Catherine Théot, la « Mère de Dieu » : prophétesse ou folle dans la tourmente révolutionnaire ?
par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
mercredi 7 mai 2025
Dans le chaos de la Révolution française, une femme illettrée de Normandie, Catherine Théot, se proclame "Mère de Dieu" et annonce l’arrivée d’un Messie. Ses visions enflammées et ses prédictions apocalyptiques captivent un Paris assoiffé de sens. Mais qui était cette prophétesse ? Instrumentalisée pour abattre Robespierre, elle incarne les tensions d’une époque déchirée entre foi, raison et politique.
Une enfance normande et les premiers murmures divins
Catherine Théot naît le 5 mars 1716 à Barenton, un bourg modeste de la Manche, dans une famille paysanne. De son enfance, peu de traces subsistent, mais les sources convergent : dès l’adolescence, elle se distingue par une piété exacerbée, marquée par des jeûnes prolongés et des visions. Selon un interrogatoire de 1779 conservé à la Bibliothèque nationale de France, elle affirme entendre des voix célestes, un signe qu’elle interprète comme une mission divine. Cette ferveur, dans un XVIIIe siècle où le mysticisme côtoie la suspicion, la place déjà à la marge.
Employée comme domestique au couvent des Miramiones à Paris, Catherine s’immerge dans un univers de rigorisme religieux. Mais son zèle dérange : elle interrompt des sermons, accuse les prêtres d’hérésie et proclame être la "nouvelle Ève" ou la "Vierge". Ces déclarations scandalisent. En 1779, une lettre de cachet la conduit à la Bastille, puis à la Salpêtrière, où elle est internée pour "folie". Ces années d’enfermement, loin de l’éteindre, forgent sa conviction : elle est destinée à enfanter le Sauveur.
Son parcours reflète le contexte religieux du temps. Le jansénisme, avec ses accents apocalyptiques, et le figurisme, qui voit dans les Écritures des prophéties à venir, imprègnent les esprits. Catherine, bien que quasi illettrée, s’inscrit dans cette mouvance, amplifiée par les crises sociales. Comme l’écrit l'historienne Catherine Maire, ces "prophétesses de la Révolution" traduisent l’angoisse d’un monde en mutation. Mais Catherine Théot, par son audace, dépasse ses contemporaines.
La prophétesse de la Contrescarpe : une secte au cœur de Paris
Libérée en 1788, Catherine Théot découvre un Paris bouillonnant, où illuminés et gourous prospèrent dans l’ombre de la Révolution naissante. Installée rue de la Contrescarpe, elle fonde une petite communauté, mi-chapelle, mi-secte, aux rites inspirés de la franc-maçonnerie. Les témoignages, notamment ceux des Archives nationales, décrivent des cérémonies étranges : candélabres, robes de soie noire, serments à l’"Être Suprême". Catherine, entourée de fidèles comme la veuve Godefroid, y joue le rôle de "Mère de Dieu", promettant l’immortalité et un Messie.
Ses prédictions, consignées dans un journal saisi en 1793, frappent par leur audace. Elle annonce la chute de la Bastille avant 1789, des persécutions religieuses et l’avènement d’un "enfant-Dieu" qu’elle portera, malgré ses 78 ans. Une anecdote attribue à Catherine une prophétie spectaculaire : sa mort, dit-elle, sera marquée par un "événement jetant l’épouvante dans Paris", associé à l’explosion de la poudrerie de Grenelle en 1794. Bien que non sourcée rigoureusement, cette légende illustre son aura.
Cette "petite église" attire des figures influentes : Dom Gerle, ex-moine et député, ou la duchesse de Bourbon, fascinée par ses visions. Mais c’est son lien supposé avec Robespierre qui la propulse dans l’histoire. Catherine voit en lui le "précurseur du Messie", une idée exploitée par ses ennemis. Ses fidèles, souvent des femmes modestes, trouvent dans ses paroles un refuge face au chaos révolutionnaire.
L’affaire Théot : un complot contre Robespierre
En 1794, Catherine Théot devient l’instrument d’un complot politico-judiciaire orchestré par Guillaume Vadier, président du Comité de sûreté générale. Hostile à Robespierre et à son culte de l’Être Suprême, Vadier découvre le dossier de la prophétesse lors d’une enquête de 1793. Il y voit une opportunité : ridiculiser l’Incorruptible en l’associant à une "folle". Le 15 juin, Vadier dénonce à la Convention une "conspiration" menée par Catherine, insinuée comme agente d’un "aspirant dictateur".
Les preuves sont minces mais accablantes. Une lettre, prétendument trouvée sous le matelas de Catherine, proclame Robespierre "premier prophète" et lie sa mission au livre d’Ézéchiel. Mathiez et Michel Eude doutent de son authenticité, suggérant une fabrication. D’autres indices, comme le certificat de civisme délivré par Robespierre à Dom Gerle ou la présence de la belle-sœur de Duplay parmi les fidèles, alimentent le scandale. Le 9 Thermidor, Vadier brandit ces éléments, provoquant l’hilarité des conventionnels et précipitant la chute de Robespierre.
Catherine, arrêtée le 16 mai 1794, est jugée avec ses disciples. Mais Robespierre, sentant le piège, bloque le procès, comme le rapporte Fouquier-Tinville. Acquittée après la mort de l’Incorruptible, elle meurt en prison le 1er septembre 1794, à 78 ans. L’explosion de Grenelle, survenue ce jour-là, nourrit la légende de sa dernière prophétie, bien que les sources primaires manquent pour la confirmer. Cette "affaire" révèle les fractures de la Révolution : spiritualisme contre athéisme, déisme contre déchristianisation.
Une figure méconnue de l'histoire
Que reste-t-il de Catherine Théot ? Une folle, comme le pensaient ses geôliers ? Une visionnaire sincère, portée par la ferveur d’une époque troublée ? Son journal, conservé aux Archives nationales, témoigne d’une pensée mystique complexe, mêlant christianisme et eschatologie révolutionnaire. Pourtant, les historiens peinent à démêler le vrai du faux, tant les sources sont biaisées par la polémique anti-Robespierre..
Son destin illustre les tensions du XVIIIe siècle, entre croyances millénaires et rationalisme naissant. Comme l’écrit Robert Darnton, les "prophétesses" comme Catherine reflètent un peuple en quête de sens face à l’effondrement de l’Ancien Régime. Son lien avec Robespierre, exagéré par Vadier, montre comment une figure marginale peut être manipulée pour des fins politiques. Alain Landurant, dans son ouvrage de 2019, insiste : Catherine, "Normande illettrée", mérite une place parmi les "oubliés" de l’histoire.
Catherine Théot, par ses visions et son audace, incarne le vertige de la Révolution. Ses prédictions – chute de la Bastille, persécutions, Messie à venir – frappent par leur prescience ou leur folie. Instrumentalisée, moquée, elle fut à la fois actrice et victime d’un siècle déchiré. Son histoire, tissée de foi et de complots, invite à interroger nos propres certitudes. Qui était-elle vraiment ? Peut-être une femme qui, dans le chaos, chercha à donner un sens à l’incompréhensible.