Houellebecq, la tentation du bide !
par Bernard Lallement
mercredi 24 août 2005
Les rentrées littéraires ont-elles définitivement quitté les cercles feutrés des salons parisiens pour se complaire dans les odeurs fauves des vestiaires de foot le jour d’un match de championnat ?
photo : P.Ferbos |
C’est la question qu’il convient de se poser pour celle qui s’annonce. Tous les ingrédients sont réunis pour faire mourir d’envie un Bernard Tapie déconfit.
1. Deux équipes en présence : Flammarion opposé à Fayard 2. L’indispensable « agent » artisan du transfert, François Samuelson.
3. Un cachet conséquent (toujours murmuré, dame on a encore de la
décence dans le monde des arts) 4. Bien sûr, la vedette aux crampons
d’or (entendez ceux qui le rattachent aux choses bien temporelles de ce
monde) : Michel Houellebecq (pseudonyme de Michel Thomas).
Premier temps : Houellebecq prend prétexte du manque de soutien de
Flammarion à ses propos islamophobes pour faire négocier un nouveau
contrat, plus avantageux, avec une autre maison d’édition. Son ami, et
éditeur, Frédéric Beigbeder
en sera le dernier informé, l’auteur des Particules élémentaires ayant
soin de ne pas confondre le génial business et la vulgaire amitié.
Deuxième temps : François Samuelson, moyennant une substantielle
commission, tout travail mérite salaire, négocie avec Fayard l’arrivée
dans son giron du prodige des best-sellers avec un à valoir à la clef
de 1,5 millions d’euros.
Troisième temps : Michel Houellebecq
peut enfin écrire son livre (la Possibilité d’une île ? 400 pages
Fayard) en s’inspirant, très fortement, de la secte des Raéliens.
Reste pour l’éditeur à rentabiliser l’investissement et pour l’auteur à pérenniser sa notoriété, c’est-à-dire ses records de vente.
Aussi met-on en place un plan marketing à faire rougir le marchand de lessive le plus aguerri.
L’auteur se réfugie en Andalousie afin d’accoucher, dans le plus grand secret, de son futur chef-d’oeuvre. Le rédacteur en chef des Inrocks est dépêché sur place pour lui soutirer quelques confidences Il repart bredouille, ce qui n’empêche pas l’hebdomadaire de sortir le 27 mai un spécial Houellebecq.
Evidemment, tout succès annoncé suscite des produits dérivés et des agrégations opportunistes. Ainsi, sort aujourd’hui une biographie de Denis Demonpion (Houellebecq non autorisé Enquête sur un phénomène Maren Sell - 384 pages ? 20 ? bonnes feuilles parues dans l’Express) dans laquelle l’auteur des Particules élémentaires apparaît plutôt comme un mythomane, cynique, mal dans sa peau, animé d’une soif de se construire un destin à l’instar d’un personnage de roman.
Fernando Arrabal, son ami de 23 ans, avait déjà sorti, il y a quelques jours, un Houellebecq au Cherche-Midi (232 pages -13 euros), histoire de voler au secours de la célébrité, qui enchantera les aficionados du héros des clones. Quant à ceux qui détestent Houellebecq, ils se réjouiront peut-être du pamphlet que lui consacre Eric Naulleau (Au secours, Houellebecq revient ! - Chifflet et Cie - 128 pages -10 ?). L’un et l’autre ne nous apprennent pas grand-chose sur le personnage que l’on ne savait déjà, mais Houellebecq vend et fait vendre, raison suffisante pour susciter des tentations éditoriales.
Enfin l’apothéose viendra le 31 août, jour de la sortie en librairie de cette Possibilité tant souhaitée avec, comme il se doit pour toute consécration digne des grands, Michel Houellebecq invité de Poivre d’Arvor, le soir au journal télévisé de 20 heures sur TF1 !
Franchement, tout ce cirque a-t-il quelque chose à voir avec la littérature ?
Lorsque Sartre publia « Les Mots » François Mauriac écrivit, à son propos « Un homme vrai ça ne court pas les rues, ni les salles de rédaction, ni les antichambres des éditeurs. » Michel Houellebecq est loin d’être de cette trempe. Il nous apparaît aussi factice, inauthentique, que son personnage Daniel, multi-cloné, aussi déliquescent que le monde qu’il entend déconstruire.
J’avais bien aimé Extension du domaine de la lutte, bien moins les suivants. Michel Houellebecq n’a plus rien à nous dire ou à nous apprendre. Au fond, c’est un pauvre type, et sur ce point son biographe non autorisé voit juste, aussi désespéré que la société qu’il décrit. Il n’y a, chez lui, aucune volonté à laisser un message, Houellebecq a rejoint, depuis longtemps, le cortège des littérateurs pour lesquels écrire ne consiste qu’à gagner sa vie. Son seul génie est de savoir surfer sur l’air du temps. Son cynisme le préserve des tentations de la morale. « Tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces. » Cette réplique de Nébrassov va comme un gant à l’auteur de Plateforme.
Houellebecq est condamné à exister. En soi, il n’est pas le seul et cela pourrait constituer la trame d’un roman. Mais exister, pour Houellebecq, c’est se mettre en scène, manipuler, maîtriser chaque instant et, en définitive, affirmer une liberté au détriment de celle des autres. S’il y a une oeuvre chez Houellebecq, elle n’est pas à chercher du côté de ses livres mais dans cette mascarade dont ses écrits servent de prétexte.
Le plus étonnant dans l’histoire est que nous serons des centaines de milliers à nous précipiter sur cette Possibilité d’une Ile. L’aurait-on fait sans ce remue-ménage, à la seule lumière du talent de l’auteur ? Là est la question. Mais justement ce talent, si talent il y a, n’est-il pas de nous convaincre qu’il faut acheter ce livre pour, nous-mêmes, exister dans cette société de l’apparence ?
Sur ce point, nous sommes tous des personnages de Houellebecq : désespérants !
Ah oui ! Je ne vous ai pas parlé du livre. Mais est-ce vraiment indispensable ? Les pro-Houellebecq pourront lire l’article d’Olivier Le Naire et les anti celui, non sans humour, d’Angelo Rinaldi.
J’oubliais : Michel Houellebecq prix Goncourt ! La farce sera complète et confinera au réel chef-d’oeuvre.