Quand un pays est tué par un consortium de rapaces

par Omraam
mercredi 30 avril 2025

Une analyse de la scène de crime en Haïti et ailleurs

Liminaire

À travers le prisme d’une métaphore criminologique, cet essai se penche sur la progressive mise à mort de la souveraineté haïtienne, dans un contexte international où intérêts géostratégiques, logiques de remplacement social et guerre silencieuse pour les ressources s’entrelacent. Haïti, à la fois victime, terrain d’expérimentation et miroir d’un nouvel ordre mondial déshumanisant, incarne les dérives d’un système où la géopolitique se pare de discours humanitaires pour mieux exercer la prédation.

Résumé exécutif

Cet article examine les mécanismes visibles et invisibles par lesquels un pays peut être systématiquement affaibli, vidé de sa souveraineté et réduit à une entité dysfonctionnelle au service d’intérêts étrangers. En s’appuyant sur le cas d’Haïti, il identifie les phases historiques de cette mise à mort orchestrée : corruption systémique, instrumentalisation de l’aide internationale, prolifération des gangs armés, disparition des classes moyennes, pillage des ressources naturelles, et cycles sans fin de transitions politiques stériles. L’analyse met en lumière l’existence d’un plan implicite – voire explicite – de remplacement sociétal, fondé sur l’exclusion des couches populaires et moyennes, au profit d’un modèle de gestion néocoloniale. L’objectif ultime de ce processus serait d’imposer un ordre territorialement contrôlé, économiquement rentable et politiquement manipulable.

 

Mots-clés

Haïti – géopolitique – consortium – déstabilisation – ressources naturelles – transition politique – remplacement social – gangs – corruption – néocolonialisme – souveraineté – violence structurelle

 

Introduction : Haïti, autopsie d’un État en sursis

Haïti, premier Empire noir du monde moderne, ne cesse de payer le prix de son insoumission historique. De son isolement économique post-indépendance à la dette imposée par la France en 1825, en passant par les occupations militaires, Haïti a été continuellement punie pour avoir défié les puissances coloniales. Entré dans le XXIe siècle avec des espoirs de renouveau démocratique, le pays s’est retrouvé, paradoxalement, de plus en plus sous tutelle internationale. L’incompétence et la complicité d’une partie de ses élites, associées à une ingérence mal calibrée des puissances étrangères, ont plongé le pays dans une spirale de chaos contrôlé.

La scène de crime haïtienne, loin d’être le fruit du hasard, répond à une mécanique savamment entretenue. Cet article se propose d’en dévoiler les phases, les acteurs et les outils, afin de poser les jalons d’un avenir lucide, non soumis aux illusions de l’assistanat international.

 

I. Corruption et implosion institutionnelle : les prémices du désastre

Depuis les années 1980, le désengagement de l’État haïtien dans des secteurs clés a été favorisé par les institutions financières internationales (Banque mondiale, FMI), qui ont imposé des plans d’ajustement structurels. Ce retrait progressif de l’État a fragilisé les services publics et ouvert la voie à une corruption rampante, souvent encouragée par des circuits d’aide étrangère opaque.

Le séisme de 2010 a représenté un moment charnière. Plus de 13 milliards de dollars ont été promis à Haïti, mais seulement 1 à 2 % ont réellement été gérés par des institutions haïtiennes. L'essentiel de l'argent a transité par des ONG internationales ou des firmes étrangères, alimentant un système parallèle qui a court-circuité les mécanismes nationaux de gouvernance. Ce dysfonctionnement a accru la perception d’un État incapable, renforçant l’idée qu’Haïti devait être gouvernée "de l’extérieur".

La corruption systémique, alimentée par l’impunité judiciaire, a transformé l’État haïtien en une coquille vide, incapable d’assurer ses fonctions régaliennes. Le peuple, témoin et victime de cette décadence, s’est peu à peu détourné de l’idée même de nation.

 

II. Les gangs : substituts d'État et bras armés du chaos

Depuis 2018, la montée en puissance des gangs armés a atteint un niveau inédit. Environ 80 % de la capitale, Port-au-Prince, est aujourd’hui sous leur contrôle. Cette situation n’est pas simplement le résultat de l’absence de l’État, mais bien d’une stratégie implicite : atomiser la population, créer un climat de peur permanente, et empêcher toute organisation populaire structurée.

Ces gangs, pour certains militarisés et liés à des réseaux transnationaux, ne sont pas seulement des acteurs du banditisme : ils participent à une logique de dissuasion collective. En instaurant un état de guerre perpétuelle dans les quartiers populaires, ils accélèrent le processus de désertification sociale. Le déplacement massif des habitants sert indirectement les projets immobiliers, les intérêts portuaires et le contrôle de certaines zones stratégiques.

Plus perversement, la militarisation des gangs permet de justifier des interventions étrangères « humanitaires », souvent en préparation de projets économiques d’envergure. Le chaos devient alors une étape nécessaire à l’installation d’un nouvel ordre économique.

 

III. De l’ingérence à la prédation humanitaire : l’habit neuf du néocolonialisme

Haïti a été le théâtre de plus de 17 interventions militaires et civiles internationales depuis 1915. Mais les missions de l’ONU, notamment la MINUSTAH (2004–2017), ont laissé un lourd passif : scandales de viols, introduction du choléra, protection de régimes corrompus.

Ces interventions, loin de renforcer les capacités nationales, ont introduit une culture de dépendance et de soumission. Elles ont aussi légitimé la gestion haïtienne par des instances étrangères, renforçant le sentiment d’inutilité de l’appareil d’État local.

L’humanitarisme, instrumentalisé à outrance, est devenu une façade pour sécuriser des intérêts économiques, stratégiques ou politiques. Derrière les discours de solidarité se cachent des logiques de prédation, de contrôle et d’expérimentation sociale.

 

IV. Phases de mise à mort d’un pays : dates, ruptures et accélérations

Ces phases s’enchaînent dans une logique de dépouillement progressif : de la souveraineté à l’administration, de l’économie aux symboles de l’État. Le pays n’est plus gouverné : il est géré.

 

V. Le Plan de remplacement des classes pauvres et moyennes

Un processus silencieux mais structuré vise à vider le pays de ses forces vives. Par la terreur, la pauvreté extrême, les incertitudes chroniques, une large partie de la population active a émigré ou est en voie de marginalisation.

Les grandes zones urbaines, jadis populaires, se vident sous la pression des gangs ou sont détruites par les conflits. Elles deviennent des terrains vacants, disponibles pour des projets immobiliers ou touristiques. Les bidonvilles sont appelés à disparaître, non par relèvement social, mais par expulsion systémique.

Les couches moyennes, ancien socle du développement, sont en voie d’extinction. Entrepreneurs, médecins, enseignants fuient le pays ou tombent dans la précarité. Leur disparition prépare un modèle de gestion sans classe intermédiaire : un prolétariat dominé et une élite transnationale hors-sol.

 

VI. Ressources naturelles et guerre invisible : extraction sans développement

Haïti possède de l’or, du cuivre, du marbre, de la bauxite, des réserves maritimes, sans oublier sa position géostratégique dans la mer des Caraïbes. Ces ressources sont connues et convoitées.

Des concessions minières ont déjà été attribuées en toute opacité à des multinationales canadiennes et américaines. Les conditions sont réunies pour une exploitation massive à venir : absence d’État, population désorganisée, besoin de financements internationaux.

Le contrôle des territoires devient donc vital. La guerre contre les pauvres masque une guerre pour le territoire. Les départements du Nord, de l’Artibonite, du Plateau Central et du Sud-Est sont visés. Les conflits communautaires y sont instrumentalisés.

 

VII. Haïti, éternel chantier : la vision des tuteurs internationaux

Haïti est maintenue dans une boucle de transition permanente. Chaque tentative de refondation est interrompue, chaque initiative locale est contournée. L’objectif n’est pas de stabiliser, mais d’empêcher l’émergence d’un État fort et autonome.

Les « tuteurs » internationaux, qu’ils soient diplomatiques ou multilatéraux, préfèrent un État faible mais coopératif à un gouvernement nationaliste et légitime. La multiplication des conférences internationales sur Haïti, sans Haïtiens, en est l’illustration.

Haïti est devenu un espace laboratoire, géré comme une entreprise en difficulté, pilotée à distance.

 

Conclusion : Résister, refonder, renaître

Ce texte n’est pas un réquisitoire désespéré. Il est un acte de lucidité. Comprendre la scène de crime, c’est commencer à y mettre fin. Haïti ne sera sauvée ni par l’ONU, ni par l’OEA, ni par des coalitions d’intervention, mais par un projet politique national, radical, enraciné, courageux.

Il faut rebâtir l’État depuis les communes, réhabiliter la justice, recréer la classe moyenne, sécuriser le territoire, éduquer dans la dignité. Cela passe par une rupture stratégique avec les logiques d’aide, une relance économique souveraine et une refondation institutionnelle.

Haïti peut devenir un modèle post-colonial, à condition d’oser rompre avec les mirages de la dépendance. Le peuple haïtien n’est pas un assisté éternel : c’est une nation en résistance.

 

Bibliographie commentée

 

Amin, Samir

Casimir, Jean

Chomsky, Noam

Étienne, Sauveur Pierre

Fanon, Frantz

Firmin, Anténor

George, Susan

Harvey, David

Hurbon, Laënnec

Jadotte, Hérard

Jason, Muscadin Jean-Yves

Jean, Fritz

Klein, Naomi

Mbembe, Achille

Perkins, John

Piketty, Thomas

Said, Edward

Stiglitz, Joseph

Trouillot, Michel-Rolph

Wallerstein, Immanuel

Ziegler, Jean

Zinn, Howard


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