Légion d’honneur : quid des cas Sarkozy, Servier et abbé Pierre ?
par Fergus
jeudi 1er mai 2025
La condamnation de Nicolas Sarkozy à de la prison ferme ainsi que les récents développements du scandale causé par les agissements de l’abbé Pierre ont remis cette question en débat : faut-il radier ces personnes de l’Ordre national de la Légion d’honneur ?
Les règles de discipline qui figurent sur le site de la Grande chancellerie de la Légion d’honneur prévoient 3 niveaux de sanction lors de manquements avérés : le « blâme », la « suspension » dont la durée varie selon la gravité de la faute, et l’« exclusion définitive » dont il est indiqué qu’elle est « automatique en cas de condamnation pour crime ou à une peine supérieure ou égale à un an de prison ferme ».
Parmi les dernières personnalités françaises qui ont été radiées de l’Ordre figurent notamment Claude Guéant et Isabelle Balkany, tous les deux déchus en 2019 et 2021 de la Légion d’honneur à la suite de leurs condamnations judiciaires définitives. Et la déchéance de François Fillon est imminente.
Peut-il en aller de même pour Nicolas Sarkozy ? Définitivement condamné le 18 décembre 2024 à 3 ans de prison, dont 1 ferme, dans l’« affaire des écoutes » (alias « affaire Bismuth ») à la suite du rejet de son pourvoi en cassation, l’ex-président se trouve de facto exposé à la même sanction que ses anciens amis de l’UMP.
À l’image de nombreux responsables politiques et éditorialistes, le général François Lecointre, actuel Grand chancelier de la Légion d’honneur, est clair sur cette question : conformément aux règles en vigueur, la déchéance doit être prononcée, le retrait de la décoration devant s’appliquer « de droit » dans le cas de ce justiciable, aussi hautes aient été ses fonctions républicaines, du fait de sa condamnation définitive.
Tel n’est pas l’avis qu’a exprimé Emmanuel Macron, questionné le jeudi 24 avril. En désaccord avec l’opinion du général Lecointre, le chef de l’État a tenté d’évacuer tout débat, et a fortiori toute polémique, sur le sujet en déclarant que déchoir Nicolas Sarkozy de la Légion d’honneur « ne serait pas une bonne idée. »
En l’occurrence, le président en exercice s’appuie sur le fait que la dignité de Grand-croix n’a pas été conférée à titre personnel à l’homme Sarkozy, mais au titre de la fonction de Grand maître de l’Ordre qu’il est ipso facto devenu lors de son investiture à la présidence de la République le 16 mai 2007.
Le chef de l’État étant in fine le seul décisionnaire, Nicolas Sarkozy devrait donc garder sa grand-croix de la Légion d’honneur, même si les membres du Conseil de l’Ordre, en accord avec le général Lecointre, devaient se prononcer pour la déchéance en s’appuyant sur le code en vigueur, leur avis n'ayant qu'un caractère consultatif.
Dont acte ! Cela dit, rien ne devrait empêcher, a contrario, que soit retirée à Nicolas Sarkozy la médaille de chevalier qui lui a été remise en 2005 par Jacques Chirac, celle-ci l’ayant été à titre personnel alors que le récipiendaire était ministre de l’Intérieur. Il serait à cet égard intéressant d’entendre les arguments d’Emmanuel Macron s’il venait à s’opposer à cette décision « de droit » dictée par la morale !
Au-delà du cas Sarkozy se pose également la question des décorations décernées à des personnalités dont l’indignité a été démontrée sans qu’elles aient pu être jugées de leur vivant. Deux noms viennent à l’esprit : ceux de Jacques Servier, cinq fois décoré de la Légion d’honneur jusqu’à la grand-croix en 2008, et de l’abbé Pierre, lui aussi élevé en 2005 à la dignité de grand-croix.
Rappelons que le premier nommé a supervisé durant 26 ans la fabrication et la diffusion d’un médicament, le Médiator, à l’origine du décès de près de 2 000 patients, et cela malgré les interdictions de son principe actif dans plusieurs pays. Quant au second nommé, les scandales causés par ses multiples débordements sexuels n’en finissent plus d’alimenter la chronique.
Sans doute serait-il temps que le général Lecointre et les membres du Conseil de l’Ordre introduisent dans leur code disciplinaire la possibilité de déchoir de la Légion d’honneur des personnalités manifestement indignes, y compris lorsqu’elles n’ont pas pu être condamnées par la Justice pour cause de décès prématuré !