Adolf Hitler et l’islam : une fascination trouble au cœur de la machine nazie

par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
jeudi 10 avril 2025

Adolf Hitler voyait-il dans l’islam et son prophète Mohammed une inspiration pour son Reich millénaire ? Loin des clichés, une fascination étrange émerge des confidences du Führer et des calculs de ses lieutenants. Entre éloges d’une religion "guerrière" et alliances avec des figures comme le grand mufti de Jérusalem, le nazisme a flirté avec l’islam dans un mélange d’admiration et de cynisme.

 

Une fascination idéologique : l’islam et Mohammed dans l’esprit d'Adolf Hitler

Adolf Hitler ne cachait pas son mépris pour le christianisme, qu’il jugeait "mou", "faible", "efféminé" et inadapté à ses rêves de domination. L’islam, en revanche, exerçait sur lui une attraction singulière, qu’il exprimait dans des conversations privées consignées dans Libres propos par Martin Bormann, l'éminence grise du IIIe Reich. "L’islam est une religion d’hommes, une religion qui enseigne la lutte et la conquête", déclarait-il en 1942, admirant profondément ce qu’il percevait comme une foi capable de forger et galvaniser des guerriers. À Albert Speer, son architecte et ministre de l'Armement, il confiait : "Si les Arabes avaient triomphé à Poitiers, leur religion aurait donné aux Germains une vigueur que le christianisme leur a refusé". Cette vision, déformée par son prisme militariste, faisait de l’islam un idéal fantasmé.

 

 

Cette fascination s’étendait au prophète autoproclamé Mohammed, fondateur de l'islam, que le Führer évoquait avec une révérence inattendue. "Mohammed était un grand homme, un chef qui a su unir des tribus dispersées en une force invincible", aurait-il dit lors d’un dîner en 1941, selon les notes de Martin Bormann. Il voyait dans le fondateur de l'islam un modèle de domination autoritaire, un conquérant dont la réussite contrastait avec ce qu’il appelait "la faiblesse des prêtres chrétiens". Pourtant, cette admiration restait abstraite : Hitler ne connaissait l’islam que par des lectures superficielles, souvent tirées d’ouvrages orientalistes ou de récits militaires, et non d’une étude sérieuse de ses textes ou de sa théologie.

Heinrich Himmler, quant à lui, amplifiait cette vision avec un zèle pragmatique. "L’islam promet le paradis à ceux qui tombent au combat ; c’est une religion faite pour les soldats", affirmait-il dans une directive interne aux SS en 1943. Féru d’histoire, il comparait Mohammed à un "législateur martial", un écho au Führerprinzip. Mais cette exaltation idéologique se heurtait à la réalité raciale nazie : les Arabes, malgré ces éloges, restaient des "inférieurs" ou des "demi-singes" dans Mein Kampf. Albert Speer notait dans ses mémoires qu’Adolf Hitler, en privé, riait de "ces bédouins incultes", révélant une admiration purement utilitaire, masquée par un vernis de respect.

 

 

Mohammed Amin al-Husseini et l’ombre des alliances

Le grand mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini, incarne le pont entre cette fascination et son application concrète. Lors de sa rencontre avec Hitler le 28 novembre 1941, consignée dans les archives du ministère des Affaires étrangères allemand, le Führer lui assura : "Nous partageons un même combat contre les Juifs et les Britanniques". Al-Husseini, exilé après avoir fui la Palestine mandataire, y vit une opportunité pour son projet nationaliste et viscéralement antisémite. En retour, il offrit son influence, lançant des appels radiophoniques depuis Berlin pour rallier les musulmans à l’Axe, exaltant Hitler comme un "ami de l’islam"

 

 

Cette collaboration ne se limita pas à la propagande. Al-Husseini supervisa le recrutement de la 13e division SS Handschar, composée de Bosniaques musulmans, dont les insignes mêlaient croissant et svastika. Hitler, dans une rare confidence rapportée par Otto Dietrich, son chef de presse, saluait cette initiative : "Ces musulmans savent se battre avec une foi que nos hommes devraient imiter". Pourtant, le grand mufti n’était pas dupe : il savait que son rôle restait subalterne, un pion dans l’échiquier nazi. Gilbert Achcar, dans Les Arabes et la Shoah, nuance son impact : "Al-Husseini était un symbole utile, mais son pouvoir réel était limité face à la machine allemande".

 

 

D’autres figures jouèrent les entremetteurs. Fritz Grobba, diplomate en Irak, tissa des liens avec les nationalistes arabes dès les années 1930, préparant le terrain au coup d’État pro-nazi de 1941. Hitler, dans une note à Ribbentrop, louait cet effort : "Les Arabes, sous une main ferme, peuvent devenir une arme contre l’Angleterre" Mais cette alliance reposait sur des malentendus : les nazis voyaient les musulmans comme des auxiliaires, tandis qu’al-Husseini et ses pairs cherchaient une indépendance que Berlin n’avait aucune intention d’accorder. Une méfiance mutuelle planait, rendant ces liens aussi fragiles qu’explosifs.

 

Une arme géopolitique contre les Alliés

La guerre totale imposait des alliances désespérées, et l’islam devint une carte dans le jeu nazi. En 1941, alors que Rommel reculait en Afrique du Nord et que l’URSS résistait, Hitler déclara à Himmler : "Si nous libérons les musulmans du joug britannique et soviétique, ils se battront pour nous". Cette stratégie visait à enflammer la "ceinture verte" – du Maroc au Caucase – pour déstabiliser les Alliés. David Motadel, dans Les musulmans et la machine de guerre nazie, appelle cette période le "moment musulman" du Reich, où la realpolitik l’emportait sur les dogmes raciaux.

La propagande nazie redoublait d’efforts pour séduire cet auditoire. "L’islam et le national-socialisme partagent une même vision de l’honneur et du sacrifice", clamait un tract distribué en Crimée en 1942. Hitler lui-même, dans une allocution retranscrite par Goebbels, ajoutait : "Mohammed a montré comment une foi peut soulever des peuples contre leurs oppresseurs". Sur le terrain, les Allemands rouvraient des mosquées, organisaient des prières publiques et promettaient la liberté religieuse. Une ironie cruelle venant d’un régime athée et totalitaire. À Kislovodsk, un drapeau vert frappé d’une svastika accueillit les troupes, symbole d’un mariage contre-nature.

Mais cette ambition se brisa sur la complexité du monde musulman. Les nazis surestimaient l’unité de l’islam face à leurs appels. Bernard Lewis note que des milliers de musulmans – 9 000 Palestiniens sous drapeau britannique, des Maghrébins dans l’armée de Charles de Gaulle – choisirent les Alliés, mus par des intérêts locaux ou un rejet du fascisme. Hitler, frustré, confiait à Albert Speer en 1943 : "Ces Orientaux manquent de discipline ; ils ne comprennent pas notre grandeur". L’enjeu géopolitique, audacieux en théorie, s’effrita dans la pratique, révélant les limites d’une stratégie bâtie sur des illusions.

 

Un héritage ambigu et controversé

Les unités musulmanes de la Waffen-SS, comme la division Handschar, laissèrent une trace sanglante, notamment dans les Balkans, où elles massacrèrent des civils serbes et juifs. Hitler, dans une note à Himmler en 1943, s’en félicitait : "Ces hommes prouvent que l’islam peut encore engendrer des combattants féroces". Pourtant, leur efficacité militaire fut inégale : mal équipées et parfois mutines, elles ne changèrent pas la donne. Après 1945, ces soldats furent jugés comme traîtres par les vainqueurs, beaucoup exécutés ou emprisonnés, abandonnés par un Reich défunt.

 

 

Dans le monde arabe, l’ombre de cette collaboration persista. Al-Husseini, bien que discrédité, inspira des récits où Hitler apparaissait comme un libérateur anti-impérialiste. Des journaux égyptiens des années 1950 le comparaient encore à Mohammed, un parallèle absurde mais révélateur d’un ressentiment postcolonial. Les citations d’Hitler sur l’islam, exhumées par des historiens, alimentent encore des débats, certains y voyant une preuve de compatibilité idéologique, d’autres un simple opportunisme.

Cette histoire soulève enfin une exigence éthique : comment la raconter sans caricaturer ? Les paroles d’Hitler – "Mohammed a fait d’un peuple de nomades une puissance mondiale" – doivent être lues dans leur contexte, celui d’un dictateur prêt à tout pour gagner. Elle nous montre des hommes – Hitler fantasmant un islam guerrier, al-Husseini jouant sa dernière carte – pris dans une danse macabre où l’admiration n’était qu’un masque pour la manipulation.

Les mots d’Adolf Hitler sur l’islam et Mohammed – louanges d’une foi "virile" et d’un chef "invincible" – dessinent une fascination aussi sincère que tordue. Mais derrière ces éloges se cachait une instrumentalisation froide, un pari géopolitique qui échoua face à la réalité. Cette histoire, tissée de citations brutes et d’alliances fragiles, nous confronte à l’ambiguïté humaine : un tyran admirant un prophète qu’il ne comprenait pas, des hommes comme al-Husseini cherchant leur salut dans l’ombre d’un monstre. 


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