Dandysme noir au MET gala 2025 de New York - Le vrai dandysme : un mode d’être plus qu’être à la mode !
par Daniel Salvatore Schiffer
samedi 10 mai 2025
DANDYSME NOIR AU MET GALA 2025 DE NEW YORK
LE VRAI DANDYSME :
UN MODE D’ÊTRE PLUS QU’ÊTRE A LA MODE !
L’idée du célèbre MET gala de ce 5 mai 2025 était certes, au départ, excellente, parfaitement légitime, originale sur le plan esthétique et fondée sur le plan historique : mettre à l’honneur le dandysme noir, cette révolte par l’élégance que revendiquèrent les Afro-Américains lorsqu’ils vivaient, entre les XVIIIe et XIXe siècles, sous l’abominable joug de l’esclavage.
Mais, hélas, comme il arrive souvent au firmament des bonnes intentions, la mise en pratique n’est pas toujours à la hauteur des ambitions théoriques. C’est là ce qui s’est passé, au grand dam des vrais connaisseurs de l’authentique dandysme, lors de ce fameux gala organisé, à grand renfort de publicité et autres mondanités, de cette vénérable institution qu’est le MET new-yorkais.
LE MAUVAIS GOÛT EN GUISE DE PARANGON STYLISTIQUE
Quel manque de classe ! Un festival, consternant, d’incongruités ! Un sommet, à de rares exceptions près, de mauvais goût, où un luxe tapageur faisait malencontreusement là, de manière parfois vulgaire, d’office de prétendu parangon stylistique ! Le triomphe du bling-bling, assorti de narcissiques strass de pacotille, auprès duquel même le plus extravagant des bûchers des vanités ferait pâle figure. Autant dire que les nombreuses stars (de Rihanna, affublée là d’un très disgracieux nœud sur son séant, à Madonna, y prenant une pose faussement provocatrice en exhibant un ridicule cigare, en passant par Angèle, dont on se demande ce qu’elle faisait en cet aréopage) qui on ainsi cru illuminer ce beau ciel étoilé du très stylé dandysme noir (dont l’ancien Président des Etats-Unis d’Amérique, Barack Obama, est à l’inverse, par ses mises toujours impeccables, un des plus illustres représentants), cette soirée-là, n’auront trop souvent fait que le clinquant mais pathétique lit du plus kitsch, à la limite de la trivialité, des défilés bas de gamme !
Car, oui, la profonde et vraie philosophie du dandysme, qu’il soit noir ou blanc, sobre ou coloré, visuel ou discret, c’est bien, en matière d’élégance tout autant que de raffinement – de style, en un mot –, bien autre chose !
Il n’est d’ailleurs pas facile de définir le dandysme, du moins si, exigeant sur le plan philosophique, l’on veut échapper aux clichés, effets de mode ou jugements stéréotypés, et, par là même, à ces images de papier glacé, trop lisses pour en sonder la véritable profondeur, que donnent à voir la plupart de nos magazines. De ce point de vue-là, Marie-Christine Natta, qui, elle non plus, n’aime guère les visions éculées à ce sujet, a raison de dire, dans La Grandeur sans convictions. Essai sur le dandysme, qu’il s’avère pratiquement impossible, tant il se révèle aussi complexe que protéiforme, de circonscrire le dandysme de manière univoque. Elle y observe : « Qui est dandy ? (…) Les dandys toujours mouvants, toujours différents, narguent les académies et se dérobent à toutes les curiosités. La multiplicité de leurs individualités fait d’eux des êtres absolument atypiques. Et le masque du mystère voile le secret de leur nature. »
PHILOSOPHIE DU DANDYSME
Telle est précisément la raison – cette lacune à combler – pour laquelle j’ai naguère publié, entre autres livres sur ce thème, une Philosophe du dandysme, significativement sous-titrée Une esthétique de l’âme et du corps, ainsi qu’un Manifeste Dandy : essais où je m’employais à conférer à ce même dandysme une définition aussi claire et juste, par-delà sa concision, que possible : faire de sa vie une œuvre d’art, et de sa personne une œuvre d’art vivante !
Ce trait quintessentiel du dandysme, c’est le dandy le plus flamboyant de son temps, Oscar Wilde, qui l’a, au premier chef, inspiré. Et ce, à partir, quoique légèrement déplacé en la circonstance, de l’un des aphorismes les plus célèbres de ses subversives mais pénétrantes Formules et maximes à l’usage des jeunes gens : « Il faut soit être une œuvre d’art, soit porter une œuvre d’art. »
Ainsi s’exprime donc encore, à ce propos, Oscar Wilde dans Le Portrait de Dorian Gray, roman phare de l’Angleterre victorienne, lorsque, y faisant parler là lord Henry Wotton, son alter ego littéraire, il énonce, tel un indéfectible principe, cette position existentielle, caractéristique du dandysme justement : « Il arrive qu’une personnalité complexe prenne la place et joue le rôle de l’art, qu’elle soit en vérité, à sa façon, une véritable œuvre d’art, car la Vie a ses chefs-d’œuvre raffinés, tout comme la poésie, ou la sculpture, ou la peinture. »
Conclusion, à en croire ces émérites théoriciens du vrai dandysme, le seul qui vaille, tant sur le plan philosophique qu’artistique et, a fortiori, esthétique ? Un mode d’être, bien plus qu’être à la mode ! Mieux : le dandy, personnage authentiquement libre, sinon foncièrement rebelle, voire transgressif, précède, invente et crée même, bien plus qu’il ne la suit, la mode !
LE DANDY : ARBITRE DES ELEGANCES
Que le dandysme fût donc un mode d’être, bien plus, inversant l’équation sémantique, qu’être à la mode, c’est là ce que postule également, à l’orée du dandysme originel, Barbey d’Aurevilly lorsqu’il brosse, dans ce qui peut être légitimement considéré comme la première théorie, historiquement, du dandysme, le portrait de Lord Brummell, que ses contemporains désignaient volontiers, à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, sous l’évocateur et double qualificatif de « prince des dandys » et « arbitre des élégances ». De fait, commence par écrire, circonspect lui aussi quant à possibilité de définir de manière unilatérale l’essence du dandysme, Barbey dans Du Dandysme et de George Brummell (1845) : « Il fut le Dandysme même. Ceci est presque aussi difficile à décrire qu’à définir. Les esprits qui ne voient les choses que par leur plus petit côté, ont imaginé que le Dandysme était surtout l’art de la mise, une heureuse et audacieuse dictature en fait de toilette et d’élégance extérieure. Très certainement c’est cela aussi ; mais c’est bien davantage. Le Dandysme est toute une manière d’être, et l’on n’est pas que par le côté matériellement visible. C’est une manière d’être, entièrement composée de nuances (…) »
Baudelaire, près de vingt ans après, ne dit pas, fondamentalement, autre chose lorsque, prolongeant cette réflexion de Barbey, il déclare dans l’emblématique chapitre IX, intitulé Le Dandy, de son Peintre de la vie moderne (1863) : « Le dandysme est une institution vague, aussi bizarre que le duel, très ancienne (…) Le dandysme, qui est une institution en dehors des lois, a des lois rigoureuses auxquelles sont strictement soumis tous ses sujets (…). Ces êtres n’ont pas d’autre état que de cultiver l’idée du beau dans leur personne, de satisfaire leurs passions, de sentir et de penser. »
DE LA DISTINCTION
Baudelaire, dans ce texte apparaissant comme le portrait le plus abouti de celui qu’il appelle le « parfait dandy », précise, tout en y peaufinant son tableau, mettant ici l’accent sur la notion de « distinction » (à entendre dans la double acception du terme : « élégance » et « différence » au sens de se « distinguer » du commun des mortels) : « Le dandysme n’est même pas, comme beaucoup de personnes peu réfléchies paraissent le croire, un goût immodéré de la toilette et de l’élégance matérielle. Ces choses ne sont pour le parfait dandy qu’un symbole de la supériorité aristocratique de son esprit. Aussi, à ses yeux, épris avant tout de distinction, la perfection de la toilette consiste-t-elle dans la simplicité absolue, qui est, en effet, la meilleure manière de se distinguer. »
Et, de fait, c’était déjà là ce que, trente ans auparavant, avait prôné un de ses plus illustres contemporains en matière de littérature : Balzac dans son brillant Traité de la vie élégante (1830), lorsqu'il y proclame que « l'effet le plus essentiel de l'élégance est de cacher les moyens. » !
UNE ESTHETIQUE DE L’ÂME ET DU CORPS
Ce mode d’être, où la pensée tout autant que l'existence, et la mise aussi bien que l'allure, se voient ainsi magnifiquement décrites, Baudelaire le développe encore, nanti là d’un identique panache stylistique au regard de cet emblématique dandy, dans ce même Peintre de la vie moderne : « C'est bien là cette légèreté d'allures, cette certitude de manières, cette simplicité dans l'air de domination, cette façon de porter un habit et de diriger un cheval, ces attitudes toujours calmes mais révélant la force (...) de ces êtres privilégiés en qui le joli et le redoutable se confondent si mystérieusement. », y spécifie-t-il.
Mais, de tous les grands dandys historiques, c’est sans aucun doute Oscar Wilde, une fois de plus, qui a le mieux circonscrit ce mode d’être, dont il met en exergue, de façon admirable, la primauté, au détriment d’une trop superficielle mode à suivre, dénuée de tout esprit critique, voire de réelle exigence artistique, sans même parler de ses éventuelles carences en matière de canons esthétiques. Ainsi, insistant là sur l’un des traits psychologiques les plus saillants de son jeune et beau héros, écrit-il dans son Portrait de Dorian Gray : « Bien entendu, la mode, qui confère à ce qui est en réalité une fantaisie une valeur provisoirement universelle, et le dandysme qui, à sa façon, tente d’affirmer la modernité absolue de la beauté, le fascinaient. Sa façon de s’habiller et les styles particuliers qu’il affectait de temps à autre influaient fortement sur les jeunes élégants (…) ; ils copiaient tout ce qu’il faisait, et tentaient de reproduire le charme fortuit de ses gracieuses coquetteries de toilette (…). Il désirait pourtant, au plus profond de son cœur, être plus qu’un simple arbiter elegantiarum qu’on consulterait sur la manière de porter un bijou, de nouer sa cravate ou de manier une canne. Il cherchait à inventer un nouveau système de vie qui reposât sur une philosophie raisonnée et des principes bien organisés, et qui trouvât dans la spiritualisation des sens son plus haut accomplissement. »
Oui, c’est bien cela, en première instance, le vrai dandysme : une esthétique de l’âme et du corps, pour qui l’extériorité de la personne – son « paraître » – n’est, en cette phénoménologie, que la manifestation sensible, tangible ou visible, de son intériorité – son « être » – le plus secret, comme si ce secret confinait là au sacré.
C’est dire si cette sorte de métaphysique du dandysme, fut misérablement profanée lors de cet ultime gala, le 5 mai dernier, du MET !
LE GRAND STYLE DU PHILOSOPHE-ARTISTE
Mieux : c’est, en dernière analyse, cette paradigmatique figure du philosophe-artiste telle que la dessine Nietzsche tout au long de son œuvre, et en particulier dans son célébrissime Ainsi parlait Zarathoustra (1890), qui se profile, à travers ce qu’il appelle ici le « grand style », en cet idéal dandy !
Conclusion ? Rien à voir donc, cette philosophie du dandysme telle qu’on la voit à l’œuvre tant chez Baudelaire ou Brummell que chez Wilde ou Barbey d’Aurevilly, pour ne s’en tenir qu’à cet historique carré d’as en matière de dandysme, avec cette grotesque farce que fut donc ce non moins grossier défilé (où le sympathique Omar Sy ne songeait manifestement là, à entendre son bref commentaire, qu’au supposé régal des mets à ingurgiter), ce 5 mai dernier, lors de ce parodique gala, tant par ses outrances vestimentaires que par sa superficialité intellectuelle, du pourtant très prestigieux MET de la Big Apple !
FIGURES DU DANDYSME MODERNE ET CONTEMPORAIN
Mais à Dieu ne plaise : tout le monde ne peut certes pas être, pour actualiser ici aussi, et la dépoussiérer ainsi quelque peu, cette magnifique figure, David Bowie, Andy Warhol, Bryan Ferry, Karl Lagerfeld, Yves Saint- Laurent, Mylène Farmer, Amy Winehouse, Sharon Stone, Alain Delon, Luchino Visconti, Serge Gainsbourg, Bashung ou Prince, qui, eux, morts ou vivants, solaires ou tragiques qu’ils soient, s’avèrent, en éternels esthètes, d’authentiques dandys, dans leur existence tout entière et pas seulement l’éphémère temps d’un parterre mondain, au sein des XXe et XXIe siècles !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, écrivain, auteur de nombreux livres sur le dandysme, dont Philosophie du dandysme – Une esthétique de l’âme et du corps » (PUF), Le dandysme, dernier éclat d’héroïsme (PUF), Le Dandysme – La création de soi (Editions François Bourin/Les Pérégrines), Manifeste Dandy (Editions François Bourin/Les Pérégrines), Petit Eloge de David Bowie – Le Dandy absolu (Editions François Bourin/Les Pérégrines), Oscar Wilde – Splendeur et misère d’un dandy (Editions de La Martinière), Traité de la mort sublime –L’art de mourir de Socrate à David Bowie (Editions Alma/Le Condottiere), L’Ivresse artiste – Double portrait : Baudelaire-Flaubert (Editions Samsa), Oscar Wilde (Gallimard-Folio Biographies), Lord Byron (Gallimard-Folio Biographies).