L’extrême droite monte...
par Paul ORIOL
jeudi 1er mai 2025
Après les dernières élection législatives, le Rassemblement national (RN) est devenu le premier parti en voix et en sièges à l’Assemblée nationale (AN). Cette montée de l’extrême droite (ED) ne se limite pas à la France. Elle touche plus ou moins tous les pays de l’Union européenne (UE).
En 2025, l'Extrême droite est au pouvoir dans trois pays de l'UE : Hongrie depuis 2010, Italie, 2022, Belgique, 2025. Elle participe aux coalitions gouvernementales dans trois pays : Slovaquie, 2023, Finlande, 2023, Pays-Bas, 2024.
Un parti soutient le gouvernement sans y participer, Suède, 2022.
Les élections européennes permettent de mesurer sa place dans plusieurs pays : Pologne, PiS 36,16%, Danemark, Parti populaire danois 26,7%, Lettonie, NA 22,07%, Roumanie, AUR 14% et SOS Roumanie 4%, Lituanie, NA 14,97%, Estonie, EKRE 14,8%, Bulgarie, Vazrzhdadane 13,98%, Irlande, Independent Ireland 13,97%, Chypre, ELAM 11,19%, Espagne, Vox 10%, Portugal, Chega 9%, Croatie, DP 8,82%, Slovaquie, Hlas 7,18%, Tchéquie, Spd 5,73%.
Au Parlement européen (PE), les ED obtiennent au total 187 sièges sur 720 (26% contre 18 % dans le parlement précédent). Soit un gain de 54 sièges par rapport à la mandature précédente. Au dépens de Renew (1) qui passe de 108 sièges à 77, de l’Alliance progressistes socialistes et démocrates de 154 à 136 et des Verts de 74 à 53.
En plus des pays où l’ED participe ou apporte son soutien, sans participer, au gouvernement, la situation est préoccupante en France, en Autriche et en Allemagne.
France ; après les dernières législatives, le RN est le premier parti par le nombre de voix au premier tour, 29,26% des voix, 33,15% avec ses alliés devant le Nouveau Front populaire, 28,06%, Ensemble (majorité présidentielle), 20,04%, les Républicains et alliés, 10,23%... Le RN, premier parti à l’AN par le nombre de sièges.
Autriche : le parti FPÖ, fondé en 1955 par d'anciens nazis, a obtenu 25,7% de voix aux européennes de juin 2024 et 28,85% aux législatives de septembre contre 17,2 % en 2019, confirmant sa place de premier parti national. Sociaux-démocrates, Libéraux et Conservateurs, ont formé un nouveau gouvernement de coalition, dirigé par les Conservateurs.
Allemagne : l’AfD qui entretient des rapports avec les néo-nazis, a obtenu 15,9% des voix aux européennes et 20,28% aux législatives de février 2025 contre 10,34 en 2021. L’AfD devient le deuxième parti allemand en voix et en sièges de député au dépens des Verts qui reculent (de 14,7% en 2021 à 11,6 en 2025), des sociaux-démocrates (SPD) qui s’effondrent (16,4%, pire score depuis 1890) et des libéraux, éliminés du Bundestag ! Conservateurs, CDU-CSU et SPD vont former un gouvernement de coalition qui succédera au gouvernement de coalition sortant SPD, Verts, Libéraux !
Il y a 15 ans, le gouvernement hongrois indignait, maintenant il apparaît précurseur !
Pourtant, la seconde guerre mondiale s’est terminée par la création de l’Organisation des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui voulaient faire croire à la victoire des démocraties et à leur expansion comme norme de gouvernance…
Ce qui est loin d’être le cas, des dizaines d’années plus tard.
Dans la première moitié du XXème siècle, deux guerres mondiales d’origine européenne ont entraîné entre 80 et 100 millions de morts dans le monde. En 1945, tous les peuples qui ont subi ces massacres, en ont des images sous les yeux, beaucoup de souvenirs dans la chair. Et découvrent l’horreur des camps d’extermination nazis.
Dans ce climat, l’extrême droite ne peut assumer ni son passé, ni ses convictions.
Plus jamais ça ! Plus jamais ça !
Il faut faire quelque chose en Europe. L’Europe doit faire quelque chose. Empêcher tout nouvel affrontement entre Allemagne et France, après trois guerres (1870, 1914, 1940) dont deux mondiales !
Tout est en ruines. Reconstruire ! Construire une union des européens, égaux ? Des peuples ? Des nations ? Des États ?
Par la suite, les conditions sociales s’améliorent et l’Europe commence à se construire.
La réconciliation égalitaire franco-allemande paraît acquise. La guerre entre Européens impossible.
L’équilibre nucléaire entre les États-Unis et l’Union soviétique, de Vladivostok à Berlin, protège les pays européens de la menace communiste à l’extérieur.
La présence de partis communistes à l’intérieur pousse à satisfaire la demande sociale et démocratique des peuples métropolitains pour éviter toute velléité de révolution. Les autres peuples, dominés, sont oubliés ou réprimés quand ils revendiquent l’égalité...
Le nombre de témoins diminue, le fascisme, le nazisme, la guerre sont de moins en moins des souvenirs vivants. Ils sont devenus des faits historiques, des images pieuses. Le poids des mots, le choc des images se sont atténués.
En 80 ans, l’Europe a bien changé. Sans conflit majeur. Disparition du communisme. Important changement social et économique. Difficile décolonisation. Les légitimités politiques, morales s’estompent face à la domination du libéralisme économique.
Les jeux entre États peuvent reprendre.
Qu’est devenue l’Europe des nations de Charles de Gaulle fondée sur la coopération entre États-nations souverains ? Et l’Europe sociale annoncée par Jacques Delors ?
À l’heure de l’intégration économique dans la concurrence libre et non faussée ?
Les gouvernements et les parlementaires français acceptent à Bruxelles les mesures qu’ils rejettent devant leurs électeurs-citoyens, au moment de les appliquer localement.
À la demande de Bruxelles !
Les européistes favorisent ainsi un populisme antieuropéen en dévoyant contre Bruxelles le mécontentement. Qui leur permet cependant de détricoter la politique économique et sociale du Conseil national de la Résistance, appliquée à la Libération : retour à la nation des grands moyens de production, des ressources naturelles et des banques, mise en place d'un système de sécurité sociale garantissant des moyens d'existence pour tous, établissement d'une démocratie économique, amélioration des conditions de travail et des salaires et droits des travailleurs.
Ce détricotage est toujours en cours !
Que penser de l’importance de la défense des intérêts de la France et des Français dans l’UE aux yeux de certains politiques, quand un poste de député au Parlement européen est considéré comme un lot de consolation ou une récompense et que finances et activités de ces élus sont plus orientées vers la politique nationale que vers la politique européenne ?
L'UE ne répond pas aux attentes démocratiques et sociales des citoyens. Que fait-on de leur avis ? Quand on le leur demande ?
L’adoption du projet de Traité établissant une Constitution pour l'Europe a fait l’objet d’un référendum en France (non, 54,7%) et aux Pays-Bas (non, 61,6%). Son avatar, le traité de Lisbonne, a été adopté par voie parlementaire ! Le peuple irlandais a voté non (53,4%) au référendum sur le traité de Lisbonne, il a eu droit à revoter pour dire oui.
Il n’y a pas eu de troisième référendum…
La règle est claire : les citoyens peuvent voter oui ou non à condition de voter oui. Sinon ils doivent revoter ou une autre procédure, plus sûre, est utilisée.
Depuis, prudence en France, aucune nouvelle question n’a été soumise à référendum.
Mauvaise conscience ? En 2008, la Constitution française a été révisée pour permettre un référendum d'initiative partagée. Seulement à la demande d’un cinquième des parlementaires, soit 185, et du dixième des électeurs, soit 4,7 millions !
Conditions telles qu’aucun référendum n’a pu être organisé à ce jour.
Comment croire que les citoyens puissent être satisfaits des représentants qu’ils ont élus ? Comment peut-on s’étonner qu’ils s’abstiennent ou cherchent ailleurs ?
Ils ne le sont pas ! Dans un récent sondage(2) auprès d’une population de 18-34 ans, à la question Vous sentez-vous bien représenté ou écouté par les politiques (qu’il s’agisse du président, des députés ou du maire) ? Les réponses sont : Tout à fait 7%, Un peu 13%, Pas trop 33% et Pas du tout 41%.
Conséquence, cause ? 51% déclarent avoir comme source d’informations les réseaux sociaux et 35% presse, télé ou radio.
Les démocraties en recul !
L'Economist Intelligence Unit (EIU), du groupe britannique The Economist, évalue la qualité de la démocratie dans 167 pays à partir de 60 indicateurs et établit un score de 0 à 10.
L’indice moyen pour le monde est passé de 5,52 en 2006, à 5,17 en 2024 et pour l’Europe de 7,75 à 7,41. Ce qui témoigne d’une détérioration des démocraties.
Selon l’EIU, 7,8% de la population mondiale vit dans un régime démocratique complet (score supérieur à 9), 37,6% dans une démocratie imparfaite (entre 6,00 et 8,99), 15,2% dans un régime hybride (4,00 à 5,99) et 39,4% dans un régime autoritaire (au dessous de 4).
La France, en 26ème position, se situe dans les démocraties imparfaites avec un score en recul de 8,07 en 2006 à 7,99 en 2024. De même que les États-Unis, 28ème, de 8,22 en 2006 à 7,85 en 2024, avant l’arrivée à la présidence de Donald Trump.
De nombreux États démocratiques se trouvent en Europe et, parmi les mieux placés, les États de l’Europe du nord. Les 9 États qui ont un score supérieur à 9 sont dans l’ordre, la Norvège, la Nouvelle Zélande, la Suède, l’Islande, la Suisse, la Finlande, le Danemark, l’Irlande, et les Pays-Bas.
Son 51ème rapport note une progression des libertés dans 21 pays en 2023 et une régression dans 52. Vingt pour cent de la population vit dans des pays libres dont les premiers sont... Norvège, Suède, Finlande, Danemark, Canada, Pays-Bas, Australie, Nouvelle-Zélande, Irlande.
L'Europe et les pays européens, surtout d’Europe occidentale, sont en relative bonne place dans ces 2 classements, même si cette situation se dégrade. Souvent, par suite de la désinformation, des restrictions des libertés civiles, de la corruption...
La montée de l’extrême droite en Europe est liée à cette détérioration des régimes démocratiques qui ne satisfont pas les citoyens. Depuis de nombreuses années, les partis, dits de gouvernement, alternent plus ou moins au pouvoir et conduisent des politiques peu différentes.
En France, les gouvernements n’ont tenu compte ni des gréves importantes qui ont le soutien massif de la population d’après les sondages, ni du référendum, ni des résultats électoraux. Ils continuent la même politique.
Pour attirer des électeurs d’ED, les politiques reprennent la partie la plus contestable de son discours et de son programme et dénoncent l’immigration comme responsable de tous les maux. Ils concoctent avant, pendant ou après chaque élection une nouvelle loi, plus dure que la précédente, insuffisante pour l’ED.
Ces lois successives, ces discours répétés n’améliorent la situation de personne et ne détournent pas ses électeurs de l‘ED. Au contraire, ils lui donnent une certaine légitimité !
L’Europe, les pays européens sont des démocraties relatives, certes insatisfaisantes mais encore des démocraties. Pour les s’améliorer, il faut de grands changements qui ne sont guère annoncés par la majorité des prétendants au pouvoir. Vers plus d'égalité sociale et politique.
Les peuples voient bien que la situation économique, la situation politique, aux niveaux national et international, et leurs conditions sociales se dégradent.
Le mécontentement est détourné des véritables responsables vers ceux qui en sont les victimes. En France, comme dans d’autres pays européens, ce n’est pas la faute des immigrés s’il y a des problèmes dans de nombreux domaines.
Dans le domaine de la santé, par exemple, les problèmes sont multiples et l’immigration et les immigrés n’y sont pour rien.
Si les déserts médicaux s’étendent à une grande partie du territoire national (un numerus clausus dans les études en médecine a été institué en 1971 pour limiter le nombre de médecins, il n’a été annulé qu’en 2021 et il faut une dizaine d’années pour former un médecin), avec allongement des délais d'attente pour obtenir un rendez-vous médical ou une intervention.
Si les services d’urgence sont encombrés et certain fermés par manque de personnel, médical et paramédical.
Si les patients les plus vulnérables renoncent à des soins à cause de leur coût.
Si, la pénurie de certains médicaments perdure depuis des années...
C'est la conséquence de choix politiques, économiques et sociaux aux niveaux national et européen ?
Les mêmes causes, la politique économique et sociale européenne, ayant les mêmes effets, ces problèmes se retrouvent dans d’autres pays européens.
La pénurie de médicaments touchait 26 États membres de l'UE en 2020. Le nombre de médecins est insuffisant en Irlande, Norvège, Autriche… En Espagne, en 2023, près de 850 000 Espagnols étaient en attente d'une intervention chirurgicale. En Allemagne, le plus grand "importateur" de l'UE de médecins étrangers, environ 52 000 dans le pays et plus de 35 000 postes restaient vacants en 2021 !
En France, ils sont environ 27 000, 12% des médecins et le quart viennent d'Algérie. Au R-U. les médecins étrangers viennent surtout d'Inde, du Pakistan et du Nigeria (il y a plus de 300 médecins français).
D’autres secteurs pourraient être pris en exemple pour montrer les insuffisances dans les investissements en recherche et développement (la Chine dépose plus de la moitié des brevets au niveau mondial), dans les industries, (numérique ou écologie où l’Europe se défend avec des règlements justifiés mais n’est pas au niveau des États-Unis ou de la Chine), dans de nombreuses infrastructures, réseau ferré, portuaire, aéroportuaire...
Si la concurrence libre et non faussée, le capitalisme financier ne répondent pas aux besoins économiques et sociaux des peuples de l’UE, ils satisfont d’autres couches de la population.
La fortune totale des milliardaires en Europe a augmenté de 121%, de 2015 à 2024 et leur nombre de 456 en 2020 à 495 en 2024.
Une part importante de l'augmentation des revenus se concentre au sein des 0,001 % les plus riches, dont les revenus ont augmenté de 200 % en moyenne depuis 1980. Les 1 % les plus riches ont vu leur revenu augmenter de 90 % tandis que celui des 10 % les moins riches n'augmentait que de 20 % !
Avec un salaire moyen annuel de 6,7 millions d’euros en 2022, la rémunération des patrons du CAC 40 est ainsi près de 30 % plus élevée qu’en 2019.
Le cas du salaire de Carlos Tavarès soulève de vives polémiques… Depuis son arrivée à la tête de Stellantis, fondé en janvier 2021 à la suite de la fusion de PSA et Fiat-Chrysler, il a touché plus de 100 millions d'euros de rémunération… Malgré ses succès passés, Carlos Tavares a été démis de ses fonctions, en raison de divergences avec le conseil d’administration, notamment sur la gestion du ralentissement des ventes et la chute du cours de l’action.
Les pdg ont plus intérêt à satisfaire les actionnaires que ceux qui font tourner l’entreprise.
En avril, l’occasion de son départ pour cause de résultats décevants, il aurait cependant bénéficié d’un parachute doré de 35 millions d'euros.
L’UE et les États qui la composent sont relativement démocratiques malgré leurs imperfections. Démocratie que les Européens apprécieront peut-être davantage si, comme souvent, ce qu’il se passe aux États-Unis arrive ici, dans quelques année !
Ou plus grave encore.
L’image de l’Europe est fortement dévaluée par le passé colonialiste, impérialiste de plusieurs États, sauf pour les Européens nostalgiques. Son soft power, son pouvoir de rayonnement, est en partie dans sa démocratie politique et sociale. À la fois, insuffisante et menacée.
Pourtant, bien loin des impérialismes dominants actuels, les pays les peuples européens peuvent encore avoir un rôle important à jouer. Ils ont les moyens démographiques, économiques, scientifiques, culturels, idéologiques et le cadre social qu’il faudrait encore améliorer et non détruire…
Mais pour cela, il faut que les Européens, ensemble ou séparément, se mobilisent dans leur pays et dans l’UE pour redresser la barre. Les Européens sont responsables de leur propre avenir démocratique et social dans un parcours à handicap. Le personnel politique, au niveau national ou au niveau européen, a accepté, favorisé le démembrement de l’état social établi après la Seconde guerre mondiale. En contribuant au maintien de l’espoir de liberté, d’égalité, de paix, de prospérité des peuples face aux inégalités toujours croissantes.
L’Europe a toujours d’importants moyens d’entraînement, les demandes d’adhésion des pays européens non membres en témoignent. Certains, hier réticents, préféraient la protection des États-Unis, considérés comme des alliés sûrs. Ils frappent à la porte, aujourd’hui. Ils se sentent menacés et pensent qu’ils ne pourront résister longtemps, isolés.
Les citoyens, les peuples seront-ils à la hauteur pour conserver voire améliorer leur démocratie ? Pour faire face, sans les imiter, aux deux puissants larrons, pleins d’appétit qui veulent annexer, démanteler, sous le regard masqué de soie du troisième ?
1 - Renew Europe est un groupe politique du Parlement européen (PE), successeur de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ADLE), formé le 12 juin 2019, après les élections européennes, en intégrant des membres de la Renaissance (ex La République en marche) et de la liste roumaine USR-PLUS. La Roumanie fait partie des pays membres de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Le seul groupe du PE dont le nom n’est pas traduit en français. Emmanuel Macron ne choisit pas le français !
2 - Parisien 21/04/2025