Jour de match

par C’est Nabum
lundi 15 mai 2023

 

Superstitieux ? Moi, jamais …

 

Des années durant, que ce soit sur le pré ou bien sur le banc, le jour de match donna lieu à une étrange suite de comportements qui échappent totalement à toute explication rationnelle. Pourtant, bien que la victoire ne fût pas toujours au rendez-vous, il n'était pas question de déroger à ces rituels dont le déroulé n'a nul fondement sportif.

Le temps a effacé les traces, mon ovalité a pris des rondeurs, s'estompant au fil d'autres préoccupations qui supplantèrent une longue période, plus parsemée d'échecs retentissants que de succès glorieux. C'est sans doute que je n'avais pas mis tous les atouts de mon côté dans la succession de ces rituels dérisoires pour inverser la balance.

Ce passé, je vais ici le dévoiler, assumant le risque du ridicule pour les gens ordinaires pour rassurer les compétiteurs qui n'osent avouer à leur entourage à quel point, ce jour-là, ils perdent totalement pied avec la rationalité. C'est donc à eux seuls que je m'adresse pour leur prouver qu'ils ne sont pas seuls à perdre ainsi les pédales…

Le réveil était primordial. Il fallait qu'il se déroule dans une chronologie et des conditions qui ne supportaient aucune modification. Le petit déjeuner ouvrait le bal de la maniaquerie chronique. Un seul bol convenait ce jour-là. Hors de question d'en prendre un autre quitte à le chercher, le laver, le vider s'il était occupé à autre chose que m'ouvrir les portes de la victoire.

Le repas était, ça va de soi, fort différent des autres jours. Ne cherchez nul motif diététique ou énergétique, bien au contraire. Le n'importe quoi était de rigueur et je préfère taire cet aspect des choses. Puis, sauf lointain déplacement qui supposait que ce ne fut pas possible, il me fallait être devant mon petit écran pour regarder « Rencontre à quinze » simplement pour me mettre dans l'ambiance, sans que cette émission soit incontournable.

La toilette s'imposait avant de me vêtir pour me rendre au terrain. Là, je tombais par la bêtise la plus consommée. Il n'était pas question de changer quoi que ce soit à la panoplie qui me couvrira des années durant. Des sous-vêtements à l'éternel pull camionneur noir qui en dépit de son usure, restera toujours sur mon dos durant des décennies. Il s'effilocha lentement, un peu à la manière des succès incertains.

Le départ était naturellement dépendant de ma destination. C'est lors de mes années berrichonnes avec le déplacement vers Vierzon, que je touchai vraiment aux rituels les plus codifiés. Le premier rendez-vous, Mathieu qui m'accompagna comme joueur quatre années durant, le passage pour un premier café et l'achat de l'Équipe, sans que la journée me laisse le temps de lire ce journal, la pause à l'autoroute pour embarquer les orléanais, le voyage avec l'incontournable arrêt pour un café de plus. Le petit crochet à Lamotte pour venir chercher Dominique, entraîneur de l'équipe réserve. Toute modification provoquant angoisse, inquiétude et tension.

Au stade, la liste des passages obligés, des comportements réitérés d'une fois à l'autre serait trop fastidieuse. Cela confine la folie pure et pourtant, je voulais toujours donner l'image d'un individu d'une grande rationalité, préparant son discours d'avant match, établissant des statistiques, agrémentant le vestiaire de proverbes alors que tout se jouait dans une succession de gri-gri dérisoires.

Tout avait son importance : le même chronomètre, la même tablette pour les notes, la même tenue sur le banc, le même début d'échauffement. Tout était codifié, figé dans un marbre qui bien souvent enterra bien des illusions. Puis le match débutait, comme une pièce jetée en l'air dont on attend qu'elle tombe sur la bonne face.

La suite par contre était très dépendante du résultat. Ce qu'il advenait en cas de succès échappe à tout récit pour éviter les foudres des bien-pensants. Il est d'ailleurs tout à fait inutile de vous en faire part, vous ne me croiriez pas. Par contre, la défaite m'était parfaitement insupportable et me plongeait dans une humeur exécrable qui me fit souvent dire plus d'âneries que nécessaire.

Dans les deux cas, le soir de match, à l'heure du bilan, il n'y avait pas de quoi être fier d'une telle succession de comportements déviants ou inconsidérés. Encore heureux que jamais mes élèves, le lundi matin, ne se soient imaginés ce qu'avait fait leur professeur.

À contre-raison.

Illustrations

Lucie LLONG


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