8 mai 1945 : la fin d’une guerre, le début d’un monde fracturé

par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
jeudi 8 mai 2025

Dans une école de Reims, le 7 mai 1945, des signatures hâtives scellent la fin de la guerre en Europe. L’armistice, effectif le 8 mai, fait taire les canons après six ans de chaos. Pourtant, sous les vivats, des tensions mijotent : l’Allemagne s’effondre, la France jubile, l’URSS bouillonne. Ce moment, dont nous fêtons les 80 ans, cache des rivalités amères, présageant une paix fragile, tissée d’espoir et de méfiance.

 

Une Europe à bout de souffle

En mai 1945, l’Europe est un champ de ruines. Les bombardements ont réduit Berlin à des squelettes de pierre, et les routes grouillent de réfugiés, sacs sur le dos, cherchant un foyer. Les Alliés, unis par la victoire imminente, avancent vers un dénouement. Mais l’unité est de façade. À Yalta, en février, Staline, Roosevelt et Churchill ont dessiné une Europe divisée et les frictions s’aiguisent. Une note du général Eisenhower, conservée aux Archives nationales américaines, révèle son impatience : "Les Russes traînent, ils veulent Berlin à tout prix". La course au Reichstag exacerbe les rivalités.

 

 

À Reims, quartier général du SHAEF (Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force), l’atmosphère est électrique. Les officiers, cigarette au bec, scrutent des cartes sous des ampoules vacillantes. Une anecdote, rapportée dans un journal d’un aide de camp britannique, évoque un pari improbable : un capitaine parie un whisky que les Allemands signeront avant minuit le 7 mai. Ce détail traduit l’attente fébrile. Les Allemands, acculés, savent la fin proche : Adolf Hitler s'est suicidé le 30 avril et l'amiral Karl Dönitz, son successeur, cherche à négocier.

La population, elle, oscille entre espoir et désespoir. À Paris, les drapeaux tricolores fleurissent, mais les tickets de rationnement rappellent la misère. Un courrier intercepté, daté du 5 mai et conservé aux Archives de France, montre une Parisienne écrivant à sa sœur : "On parle de paix, mais mon ventre grogne encore". Cette tension, entre liesse et précarité, donne au moment une saveur aigre-douce, rarement soulignée dans les récits officiels.

 

Reims, 7 mai : une capitulation dans l’ombre

Le 7 mai 1945, à 2h41 du matin, une salle d’école à Reims devient le théâtre de l’histoire. Dans une pièce aux murs nus, sous des néons blafards, le général Alfred Jodl, visage crispé, signe l’acte de capitulation allemande. En face, le général Walter Bedell Smith, pour les Alliés, et Ivan Sousloparov, pour l’URSS, apposent leurs paraphes. Le document, bref, stipule la reddition sans condition, effective le 8 mai à 23h01. Un télégramme d’Eisenhower à Washington, archivé à Londres, résume l’instant : "La mission est accomplie". Pourtant, tout n’est pas si simple.

 

 

L’événement est presque clandestin. Les journalistes, tenus à l’écart, ragent. Une dépêche de l’Associated Press, publiée par erreur le 7 mai, annonce la paix prématurément, déclenchant des scènes de liesse à New York avant une rétractation humiliante. Un témoin, un sergent français présent à Reims, note dans son carnet, conservé au Musée de l’Armée : "Pas de champagne, pas de cris. Juste des mains qui tremblent et des regards durs". Cette sobriété contraste avec l’image d’une victoire triomphale.

Les Soviétiques, eux, s’indignent. Sousloparov, non autorisé par Staline, a signé sans aval. Moscou exige une seconde cérémonie, jugeant Reims trop "occidentale". Cette querelle, souvent éclipsée, révèle les fissures de l’alliance. Une anecdote circule, non confirmée, selon laquelle un officier soviétique aurait jeté son stylo au sol, furieux de l’humiliation. Ce détail, s’il est légendaire, traduit une vérité : l’armistice de Reims est un compromis bancal, un prélude à la Guerre froide.

 

Berlin, 8 mai : la paix sous pression

Le 8 mai, à Karlshorst, près de Berlin, une seconde signature scelle officiellement l’armistice. Dans une villa délabrée, entourée de gravats, le maréchal Wilhelm Keitel, bâton de cérémonie en main, signe pour l’Allemagne, face à Joukov pour l’URSS et Tedder pour les Alliés. La France, représentée par le général de Lattre de Tassigny, obtient une place symbolique. Un compte-rendu soviétique, archivé à Moscou, décrit Keitel blême, murmurant : "C’est la fin de tout". L’acte, identique à celui de Reims, est signé à 0h16 le 9 mai, heure de Moscou, d’où la célébration du 9 mai en Russie.

 

 

Cette cérémonie, plus médiatisée, est un spectacle orchestré par jJoseph Staline. Les projecteurs crépitent, et Joukov, en uniforme impeccable, savoure le triomphe soviétique. Mais l’ambiance est lourde. De Lattre, dans une lettre à sa femme, conservée aux Archives de Vincennes, confie : "J’ai signé pour la France, mais je sentais les regards russes peser sur nous". Ce ressentiment, rarement évoqué, montre que la victoire est aussi une lutte d’ego. Les Allemands, eux, quittent la salle sous escorte, visages fermés, tandis que des tirs de joie éclatent dehors.

Dans les rues européennes, la nouvelle se répand. À Londres, Trafalgar Square déborde de foule ; à Paris, l’Arc de Triomphe s’illumine. Mais en Allemagne, le silence domine. Un journal intime d’un Berlinois, retrouvé dans les archives de la Bundesarchiv, note : "La paix est là, mais nos cœurs sont en cendres". Ces contrastes, entre liesse et deuil, dessinent une Europe fracturée où l’armistice n’efface pas les blessures.

 

 

Un héritage fragile 

L’armistice du 8 mai 1945 marque la fin de la guerre en Europe mais pas la paix véritable. En Asie, le Japon résiste jusqu’à septembre. En Europe, les déplacements de populations, les procès de Nuremberg et la division Est-Ouest s’amorcent. Un rapport du Foreign Office britannique, daté de juin 1945, prédit : "La victoire nous unit, mais la paix nous divisera". Cette lucidité, tirée des archives de Kew, éclaire les tensions post-armistice, souvent occultées par la légende d’une unité alliée.

Les célébrations du 8 mai varient. En France, le général de Gaulle prononce un discours vibrant, mais les grèves ouvrières, dès juin, rappellent les fractures sociales. Un tract syndical, conservé à la Bibliothèque nationale, proclame : "La guerre est finie, mais la faim continue". En URSS, la victoire devient un outil de propagande, éclipsant le coût humain : près de 27 millions de morts soviétiques. Une anecdote peu connue, tirée d’un témoignage oral archivé à Varsovie, raconte un soldat polonais pleurant le 8 mai : "J’ai survécu mais ma patrie est vendue à Staline". Ce désenchantement nuance le triomphalisme.

 

 

Aujourd’hui, 80 ans plus tard, le 8 mai reste une date sacrée, mais son souvenir évolue. Les commémorations, entre défilés militaires et silences, interrogent : que célèbre-t-on ? La fin d’un cauchemar ou le début d’un autre ? Les archives, des télégrammes d’Eisenhower aux lettres de civils, rappellent que l’armistice fut un moment humain, fait de joies, de rancunes et d’espoirs fragiles. Ce jour, où les canons se turent, continue de murmurer ses vérités complexes.

 

 


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