A quoi joue la Poste ?
par Yohan
vendredi 11 janvier 2008
Les postiers s’en vont, les écrans plats arrivent.
Nombreux sont ceux qui comme moi, englués dans les files d’attente interminables de la Poste, ont joué au petit jeu parfaitement dérisoire du pari avec soi-même, du genre : « Si un quidam pénètre dans l’agence avant que la petite au guichet 1 ne récupère son recommandé, c’est perdu. » Au fil des années, comme vous peut-être, j’ai inventé bien des variantes pour mieux tromper mon ennui et le temps qui s’étire.
Un hochet bien futile destiné uniquement à faire passer deux sales quarts d’heure à faire du surplace, à se dandiner d’un pied sur l’autre.
Aujourd’hui, la Poste a cassé mon hochet. Comment ? En installant un écran plat dans mon agence de quartier.
Ainsi, non seulement, la vénérable institution me fait comprendre qu’elle renonce pour de bon à juguler la fameuse file, mais pire encore, qu’elle entend se substituer dorénavant à mon imagination puérile, afin de m’aider à patienter en images.
Certes, j’ai bien compris qu’embaucher de nouveaux agents était malvenu en cette époque de réduction drastique des effectifs de la fonction publique.
Il est vrai aussi que le slogan « travailler plus pour gagner plus » n’est pas non plus « travailler plus vite pour vous faire gagner du temps ».
C’est donc à vous, cher DIRCOM de la Poste, que j’entends porter réclamation. Savez-vous, cher monsieur (ou chère madame), que les meilleurs jeux sont souvent ceux que l’on s’invente ? Croyez-vous qu’en me gavant de vos spots météo, de vos promesses de voyages australs volés dans vos clips tronqués... vous allez m’aider à oublier que chez vous, je ne fais au fond que perdre mon temps et... tenter vainement de le tuer ?
Si ce n’est vous le responsable, serait-ce alors le DIRFI ?
M. le DIRFI de la Poste, ôtez-moi d’un doute : me planter sciemment devant les spots de pub diffusés sur cet écran vous rapporterait-il de l’argent ?
Pourtant, à en juger l’état de délabrement de vos automates à monnaie et les pannes récurrentes de vos distributeurs automatiques de timbres, je pourrais légitimement douter de votre sens des affaires. Ah, si seulement vos automates voulaient bien fonctionner ensemble... !
Il est vrai que vos écrans, en captant notre attention, nous empêchent de persifler sur votre légendaire lenteur et de nous répandre en médisance sur l’absentéisme chronique qui sévit en vos guichets.
Je veux bien y voir quelques avantages, comme celui de profiter de l’état d’hypnose de vos fidèles pour carotter quelques places dans la file d’attente. Mais non, je ne mange pas de ce pain-là. D’ailleurs, vous le savez, le niveau de solidarité qui règne dans vos files d’attente est aussi fort que chez une brochette de conscrits.
Mais je vous accuse, je vous montre du doigt, alors que vous n’êtes qu’une victime expiatoire parmi d’autres de la fameuse LOLF.
Si tuer le temps ne tue pas encore vos clients, il remplit au moins le bas de laine de vos publicitaires, des « mécènes » qui ont déjà investi dans les pharmacies, chez le médecin traitant et, qui sait, investiront bientôt dans les services d’urgence de nos hôpitaux publics.
La patience est une vertu qui s’est pliée au fil des années à l’obsession de la compression du temps. Or, cette vertu, il nous faut vite la réapprendre, car l’état de grâce est bel et bien terminé. Ces écrans plats qui envahissent salles d’attente des toubibs, caisses des grands magasins, halls des administrations ne sont pas venus là par hasard.
Calmer notre exaspération et nous faire oublier le manque de caissières, le manque de toubibs, le manque de postiers, le manque de personnel hospitalier, voilà leur fonction première.
Et, il faudra bien s’y faire dorénavant, disent les prévisionnistes...
Si l’art de la patience était plutôt bien maîtrisé chez nos aïeux, c’est que l’imaginaire y prenait toute sa place.
D’ailleurs, le psychologue ne dit-il pas que « l’imaginaire, au travers des jeux, apprivoise l’agressivité » ? Une leçon à méditer sans doute, car le psychologue dit aussi qu’ « une exposition trop longue devant l’écran plat peut entraîner des comportements agressifs »...
De ce point vue donc, vos écrans plats sont aussi plats que vos tentatives désespérées de nous faire oublier une dure réalité : celle d’un service public en plein désarroi.