Philippe d’Orléans : le frère scandaleux de Louis XIV, entre fards et passions interdites

par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
samedi 29 mars 2025

Dans l’ombre écrasante du Roi-Soleil, Philippe d’Orléans, dit "Monsieur", a illuminé la cour de Versailles d’une lumière bien différente : celle d’un prince audacieux, extravagant et ouvertement homosexuel dans une époque où la sodomie pouvait mener au bûcher. Frère cadet de Louis XIV, il a défié les normes, porté des perruques poudrées et des rubans, aimé des hommes sans détour, tout en assumant son devoir dynastique avec deux épouses.

 

Un prince dans l’ombre du Soleil

Philippe de France voit le jour le 21 septembre 1640 à Saint-Germain-en-Laye, deux ans après son frère aîné, Louis-Dieudonné, futur Louis XIV. Fils de Louis XIII et d’Anne d’Autriche, il est un miracle tardif pour une reine de 39 ans, qui n’espérait plus enfanter. Baptisé à huit ans dans la chapelle du Palais-Royal, il porte d’abord le titre de duc d’Anjou, avant de devenir, en 1660, duc d’Orléans à la mort de son oncle Gaston, héritant ainsi du prestigieux apanage de "Monsieur", réservé au frère puîné du roi. Mais dès ses premières années, son destin semble tracé pour rester en retrait : second fils, il est l’héritier présomptif jusqu’à la naissance du Grand Dauphin en 1661, une position fragile dans une monarchie absolue où seul le roi brille.

Son éducation, confiée à Anne d’Autriche et au cardinal Mazarin, est singulière. Une légende tenace, relayée par le duc de Saint-Simon et nuancée par les historiens modernes comme Elisabetta Lurgo, raconte que sa mère l’aurait délibérément élevé "en fille" pour éviter qu’il ne rivalise avec Louis. Habillé de robes, entouré de femmes, il grandit dans un univers de soieries et de parfums, loin des champs de bataille ou des conseils royaux. Si cette thèse est aujourd’hui contestée – Philippe n’a pas été systématiquement "féminisé" par calcul politique –, elle reflète une réalité : il développe un goût prononcé pour les parures et les plaisirs, au détriment des ambitions régaliennes. Les mémoires de l’abbé de Choisy, son compagnon d’enfance également travesti, évoquent ces jeux d’enfants où Philippe se pare de bijoux, prémices d’une identité qui marquera son existence.

 

 

Cette enfance dorée, dans l’écrin du Palais-Royal, n’est pas exempte de troubles. La Fronde, cette guerre civile qui secoue la France entre 1648 et 1653, oblige la famille royale à fuir Paris. Philippe, alors petit garçon, suit sa mère et son frère dans des carrosses brinquebalants, loin des fastes versaillais. Ces années d’instabilité renforcent le contrôle d’Anne et de Mazarin sur son éducation, le cantonnant à un rôle décoratif. Pourtant, sous les fanfreluches, un homme complexe se dessine, capable de courage et de loyauté, comme le montreront ses exploits militaires bien plus tard.

 

Une homosexualité assumée : le "vice italien" à la cour

À Versailles, où l’étiquette règne en maître, Philippe d’Orléans fait figure d’exception. Son homosexualité, loin d’être un secret honteux, s’affiche avec une audace qui déconcerte ses contemporains. Saint-Simon, dans ses Mémoires, le décrit comme "un petit homme ventru, monté sur des échasses tant ses souliers étaient hauts, toujours paré comme une femme, plein de bagues, de bracelets et de pierreries". Cette effémination n’est pas qu’apparence : elle traduit une vie amoureuse tournée vers les hommes, dans une société où la sodomie est théoriquement punie de mort. Pourtant, Louis XIV, si rigoriste sur d’autres sujets, tolère les penchants de son frère, signe d’une indulgence rare ou d’une stratégie pour le maintenir à l’écart du pouvoir.

L’initiation de Philippe à ce que l’on appelle alors le "vice italien" – un euphémisme pour l’homosexualité – remonterait à 1658, selon les chroniqueurs de l’époque. Philippe Mancini, neveu de Mazarin, est souvent cité comme son premier amant, introduisant le jeune prince à ces amours interdites. Mais c’est avec le chevalier de Lorraine, un noble lorrain au charme vénéneux, que Philippe vit sa relation la plus durable et la plus scandaleuse. Dès 1668, ce favori domine son entourage, au point que Madame Palatine, sa seconde épouse, le qualifie de "maître absolu" dans ses lettres. Leur liaison, passionnée et tumultueuse, traverse les décennies, marquée par des exils temporaires orchestrés par Louis XIV, qui finit toujours par céder au retour du chevalier, tant Philippe l’exige.

 

 

Cette homosexualité assumée ne se limite pas à des liaisons privées. Philippe se travestit lors de bals, apparaissant en bergère ou en nymphe, au grand amusement – ou effroi – de la cour. Les témoignages, comme ceux de la princesse Palatine ou de Primi Visconti, dépeignent un homme qui joue de son excentricité, transformant sa différence en spectacle. Si cette liberté choque, elle n’est pas unique : la cour de Louis XIV, malgré son apparente rigueur morale, abrite une "gay-friendly" discrète, où prélats et gentilshommes cultivent des amours masculines. Philippe, lui, ne se cache pas derrière des faux-semblants, faisant de son orientation une part intégrale de son identité.

 

Deux mariages, deux épouses : entre devoir et désamour

Malgré ses inclinations, Philippe remplit son rôle dynastique avec un sérieux inattendu. En 1661, il épouse Henriette d’Angleterre, sa cousine, fille de Charles Ier. Surnommée "Minette", elle est une beauté vive et spirituelle, adulée à la cour. Leur union, célébrée au Palais-Royal, débute sous de bons auspices : Philippe, flatté par son éclat, semble d’abord épris. Mais rapidement, les tensions éclatent. Henriette flirte ouvertement avec Louis XIV, son beau-frère, provoquant la jalousie de Philippe. Les rumeurs d’une liaison royale, bien que non prouvées, enveniment leur relation. En retour, Philippe parade avec ses favoris, notamment le comte de Guiche, qu’Henriette séduit pour le narguer. Ce jeu de provocations culmine dans une guerre froide conjugale, où les grossesses fréquentes d’Henriette – huit en neuf ans – deviennent une arme de représailles pour Philippe, qui l’épuise à dessein.

 

 

La mort soudaine d’Henriette en 1670, à 26 ans, alimente les soupçons. On parle d’empoisonnement, orchestré par le chevalier de Lorraine par jalousie. Les chroniqueurs comme Madame de Lafayette amplifient cette "légende noire", mais les historiens modernes, s’appuyant sur l’autopsie de l’époque, penchent pour une péritonite aiguë. Philippe, peu ému, ne tarde pas à se remarier. En 1671, Louis XIV lui impose Élisabeth-Charlotte de Bavière, dite la princesse Palatine, une robuste Teutonne convertie au catholicisme. Leur rencontre est presque comique : elle, massive et franche, lui, frêle et maniéré. Pourtant, une complicité inattendue naît. "Feu Monsieur aimait la parure autant que moi", écrit-elle en 1713, évoquant leurs disputes amusées sur les plus beaux diamants.

 

 

Avec la Palatine, Philippe trouve un équilibre. Elle accepte ses favoris, notamment le chevalier de Lorraine, et ferme les yeux sur ses frasques, tandis qu’il lui offre respect et liberté. Leurs rapports intimes, rares mais efficaces, produisent trois enfants, dont le futur Régent. Une anecdote savoureuse illustre leur entente : lors d’une soirée, Philippe insiste pour lui appliquer lui-même du rouge, transformant la toilette en un rituel complice. Si l’amour charnel est absent, une affection sincère les lie, loin des tourments de son premier mariage.

 

Gloire et jalousie : le guerrier méconnu

Sous ses atours flamboyants, Philippe cache un tempérament de feu. Loin de n’être qu’un courtisan frivole, il s’illustre sur les champs de bataille, défiant les stéréotypes. Lors de la guerre de Dévolution (1667-1668) et de la guerre de Hollande (1672-1678), il commande avec brio, remportant en 1677 la victoire éclatante de Cassel contre Guillaume d’Orange. Ce triomphe, salué par ses soldats qui l’adorent, irrite Louis XIV. Jaloux, le roi lui retire tout commandement militaire, le reléguant à une vie de fêtes. Les mémoires de Saint-Simon notent cette tension : "Le roi ne souffrait pas que son frère brillât ailleurs que dans les salons".

 

 

Cette rivalité fraternelle, bien que contenue, révèle la complexité de leur lien. Philippe aime Louis, le soutient dans ses entreprises, mais souffre de son ombre. Une anecdote rapportée par la Palatine montre cette dualité : lors d’une dispute en 1701 à Saint-Cloud, Philippe reproche à Louis son ingratitude. Quelques heures plus tard, il s’effondre, victime d’une apoplexie. À 60 ans, il meurt le 9 juin, laissant un frère éploré, qui pleure "la moitié de moi-même", selon les mots prêtés au roi par ses proches.

Militaire valeureux, mécène généreux – il enrichit le Palais-Royal et lance le canal d’Orléans –, Philippe bâtit une fortune colossale pour sa maison. Ses descendants, de Philippe Égalité à Louis-Philippe, roi des Français, témoignent de son héritage durable. Pourtant, l’histoire l’a souvent réduit à ses frasques, occultant l’homme derrière le mythe.

 

Anecdotes et vérités : l’homme derrière la légende

La vie de Philippe regorge d’histoires qui oscillent entre réalité et fable. Lors d’un bal masqué, il apparaît en robe verte et perruque assortie, dansant avec une grâce qui fait jaser jusqu’à Madrid. La Palatine raconte, mi-amusée, mi-exaspérée, comment il passait des heures à choisir ses rubans, tandis qu’elle préférait chasser avec Louis XIV. Une autre fois, à Fontainebleau, il s’entiche d’un jeune page, provoquant un scandale que le roi étouffe en riant : "Mon frère est incorrigible !".

Sa relation avec le chevalier de Lorraine offre un éclairage plus intime. Lors d’un exil du favori, Philippe, inconsolable, menace de quitter la cour. Louis cède, preuve de l’influence de cette passion sur la politique royale. Pourtant, Philippe n’est pas qu’un amant éperdu : il est aussi un père attentif, pleurant le mariage de ses filles, qu’il rechigne à voir partir. Sa fille Marie-Louise, mariée au roi d’Espagne, lui écrit des lettres tendres, conservées aux archives, où elle loue sa douceur.

Philippe n’était ni un faible ni un débauché sans âme, mais un prince qui vivait ses désirs avec une liberté rare, dans un siècle corseté par les convenances. Homosexuel flamboyant, époux pragmatique, guerrier frustré, il a traversé le règne de Louis XIV comme une comète, laissant une trace aussi brillante que controversée. Son audace à aimer qui il voulait, à être qui il était, défie les jugements hâtifs des moralistes d’hier et d’aujourd’hui. En croisant les témoignages de ses proches et les analyses des historiens, une vérité émerge : loin d’être une caricature, il fut un homme de son temps, complexe et humain, dont l’éclat mérite d’être redécouvert.

 


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