La mère Paulette

par C’est Nabum
vendredi 22 juillet 2022

 

Parabole des casseroles.

 

Paulette était une figure incontournable de la petite cité. Pour tout le monde et surtout les enfants du bourg, elle était la mère Paulette, une manière de la désigner qui fleurait bon la bonhommie et la gouaille qui ne manquaient jamais d'émaner de cette personne truculente, bavarde et fort gironde. Quand on la croisait dans la rue, chacun savait qu'il allait ne pas pouvoir en placer une, que durant de longues minutes, elle ferait avec humour et bienveillance, le tour de tous les potins de l'endroit.

Qu'importe ce léger travers, la mère Paulette était largement pardonnée puisqu'elle régalait tous les gamins des écoles de ces fameux petits plats qu'elle préparait avec amour. La cuisine chez elle, c'était une seconde nature, un savoir-faire hérité de la grande tradition sans que nul apprentissage et encore moins d'école ne soient venues lui enseigner les règles en usage dans les collectivités. Elle mitonnait comme elle papotait, avec une délectable gourmandise, l'inventivité de la parcimonie bienveillante, l'amour des petits plats dans les grands.

Manger à la cuisine comme si c'était tous les jours un repas du dimanche sans ostentation ni produits prétentieux, tel était l'art qu'elle mettait au service de tous les enfants et des quelques privilégiés qui profitaient de son auberge, elle qui pourtant n'était qu'une cantinière. Les maîtres d'école, les employés municipaux n'avaient de cesse de vanter la qualité du repas et témoignaient qu'avec Paulette aux fourneaux, les enfants se régalaient et mangeaient de tout.

Quand les normes sont venues s’immiscer dans les pratiques habituelles de la cuisinière, qu'on lui a parlé de marche en avant et autres règles d'hygiènes aux prétentions scabreuses, quand on lui a demandé de jeter ce qui n'avait pas été consommé, la ménagère soucieuse de ne pas gaspiller et de toujours faire au mieux, se dit que ceux qui pondaient de pareilles sornettes n'avaient sans doute jamais aimé manger.

Elle se plia plutôt moins bien que mal à ce qu'en haut lieu on lui imposait au risque de la mettre à pied. Monsieur le Maire qui avait toujours préféré fréquenter les grands restaurants que sa cantine scolaire lui montrait des gros yeux qui n'étaient pas plus gros qu'un ventre qui ne savait pas apprécier les bonnes choses simples. Avec ce triste personnage, elle fut contrainte de préparer des repas diététiques qui lui restaient en travers de la gorge et aussi au fond des assiettes.

Naturellement c'est à elle qu'on fit reproche de ces premiers gaspillages. Un phénomène qui n'était jamais survenu du temps où elle n'avait nulle directive quant à l'établissement de ses menus. Elle ne sentit pas venir le vent du boulet tandis qu'au conseil municipal, le premier magistrat évoquait le progrès, la rentabilité, les bienfaits de la liaison froide et des économies d'échelle. Il parla si bien que les conseillers votèrent l'abandon de la cantine au profit d'une société privée de nourrissage à la chaîne.

Paulette n'aurait plus qu'à faire réchauffer les plats et servir les enfants pour compenser sa nouvelle inactivité. La pauvre femme en perdit sa joie de vivre et même, chose surprenante que personne n'aurait imaginé ici : l'appétit. Le plus surprenant encore fut que son cas fit tache d'huile même si les oléagineux avaient disparu du menu. Les enfants boudaient devant des plats insipides tandis que le gaspillage avait rattrapé les normes nationales.

Le Maire était ravi, sa cantine désormais ressemblait à toutes les autres : bruyante certes et porteuse d'une réputation peu flatteuse mais beaucoup moins fréquentée, boudée par les commensaux et même les enfants. De quoi réaliser de nouvelles économies tout en proposant de très nombreux restes à un garde-chasse de ses connaissances. Il faisait ainsi d'une pierre deux coups.

Quant à cette pauvre mère Paulette, elle perdit même le goût des potins. Elle traînait sa misère et sa carcasse amaigrie. Elle plongea même dans une dépression qui fit redouter le pire pour elle. Monsieur l'échevin saisit ce prétexte pour lui imputer deux ou trois fautes professionnelles sur le dos (la pauvre venant malgré son état au travail) et eut raison d'elle en la mettant à pied. Il put ainsi la remplacer par une charmante jeune femme pour laquelle, il espérait en retour quelques faveurs.

Paulette n'était plus rien qui vaille. Elle ne resta pas dans ce pays qui lui avait tourné le dos. Elle alla dépérir loin de sa région, vivant chichement et ne voyant personne. C'est véritablement une toute autre femme qui tira sa révérence à un monde qui avait basculé dans une époque qui la laissait sur sa faim. Au village, sa mort passa inaperçue, l'oubli avait fait son œuvre …

Monsieur le premier magistrat se rêva d'un destin national. Il se présenta à la députation fort de toutes ses mesures qui avaient fait basculer son village dans un autre monde. Les gens sont ingrats voyez-vous, il fut largement battu même dans son pré carré. Il dirigea d'autant moins cet affront que quelques anciens avaient glissé dans leur enveloppe des bulletins au nom de Paulette. Ce fut un coup fatal, plus dur à digérer que cette odieuse liaison froide conçue par un ami politique qui lui avait hérité d'un fauteuil de sénateur. En voilà un au moins qui bénéficiait de l'excellent restaurant du Palais du Luxembourg !

À contre-faim.


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