Va-et-vient

par C’est Nabum
lundi 22 mai 2023

 

La culture en toile de fond.

 

Un espace culturel de plein air offre parfois des scènes surprenantes pour qui se plaît à porter son regard au-delà des apparences. Ce qui s'offrait à moi était pourtant une scène inhabituelle, incongrue selon cet adjectif que je chéris tant et qui semble désormais se dissoudre parfois dans l'indifférence qui gagne le quidam.

Une table de salle à manger ou plus sûrement un guéridon de style Henry IV trône au milieu d'un dôme de toile. Des spectateurs attentifs font face à cette scène improvisée et à la Loire qui tient lieu de toile de fond. Entre les deux, un chemin partagé, par des piétons et des cyclistes tandis que sur le muret, se trouvent encore des spectateurs en retrait.

Le décor est presque posé. Ne manque plus que la cerise sur le gâteau, un artiste, un instrumentiste qui vient se jucher sur la chaise posée sur le guéridon, flanqué de son inséparable accordéon. Rien qu'à cette discrétion, vous pouvez identifier ce musicien capable de jouer la tête à l'envers sous un ballon ou bien attaché au filin d'une grue.

Il joue, nous entraîne dans son univers, chante, fait quelques onomatopées, se laisse emporter par son improvisation. Il n'est aucun doute, c'est bien Arnaud Méthivier qui honore sa Paillote de l'un de ses concerts impromptus qui font tout le charme de cet espace culturel en plein air qu'il a enfanté.

Je l'écoute et ne peux détacher mon regard de ce chemin qui a quelques mètres de lui, dans son dos, me propose un étrange spectacle. Les promeneurs du jour férié vont et viennent, les uns à pied, d'autres en bicyclette. Ils ne peuvent passer sans entendre ni même voir ce curieux spectacle et pourtant, nombre d'entre-eux, n'accordent pas même un regard. La curiosité semble avoir fui ces individus.

D'autres au contraire jettent un regard. À leur mine surprise, je devine l'étonnement chez celui-là, l'incompréhension chez cet autre. Quelques sourires même s'ils sont si peu en définitive à manifester ainsi un peu de sympathie à ce tableau surprenant. Le plus souvent, le regard fuyant, ils détournent la tête et s'empressent de poursuivre leur chemin. Quelques instants de pause m'auraient semblé être une marque de sympathie largement à leur portée, sans devoir mettre la main au chapeau.

Les cyclistes, reconnaissons-leur ce mérite, la plupart ralentissent au passage de l'endroit, à l'abri du monde extérieur sous leur casque, filent le nez au vent et les oreilles dépourvues du moindre égard. C'est tout juste si quelques-uns tournent la tête, l'espace d'un instant. Aucun ne songe à mettre pied à terre pour profiter d'une petite pause musicale.

D'autres courent, bardés désormais de toute la technologie qui sied à cette pratique pourtant si naturelle. D'eux, il n'est rien à espérer. Les impératifs de la santé physique ou de la forme sportive excluent toute dimension culturelle. Il n'est pas question de mélanger les torchons et les serviettes réservées à la douche.

Parmi ceux qui déambulent seuls, le portable leur tient lieu de boussole, d'autoradio ou de partenaire. Il n'est pas question de couper ce lien avec le lointain pour accorder un regard au tout proche. Ils passent, le nez sur l'écran, étonnement capables d'éviter les obstacles mouvants qui se présentent à eux et auxquels ils dénient le statut d'humain. Alors ce musicien perché, ils ne le voient ni ne l’entendent…

Nano nous enchante de son escapade musicale autour des mots bleus. En dépit de son immense talent, il n'a pas su infléchir la marche de ce monde qui a aboli la sensibilité, la curiosité, l'empathie, l'envie de se poser quelques instants. Derrière lui, l'indifférence va son train et c'est fort dommage pour ces gens pressés. Nous autres profitons pleinement de ce moment en suspension avec ce magicien perché. Nous nous sommes posés loin de ce va-et-vient compulsif d'une société qui court à sa perte.

À contre-sens.

Photographies de Clodelle Claudine

 


Lire l'article complet, et les commentaires