides...

Non affilié ne veut pas dire « incroyant » ; 62,9 % d’entre eux déclarent croire en Dieu avec plus ou moins de force ( 18,4 %) ou en quelque pouvoir supérieur (44,5 %) ; seuls 37,1 % des non affiliés se déclarent incroyants. Sur le plan des pratiques 68,4 % des « non affiliés » « ne prient jamais » et 89,3 % ne fréquentent jamais de service religieux.

A l’inverse certains revendiquant une « affiliation » religieuse se déclarent néanmoins « athées » (c’est le cas notamment pour plus de 8 % de ceux qui se sont déclarés affiliés au judaïsme). C’est ainsi qu’au total on verra par la suite que 5,2 % des Etatsuniens se déclarent athées.

Quelques lignes de force semblent pouvoir être dégagées.

Facteur « âge »

Au total les 18-30 ans sont trois fois plus nombreux (18,6 %) à ne pas avoir d’affiliation religieuse que les 65 ans et plus (5,4 %) ; ceci n’est néanmoins pas homogène suivant les affiliations ; on note en effet une relative stabilité de la plupart des dénominations religieuses en fonction de l’âge ; les églises évangéliques sont populaires (39 %) auprès des 18-30 ; seule la religion catholique connaît un fort déclin chez les 18-30 (10 % contre 20 % et plus pour les autres classes d’âge).

Facteur « niveau d’instruction »

Usuellement les enquêtes révèlent que le taux de religiosité est une fonction décroissante du niveau d’instruction ; celle-ci montre, en addition, qu’aux Etats-Unis le niveau d’instruction n’est pas fortement discriminant pour les dénominations minoritaires (catholiques inclus) ; ceci suggère que l’affiliation religieuse revendiquée joue aussi le rôle de « marqueur communautaire » sans être pour autant accompagnée d’une religiosité effective ; cela saute aux yeux lorsqu’on lit le pourcentage de sondés revendiquant à la fois une affiliation au judaïsme et une posture athée affirmée (8 %) ; par des mécanismes identitaires similaires l’histoire de l’immigration aux Etats-Unis peut suggérer par exemple la permanence de la revendication catholique par les étatsuniens d’origine irlandaise, ou de l’affiliation luthérienne pour ceux d’origine allemande, etc.

Le « littéralisme biblique » comme « marqueur » pertinent du conservatisme


Quelques questions complémentaires éclairent également les « signatures » des différentes obédiences religieuses.

D’un côté les fidèles des Eglises évangéliques ou protestantes afro-américaines ne doutent quasiment pas de l’existence de Dieu et sont près de la moitié à affirmer que ce qui est écrit dans la Bible est littéralement vrai... A l’opposé seuls 43 % de ceux qui revendiquent le judaïsme n’ont aucun doute sur l’existence de Dieu, et plus de la moitié des juifs américains considèrent la Bible comme un simple recueil historique et de légendes. Occupant une position centrale, trois catholiques américains sur quatre ne doutent pas de l’existence de Dieu, et s’ils ne considèrent pas la Bible comme un recueil d’histoire et de légendes (19,8 %) ils ne sont guère nombreux non plus à en développer une lecture littérale (11,8 %).

Plus que les frontières entre obédiences religieuses revendiquées, certains facteurs se révèlent être des marqueurs plus pertinents pour approcher les comportements au sein de la société américaine ; ainsi par exemple, au sein des croyants, le littéralisme, qui traverse plus ou moins les différentes dénominations, permet mieux de prédire la sensibilité politique que ne le permet la dénomination officielle : ceux qui, quelle que soit leur confession revendiquée, affirment que la Bible est “littéralement vraie” seront significativement plus conservateurs, et notamment estiment que le gouvernement devrait augmenter le budget de la Défense, devrait mettre en avant les valeurs chrétiennes, devrait punir plus fortement les criminels, devrait financer les organisations religieuses et devrait autoriser à faire la prière dans les écoles.

Le rapport à « l’agent surnaturel » : une approche transversale


L’enquête, par-delà les dénominations religieuses revendiquées, s’est interrogée sur la perception concrète par les fidèles de l’agent surnaturel à l’existence duquel ils croient en distinguant :

Croyants type A  : un Dieu autoritaire interférant fortement dans leur vie de tous les jours : les aidant à prendre des décisions et responsable des éléments globaux tels que les retournements de conjoncture économique ou les tsunamis ; ils pensent que Dieu n’est pas content et est capable de punir ceux qui sont sans foi ou sans dieu.

Croyants type B  : un Dieu bienveillant interférant fortement dans la vie de tous les jours ; ils pensent plutôt que Dieu a une influence positive sur le monde et moins que la volonté de Dieu soit de condamner et de punir les individus.

Croyants type C  : un Dieu critique, qui n’interagit pas franchement avec le monde mais qui observe ce qui s’y passe et ne l’apprécie guère. Ces croyants pensent que l’insatisfaction de Dieu se mesurera dans une autre vie et pas dans ce monde.

Croyants type D : un Dieu distant, qui n’interagit pas avec le monde et n’est pas spécialement mécontent. Ces croyants tendent à penser un Dieu comme une force cosmique qui a donné les lois de nature. Ainsi ce Dieu n’agit pas sur le monde et n’a pas des opinion bien établie sur les actes individuels et les événements mondiaux

Athées  : la définition des athées vaut la peine d’être citée in extenso ; en gros, ils sont certains que Dieu n’existe pas mais ils ne sont pas nécessairement méchants pour autant : « Atheists are certain that God does not exist. Nevertheless, atheists may still hold very strong perspectives concerning the moralitu of human behavior and ideals of social order but have no place for the supernatural in their larger worldview »

Indépendamment de l’affiliation à une religion, les Etatsuniens peuvent se décomposer en :

Croyants type A (dieu autoritaire) : 31,4 %
Croyants type B (dieu bienveillant) : 23,0 %
Croyants type C (dieu critique) : 16,0 %
Croyants type D (dieu distant) : 24,4 %
Athées : 5,2 %

Pour cette approche de la croyance religieuse, là aussi une approche factorielle peut être réalisée.

C’est ici par exemple que la croyance apparaît le plus sexuée ; les femmes conçoivent préférentiellement un dieu actif (croyances type A et B) alors que les croyances type C ou D et l’athéisme sont plus masculins. Mais les autres facteurs méritent aussi un examen. Ainsi 40,2 % des 18-30 ans sont des croyants type A (dieu autoritaire), tout comme ceux ayant un niveau d’instruction inférieur au baccalauréat (40,4 %).

Une interrogation à travers le filtre des obédiences religieuses révèle comparativement à une position moyenne tenue par les catholiques et les protestants « classiques », que les protestants « évangéliques » et « black » se distinguent par une croyance type A (dieu autoritaire) majoritaire (52,3 % pour les premiers, 68,0 % pour les seconds), alors qu’à l’opposé les juifs considèrent préférentiellement un dieu distant (croyance type D à 41,7 %) quand ils ne le déclarent pas inexistant (8,3 %).

L’Amérique paranormale

L’enquête ne se confine pas aux croyances religieuses et aborde le paranormal. Le rapport pointe ce qu’il considère comme un « niveau surprenant » de croyances dans le paranormal aux USA.

Des civilisations avancées aujourd’hui disparues ont existé (Atlantide) : 41,2 %
Des traitements alternatifs sont au moins aussi efficaces que la médecine : 74,5 %
Il est possible d’agir sur le monde par le pouvoir de l’esprit (télékinésie) : 28,2 %
Les astrologues, voyants, cartomanciens, etc., peuvent prédire le futur : 12,8 %
L’astrologie influence la vie et la personnalité de chacun : 12,3 %
Il est possible de communiquer avec les morts (médiums) : 19,9 %
Des emplacements, comme les maisons, peuvent être hantés : 37,2 %
Les rêves peuvent être prémonitoires ou révéler des vérités cachées : 52,0 %
Des OVNI sont probablement des vaisseaux spatiaux de visiteurs de l’espace : 24,6 %
Des créatures telles Big Foot seront un jour découvertes par la science : 17,9 %

Là aussi, la sensibilité paranormale est sexuée : les femmes croient environ deux fois plus aux pouvoirs psychiques de prévision du futur (voyance, cartomancie, astrologie, etc.) et à l’influence des astres sur les caractères (astrologie) que les hommes ; sur 8 des 10 items testés les plus hauts pourcentages sont recueillis auprès des femmes.

Les fidèles des églises évangéliques portent moins crédit aux croyances paranormales que les autres, et d’une façon générale, l’attirance vers le paranormal est d’autant plus faible que l’investissement religieux (jugé par la fréquentation des lieux de culte) se trouve être fort.

Conclusion personnelle

Cette enquête illustre une fois de plus que ce n’est pas parce que l’adhésion aux religions traditionnelles (et surtout la pratique associée) régresse que la pensée rationnelle (au sens du rationalisme scientifique, du matérialisme méthodologique de la science, du naturalisme, etc.) progresse nécessairement pour autant ; d’autres croyances prennent spontanément la place des anciennes, et peuvent parfaitement cohabiter avec un athéisme revendiqué (il suffit de regarder le mouvement raëlien pour s’en persuader).

C’est là que des thèses comme celles de Pascal Boyer ou de Bruce Hood apportent leur éclairage : les systèmes mentaux d’Homo Sapiens (le "pré-cablage" du cerveau) sont, comme le reste, un produit de la sélection naturelle remontant aux profondeurs de l’humanité ; les croyances dans le surnaturel ou le paranormal (l’existence d’agents surnaturels tels le(s) dieu(x), des esprits, les ancêtres... la possibilité de médiateurs avec ces agents surnaturels (les prêtres, les médiums, etc.), ne sont que des sous-produits probables du fonctionnement normal (naturel) de nos cerveaux...

La méthode scientifique, elle, est récente à l’échelle de l’histoire de l’humanité et n’est pas naturelle (contre-intuitive). C’est en développant une instruction publique de qualité, en particulier l’enseignement des sciences et de la méthode scientifique, la formation au développement de l’esprit critique, que de tels phénomènes pourront évoluer.

Note : L’enquête a été réalisée par l’institut GALLUP sur un échantillon représentatif de 1721 résidents des Etats-Unis d’Amérique. L’enquête (1,5 Mo au format .pdf) est téléchargeable : http://www.baylor.edu/content/services/document.php/33304.pdf. Une version documentée de cette analyse (avec des extraits des tableaux de l’enquête) est mise en ligne sur le site brightsfrance animé par l’auteur : http://brightsfrance.free.fr/phpBB2/viewtopic.php?t=225


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