La malédiction des étoiles : la prophétie de Côme Ruggieri qui a hanté Catherine de Médicis

par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
lundi 31 mars 2025

Dans l’ombre des châteaux de la Renaissance, une reine superstitieuse tremble sous le poids d’une prédiction. Vers 1571, Côme Ruggieri, astrologue florentin et confident de la reine Catherine de Médicis, lui murmure qu’elle mourra "près de Saint-Germain". Ces mots, comme une lame invisible, transpercent la souveraine superstitieuse, la poussant à fuir des lieux, à redessiner des palais, à défier le destin. Mais peut-on échapper aux astres ?

 

Une reine sous l'emprise des astres

Catherine de Médicis n’était pas une femme ordinaire. Née à Florence en 1519 dans la puissante famille Médicis, elle arrive en France à 14 ans pour épouser Henri, duc d'Orléans, second fils de François Ier. Le couple est marié à Marseille par le pape Clément VII, l'oncle de Catherine. Devenue reine en 1547 à la mort de son beau-père, elle se révèle une figure complexe : mère de dix enfants, veuve à 40 ans, régente dans un royaume déchiré par les guerres de Religion. Mais derrière son masque de fer, Catherine cache une âme inquiète, fascinée par l’occulte. L’astrologie, héritage de sa Toscane natale, n’est pas pour elle une simple curiosité : c’est une boussole dans un monde incertain.

 

 

Son entourage ne manque pas de figures savantes pour nourrir cette passion. Nostradamus, dont les quatrains énigmatiques captivent l’Europe, croise son chemin, mais c’est Côme Ruggieri, un Florentin discret, qui devient son éminence grise. Fils présumé de Ruggieri l’Ancien, médecin et astrologue au service de Laurent II de Médicis, père de Catherine, Côme arrive à la cour de France vers 1571. Intelligent, cultivé, il gagne vite la confiance de la reine mère. On raconte qu’il lit dans les étoiles comme dans un livre ouvert, et Catherine, superstitieuse jusqu’à l’obsession, boit ses paroles comme un élixir.

Cette dépendance n’a rien d’anodin. À une époque où la peste, les complots et les trahisons menacent à chaque instant, consulter les astres est un acte de survie. Pour Catherine, marquée par la mort brutale de son mari Henri II en 1559 – une lance dans l’œil lors d’un tournoi, prédite par certains comme Luc Gauric –, les prophéties ne sont pas des chimères. Elles sont des avertissements. Et quand Ruggieri, cet homme au regard perçant, lui annonce qu’elle périra "près de Saint-Germain", la reine sent son cœur vaciller.

 

 

Côme Ruggieri : l’homme de l'ombre

Qui était Côme Ruggieri ? Les archives peinent à dessiner un portrait clair. Né à Florence à une date incertaine, mort à Paris le 28 mars 1615, il apparaît comme une énigme. Certains le disent fils et disciple de Ruggieri l’Ancien, d’autres doutent même de l’existence de ce père illustre, fruit peut-être de l’imagination d’Honoré de Balzac, qui brode autour de lui dans La Confidence des Ruggieri. Ce qui est sûr, c’est qu’il débarque en France dans l’entourage du commandeur Petrucci, ambassadeur toscano-florentin, avant de s’imposer auprès de Catherine.

 

 

Ruggieri n’est pas qu’un astrologue. Il est aussi un homme de cour, un conseiller, un intrigant. En 1572, une dépêche de Petrucci le montre discutant avec la reine des huguenots après la Saint-Barthélemy, preuve de son influence dans les affaires d’État. Mais sa réputation bascule en 1574, lors du complot de La Môle et Coconas. Accusé de sorcellerie pour une figurine de cire supposée représenter Charles IX, il échappe de justesse aux galères, probablement grâce à la protection de Catherine. Plus tard, en 1598, une nouvelle accusation d’envoûtement contre Henri IV le rattrape, mais il s’en sort encore, arguant avoir sauvé le roi lors du massacre de la Saint-Barthélemy, en août 1572.

 

 

L’homme fascine et terrifie. On lui prête des talents d’alchimiste, de devin, voire de nécromancien. À Chaumont-sur-Loire, une légende tenace raconte qu’il aurait montré à Catherine, dans un miroir magique, l’avenir de ses fils : François II, un an de règne ; Charles IX, treize ans et demi ; Henri III, quinze ans. Coïncidence ou génie, ces durées s’avèrent troublantes. Mais c’est la prophétie de "Saint-Germain" qui marque les esprits, transformant Ruggieri en oracle maudit aux yeux de la reine.

 

La fuite d’une reine

La prédiction tombe comme un couperet. "Près de Saint-Germain" : trois mots qui hantent Catherine à partir de 1571. À 52 ans, elle est encore vigoureuse, mais le spectre de la mort la poursuit inlassablement. Superstitieuse, elle agit avec une logique implacable : identifier et fuir tout lieu portant ce nom. Saint-Germain-en-Laye, résidence chérie de François Ier, devient un territoire interdit. L’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, joyau parisien, est rayée de ses itinéraires. Mais le coup le plus dur frappe son projet des Tuileries.

En 1564, Catherine avait lancé la construction de ce palais, près du Louvre, pour en faire un écrin de pouvoir. Pourtant, l’église voisine de Saint-Germain-l’Auxerrois, qui dessert le quartier, la fige d’effroi. Ruggieri aurait-il vu juste ? Sans hésiter, elle abandonne le chantier en 1572, ordonnant la création d’un nouvel hôtel plus sûr, loin de cette paroisse maudite. Ainsi naît l’Hôtel de Soissons, aujourd’hui disparu, sauf pour une étrange colonne de 31 mètres : la colonne Médicis. La rumeur veut que Ruggieri y scrutait les étoiles, guettant le destin de sa protectrice.

 

 

Ce choix n’est pas qu’une lubie. Il révèle une femme prisonnière de ses peurs, prête à bouleverser l’urbanisme parisien pour défier les astres. Pendant vingt ans, elle vit dans cette illusion de contrôle, évitant les "Saint-Germain" comme on esquive un assassin. Mais le destin, lui, attend son heure, tapi dans l’ombre d’un château situé loin de Paris.

 

 

Le dernier acte à Blois

Décembre 1588. Catherine séjourne au château de Blois. Le royaume est en feu : la guerre des Trois Henri – Henri III, Henri de Guise et Henri de Navarre – déchire la France. La reine mère, affaiblie mais lucide, assiste à l’assassinat de Guise, orchestré par son fils Henri III. Elle croit encore tenir les rênes. Pourtant, un froid mordant s’installe dans ses os. Une fièvre la cloue au lit. À 70 ans, un âge exceptionnel pour le XVIe siècle, elle sent la fin approcher.

 

 

Consciente mais confiante, elle plaisante presque avec son fils. "Pas de Saint-Germain ici, Henri !" lance-t-elle, un sourire crispé aux lèvres. Elle demande un prêtre pour l’extrême-onction, une précaution de routine. Un jeune abbé se présente, un inconnu du château. "Votre nom ?" murmure-t-elle. "Julien de Saint-Germain", répond-il. La reine blêmit. Ses mains tremblent. La prophétie, qu’elle avait cru déjouer, la rattrape dans ce lit glacial. Le 5 janvier 1589, elle s’éteint, terrassée autant par la maladie que par l’effroi.

 

 

Était-ce une coïncidence ? Julien de Saint-Germain existait-il vraiment ? Les chroniqueurs de l’époque, comme Pierre de L’Estoile, évoquent cet épisode sans certitude. Certains y voient une fable forgée après coup pour dramatiser la fin de Catherine. D’autres, comme Eugène Defrance dans Catherine de Médicis, ses astrologues et ses magiciens, y lisent la preuve de l’emprise de Ruggieri. Quoi qu’il en soit, l’histoire prend une teinte shakespearienne : une reine défiant le ciel, vaincue par un nom surgi des ténèbres.

 


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