Octobre 1939. Quand Maurice Thorez abandonnait la France : une grave trahison communiste
par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
mercredi 30 avril 2025
Maurice Thorez, figure emblématique du Parti communiste français (PCF), incarne pour beaucoup l’idéal ouvrier et la lutte antifasciste. Pourtant, son attitude pendant la Seconde Guerre mondiale révèle une réalité troublante : désertion, exil à Moscou et silences gênants.
Le pacte germano-soviétique : une loyauté à l’épreuve
Maurice Thorez, né en 1900 dans le Nord minier, est une figure tutélaire du Parti communiste français (PCF). Fils d’ouvrier, il gravit les échelons jusqu’à devenir secrétaire général en 1930, porté par un charisme brut et une rhétorique enflammée. Son livre Fils du peuple (1937) le consacre comme l’incarnation du prolétariat, un leader dévoué à la lutte antifasciste et à l’unité du Front populaire. À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, il est un symbole d’espoir pour des millions de Français. Pourtant, lorsque la guerre éclate, ses choix plongent dans l’ambiguïté, révélant un homme bien plus complexe – et bien moins héroïque – que ne le suggère la propagande communiste.
Le 23 août 1939, le pacte de non-agression entre l’URSS et l’Allemagne hitlérienne ébranle le monde. Pour le PCF, c’est une déflagration. Depuis des années, Thorez et ses camarades dénoncent le nazisme, appelant à un front uni contre le fascisme. Ce revirement, imposé par Staline pour "gagner du temps face à Hitler", place Thorez dans une position intenable. Fidèle à l’Internationale communiste, il s’aligne sur Moscou, qualifiant la guerre imminente de "conflit impérialiste" et refusant de soutenir l’effort français. Ce choix, dicté par la realpolitik stalinienne, fracture le parti : des militants, attachés à l’antifascisme, s’indignent, tandis que d’autres suivent par discipline.
En vacances dans les Alpes lorsque la nouvelle éclate, Thorez regagne Paris dans une ambiance tendue. Selon Mounette Dutilleul, militante proche, il affiche une sérénité surprenante, plaisantant avec ses camarades lors d’une réunion clandestine. Mais son discours public change radicalement : il condamne la guerre, accusant les "capitalistes" français et britanniques de l’avoir provoquée. Cette posture, conforme aux directives de l’Internationale communiste, aliène une partie de la base. Dans L’Humanité, interdite peu après, il signe des articles dénonçant l’effort de guerre, un positionnement qui choque même certains de ses proches.
Les conséquences sont immédiates. Le 26 septembre 1939, le gouvernement Daladier dissout le PCF, accusé de collusion avec l’ennemi. Les journaux communistes sont saisis, les militants arrêtés, et Thorez, député de la Seine, perd son immunité parlementaire. Mobilisé comme sapeur dans une compagnie fluviale à Chauny, dans l'Aisne, il est désormais sous surveillance. Mais loin de résister ou de rallier ses camarades, il prépare une décision qui marquera son destin : fuir la France, abandonnant son poste et son pays au bord de l’abîme.
La désertion de 1939 : une fuite minutieusement orchestrée
Le 3 octobre 1939, dans la pénombre de Chauny, une Citroën noire s’arrête devant la maison où loge Maurice Thorez. À l’intérieur, Jeannette Vermeersch, sa compagne, et Mounette Dutilleul, secrétaire de la commission des cadres du PCF, l’attendent. Thorez, alors chauffeur du capitaine de sa compagnie, interrompt une partie d’échecs avec un camarade pour les rejoindre. Selon Dutilleul, citée par Annette Wieviorka, il est "d’un calme olympien", comme si ce moment était longuement prémédité. Cette scène, digne d’un roman d’espionnage, marque le début d’une désertion minutieusement planifiée.
Accompagné de ses camarades, Thorez gagne Lille, puis Tourcoing, où des militants lui fournissent des vêtements civils et de faux papiers au nom de "Michel Dubois". Le lendemain, il franchit la frontière belge, puis traverse l’Allemagne nazie – un comble pour un pays en guerre contre la France ! – avant de rejoindre l’URSS. Cette fuite, loin d’être un acte spontané, est orchestrée par l’Internationale communiste qui voit en Thorez un atout à préserver. Comme le souligne Stéphane Courtois, cette décision reflète la priorité de Staline : protéger les cadres communistes pour l’après-guerre, quitte à les soustraire à leurs devoirs nationaux.
En France, l’onde de choc est brutale. Le 8 novembre 1939, Thorez arrive à Moscou, où il est accueilli comme un dignitaire. En son absence, il est condamné par contumace à six ans de prison pour désertion, puis déchu de sa nationalité en février 1940. La presse, de Le Figaro à Le Populaire, s’indigne : le leader communiste, autrefois porté aux nues, devient un paria. Au sein du PCF, dirigé par Jacques Duclos, la désertion de Thorez est tue, et la propagande s’efforce de maintenir l’illusion d’un chef toujours actif. Mais pour beaucoup de Français, ce départ signe une trahison, un abandon inexcusable au moment où la patrie vacille.
L’exil à Moscou : un leader en sursis
À Moscou, Maurice Thorez mène une vie en décalage avec le chaos qui ravage l’Europe. Installé dans un appartement modeste mais confortable, il est loin des combats, des bombardements et des privations subis par les Français sous l’Occupation. Les archives soviétiques, analysées par Annette Wieviorka, dépeignent un homme marginalisé au sein de l’appareil stalinien. Il rédige des articles pour L’Humanité clandestine, signés "Maurice Thorez, quelque part en France", une supercherie honteuse orchestrée par le PCF pour maintenir le mythe de son engagement. En réalité, Thorez est un spectateur passif, déconnecté des luttes menées par ses camarades restés en France. Sa sécurité personnelle n’était donc pas menacée, contrairement aux résistants qui opéraient clandestinement en France sous la menace constante de la Gestapo, de la Milice ou des forces allemandes.
Cet exil est marqué par des tensions. Le pacte Ribbentrop-Molotov, rompu en juin 1941 avec l’opération Barbarossa, ternit durablement sa crédibilité. Lorsque le PCF, sous l’impulsion de Duclos et Charles Tillon, s’engage dans la Résistance après 1941, Thorez reste en marge. Dans des carnets personnels, il exprime des doutes sur le pacte de 1939 et les purges staliniennes, mais sa loyauté envers Staline l’empêche de les contester ouvertement. Comme le note Claude Pennetier, Thorez incarne "l’œil de Moscou" en France, un homme dont la carrière repose sur une soumission totale et absolue à l’URSS, au détriment de toute initiative personnelle.
Cette passivité contraste avec la légende forgée par le PCF. À son retour en France en 1944, Thorez est présenté comme un résistant de la première heure, une fiction que les militants, galvanisés par les exploits des FTP (Francs-tireurs et partisans), acceptent sans broncher. Mais les archives sont formelles : Thorez n’a joué aucun rôle dans la Résistance. Son silence sur les nombreux crimes staliniens, qu’il connaît pourtant, ajoute une couche de malaise à son exil. Pour Stéphane Courtois, cet épisode révèle un homme "prisonnier de son allégeance", incapable de s’émanciper d’un système qu’il sait imparfait, voire même criminel.
Le retour et la réécriture de l’histoire
Le 27 novembre 1944, Maurice Thorez foule à nouveau le sol français, gracié par une ordonnance du général de Gaulle. Cette clémence, dictée par la nécessité d’apaiser un PCF devenu le premier parti de France, efface sa condamnation pour désertion. Accueilli en véritable héros à Paris, Thorez reprend les rênes du parti avec une assurance retrouvée. Ministre d’Étatn puis vice-président du Conseil, il incarne une gauche patriotique, portée par le prestige de l’URSS et les sacrifices des résistants communistes. Pourtant, son passé de déserteur reste un secret bien gardé, enfoui sous une propagande habile.
Le PCF orchestre une réécriture méthodique de l’histoire. L’Humanité glorifie Thorez comme un architecte de la Résistance, passant sous silence son séjour à Moscou. Fils du peuple, réédité, devient un outil de propagande, exaltant un leader infaillible et courageux. Comme l’analyse Bernard Pudal, ce "culte du parti" absorbe la personnalité de Thorez dans une mythologie collective, effaçant toute trace de ses errements, même les plus graves. Les militants, attachés à l’idéal communiste, ferment les yeux sur les incohérences, tandis que les archives – inaccessibles à l’époque – dorment dans les coffres de Moscou.
Mais des fissures apparaissent. Dès les années 1970, des historiens comme Philippe Robrieux et des anciens militants communistes sérieusement désillusionnés pointent les contradictions du récit thorézien. Les archives soviétiques, ouvertes après 1991, confirment les soupçons : Thorez n’a jamais résisté et sa fidélité à Joseph Staline l’a conduit à trahir les idéaux antifascistes qu’il prétendait défendre. Ces révélations, bien que tardives, ébranlent l’image d’un homme dont le nom orne encore des boulevards, des avenues et des rues. Sur les réseaux sociaux, certains s’indignent de cette mémoire sélective, réclamant, à juste titre, une réévaluation des hommages publics.
Un héritage entaché
Maurice Thorez reste une figure clivante. Pour les nostalgiques du communisme, il symbolise la lutte ouvrière et l’espoir d’un monde plus juste. Pour les autres, sa désertion, son exil et sa soumission à Staline révèlent un opportunisme cynique, indigne d’un leader politique. Sa conduite pendant la Seconde Guerre mondiale, loin de l’héroïsme proclamé, trahit une vérité amère : Thorez a préféré la sécurité de Moscou à la lutte aux côtés des siens. Il joua un rôle symbolique, en tant que figure emblématique du PCF, mais il n’a jamais pris part à des actions armées, à des missions clandestines ou à des combats qui auraient mis sa vie en danger.
Son histoire interroge notre rapport à la mémoire. Comment un déserteur a-t-il pu être érigé en héros ? Pourquoi son nom reste-t-il gravé dans l’espace public ? Ces questions, toujours brûlantes, rappellent la fragilité des mythes face à l’exigence historique. En déconstruisant la légende de Thorez, nous ne jugeons pas seulement un homme, mais une époque où l’idéalisme s’est souvent fracassé sur les compromis de la realpolitik.
L’héritage de Thorez, complexe et controversé, invite à une réflexion lucide. Il nous rappelle que les héros sont humains, faillibles, et que la vérité, même douloureuse, finit toujours par émerger. En refermant ce chapitre, une certitude demeure : l’histoire, lorsqu’elle est scrutée avec rigueur, ne pardonne ni les silences ni les fuites. Et encore moins les trahisons.