Droits de l’enfant : la France lambine

par Ben Ouar y Villón
mercredi 10 mai 2006

En marge des réflexions parlementaires sur les modalités de décision concernant notre liberté, qu’en est-il de la loi du 4 mars 2002 sur la « résidence alternée » portant sur une des libertés fondamentales, l’éducation des enfants ? -Affaiblissement du droit, non application de la loi, avocats à la recette : le portrait d’une justice égalitaire ne vient pas sous le pinceau.

En France ou ailleurs, les cas de violation de la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 sont légion, tant de la part des administrés que de leur Etat. Plus précisément, depuis 2002, un juge aux Affaires familiales peut, s'il le veut, organiser le mode de vie et de résidence d'un enfant en alternance entre les domiciles de son papa et de sa maman séparés. Cela n'a rien à voir avec une résidence paritaire : alternance de 70-30 % ou 40-60 %, ou 50-50% du temps, selon les cas d'éloignement, d'emploi du temps, etc. Le recul que les sociologues comme Gerard Neyrand ont pu avoir sur cette pratique atteste de la préservation de l'équilibre psychologique des enfants, notamment grâce à un meilleur climat relationnel entre leurs parents, dès ce mode de garde institué.

C'est en Italie qu'il faut chercher les signes d'une vraie volonté législative. -Le Parlement italien vient de modifier radicalement son Code civil en définissant de façon claire, en cas de séparation des parents, la résidence alternée comme solution prioritaire. L'Italie va même jusqu'à dire que lorsque le juge ne choisit pas la "résidence alternée" comme mode d'exercice de l'autorité parentale, il doit prouver que la résidence chez le parent exclu n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant. Le juge aux affaires familiales ne peut, comme cela se passe régulièrement en France, se contenter de refuser la résidence alternée sans aucun motif, ou même simplement en prétendant que c'est le principe de la résidence alternée qui serait contre l'intérêt de l'enfant. Pour ceux qui lisent l'italien : pour les autres, traduction . Le législateur français avait voulu impulser, par cette loi du 4 mars 2002 (chapitre 6), une nouvelle organisation familiale, prenant en compte les évolutions de la société, et notamment la place des femmes dans les carrières professionnelles, et les nouveaux rôles distincts de père et de mère dans leurs spécificités éducative et affective. Et puis, il faut peut-être oser le dire, pour permettre à beaucoup de pères d'émerger dignement après un divorce "traditionnellement" conclu à leur entier désavantage.

Mais la résidence alternée est un bien joli mot qui recouvre des aspects pratiques contraignants sur un terrain déjà difficile, puisqu'une décision intervient après une séparation parentale conflictuelle ou un divorce. On s'aperçoit aussi que la résidence alternée -le souhait des citoyens- est d'abord prononcée lorsque les parents en font tous les deux la demande de plein accord. Elle est appliqué dans 6% à 15 % des cas seulement, selon que le divorce se passe bien ou non. Autant dire que ce mode de résidence n'est pas pour demain, tant les contentieux familiaux sont nombreux (55% du volume des procédures), et tant ils font les choux gras des cabinets d'avocats convertis à ce « marché » juteux, spécialisés pour certains non dans les affaires familiales mais dans leur complication (et j'ai des noms).

Ces nouvelles dispositions sur le droit de la famille ont pris leur place dans l'ensemble de la loi initiée sous les auspices de certaines associations comme l'Enfant et son droit, SOS Papa, consultées à l'époque par Ségolène Royal, puis votées par le Parlement, et bien accueillie par l'opinion publique. Aujourd'hui, les magistrats semblent bien frileux quelquefois, manquent d'imagination souvent, et pour certains, refusent carrément appliquer la loi de 2002 ; et pas seulement sous l'aspect de la résidence alternée, mais aussi sous l'aspect de la préservation du « lien affectif » de l'enfant avec tous ses ascendants, en fait ses deux familles. Dans les faits, 1 700 000 enfants vivent séparés de leur père en France. Et cela touche quasiment toutes les couches sociales confondues, villes, campagnes, banlieues... L'autorité parentale, elle, reste une théorie : « Art. 371-1. - L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour fondement et finalité l'intérêt de l'enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. » On sait que dans de nombreux cas, "éduquer" son enfant revient tristement à payer une pension à la maman qui paiera à son tour la nourrice. Sur le front de certains pédiatres hostiles, des voix s'élèvent pour avancer qu'à moins de six ans, "il est néfaste à un enfant de se déplacer d'un lieu à un autre", « il ne faut pas qu'un jeune enfant dorme chez son père » (mais chez deux nourrices différentes et un voisin, là oui...). Il y a aussi ceux qui voudraient assigner aux femmes une place spécifique, à la maison auprès des enfants ; ceux qui au contraire aimeraient les voir travailler plus, pour un salaire de 20% inférieur à celui d'un homme, c'est pratique ; celles, soixante-huitardes, qui se sentent menacées dans leur féminité par la restitution aux hommes de la fameuse « puissance paternelle » jadis inscrite au Code civil ; sans compter celles qui feront toujours obstacle à la présence de leur enfant chez son père et sa nouvelle greluche, etc., les cas sont innombrables et reflètent bien souvent le malentendu profond qu'il y a entre les habitants de Mars et de Vénus. Qui, de Vénus ou de Mars, est le plus guerrier, ça...

Dans la pratique pénale, malgré une rigoureuse parité théorique de traitement entre les sexes, point de sanction appliquée aujourd'hui pour des mères ayant empêché leurs enfants de voir leur famille ou leur père. Et ce n'est pas l'exemple de la mère de la petite Charlotte Washington, pour qui les médias ont naturellement pris fait et cause un peu vite, ni les 302 cas connus au ministère des Affaires étrangères de "rétention illicite internationale" qui vont nous démentir. (voir le site d'Hervé Chapelliere psychologue - psychothérapeute, sur les conséquences des enlèvements d'enfants). -Le mythe de l'ogre fait son effet : 300 dossiers conflictuels sur les "déplacements illicites d'enfants" sont traités cette année par la Justice française. 600 autres attendent toujours d'évoluer à la Chancellerie. « Le temps est assassin et emporte avec lui le rire des enfants », disait le poète Renaud. L'ogresse n'est pas toujours celle qu'on croit, et Kronos a de la concurrence.

Il faut le rappeler, certains magistrats frappés au sceau du bon sens n'ont pas attendu cette loi. En 1827 déjà, le Tribunal de Normandie avait rendu une décision d'alternance entre les parents, afin de rétablir le papa dans ses droits, et notamment dans le droit à "la puissance paternelle", vocable qui a disparu sous la pression des acquis féministes du XXe siècle...

Alors, la question qui se pose est simple : à quoi servent les législateurs, les députés que nous élisons, puisque, au bout de la chaîne, les juges ont toute liberté d'appliquer la loi ou pas ? D'ailleurs, selon la loi, le magistrat est laissé seul maître d'apprécier la pertinence du mode de résidence de l'enfant : alterné, classique, voire limité...

Lorsque Mme Royal présentait son projet de loi dès 1999, nombre d'observateurs avaient remarqué que ces dispositions ne s'adresseraient qu'aux familles les plus favorisées. Aux bobos, aux fonctionnaires, habitants tout proches ; aux familles instruites, à celles qui avaient conscience des enjeux psychologiques pour l'enfant que sont les aboutissants de la loi. "Les pauvres et les fous" n'y auraient pas accès, c'était évident. On le vérifie aujourd'hui. N'oublions pas qu'il y a chez le JAF, qui est aussi un être humain, divorcé(e) lui-(elle)-même quelquefois, souvent une femme, une reconnaissance du groupe social : elle regardera plus favorablement le cas d'une femme qui ressemble au sien.

Il existe en outre une sorte d'effet pervers inhérent à tout dispositif : dans les classes moyennes aisées, on se sépare maintenant plus facilement qu'autrefois, d'autant que l'on se sent assez intelligents pour s'entendre puisque la résidence alternée est légalement instituée... C'est oublier la part émotionnelle de ces affaires de désamour. C'est ignorer qu'elle n'est pas accordée aux enfants des couples qui se disputent leurs droits...

Pour pallier les nombreux cas où le droit de l'enfant n'est pas respecté, le Parlement a nommé en mars 2000 un défenseur des enfants, calqué sur le modèle du médiateur de la République. Celui-ci reçoit même les requêtes d'enfants mineurs directement, et peut s'autosaisir de cas qu'il juge problématiques. Il présente chaque année son bilan devant l'Assemblée nationale. Cependant sa marge de manœuvre reste étroite, puisqu'il ne peut intervenir dans une affaire en cours, même civile...

Rappelons tout de même, dans le contexte actuel de réforme de la Justice pénale, que les Affaires familiales (donc civiles) se déroulent à huis clos, qu'un juge seul décide (ça ne vous rappelle pas les doléances d'Outreau ?) et que c'est seulement devant la Cour d'appel que la décision est collégiale - trois conseillers se partagent le travail plus qu'ils n'apportent chacun un regard différent et indépendant.

On voit aussi, depuis quelques années, et c'est finalement le plus préoccupant -, un affaiblissement significatif du droit.

On voit les juges aux affaires familiales avoir recours aux expertises de tous poils (psy et sociales, ça ne vous rappelle rien, là encore ?) et aussi, pour se donner bonne conscience, les tribunaux recourir à des organismes associatifs, quelquefois carcéraux : les "points-rencontre". « Ce sont des lieux où le parent accueilli n'est plus un sujet de droit, où la séparation se trouve même renforcée par le clivage qui est instauré entre les parents », nous dit Maître Dominique Charles, avocate au Barreau de Paris, spécialisée dans les machinations dont sont victimes les pères de famille, et dans l'obtention des résidences alternées. En effet, certains mal nommés "points-rencontre" font passer l'enfant par un sas discret pour qu'il rejoigne son père ou sa mère, sans que les parents ne puissent se rencontrer autour de l'enfant. (page 2 Nouvelle République du Centre-Ouest du 6 décembre 2002).

Bref, voilà qui n'était pas le souhait du législateur en 2002. Et c'est le père qui est accueilli là-bas sous ordonnance judiciaire, comme un repris de justice. Comment, après ça, obtenir une résidence alternée devant une magistrature qui ne se déjuge pas, mais qui part d'une situation juridique donnée ?

Donc, avant la justice, la sous-justice associative, soi-disant préoccupée de « l'équilibre des enfants ». Comme si l'équilibre des marmots ne dépendait pas de l'équilibre de ses parents avant tout, passant - d'abord dans les institutions- par le respect de leur place de père ou de mère. L'enfant relève la tête quand ses parents peuvent la relever.

Ces dispositifs-là ne plaident pas en faveur d'une vraie responsabilisation des parents devant leur enfant, ni devant la loi, mais plutôt d'une délégation à une toute-puissance judiciaire qui s'exprimera : "Madame empêche Monsieur de voir son fils depuis six mois... bah, on ne va tout même pas la sanctionner (malgré l'art. 373-2). Le papa pourra quand même voir son fils, disons deux heures tous les quinze jours sous surveillance, en attendant un climat d'apaisement...".

« Au Canada... », nous rapporte encore Maître Charles, « ...le juge refuse de recevoir les parents avant qu'ils aient mis au point, en médiation, ou par eux-mêmes, un protocole d'accord concernant les modalités pratiques de la vie de leurs enfants avant la signature du divorce ( conférence 2005 à l'Ecole des parents. ) Ce qui, dans l'exemple canadien, correspond véritablement à un souci de préserver l'enfant de la discorde parentale, et de lui éviter d'être instrumentalisé à des fins procédurières, et évite à bien des enfants de perdre les moyens de grandir pendant ce temps-là.

Ainsi, les questions matérielles du divorce font l'objet d'une décision de Justice qui souvent est en harmonie avec ce que les parents ont décidé, en adultes, pour la réorganisation de leur vie parentale future. Cette attitude des juges canadiens évite des décisions faisant l'objet d'aménagements sans fin, de reports sans fin, d'appels sans fin, dont les tribunaux sont encombrés, et qui coûtent cher à la collectivité comme aux justiciables eux-mêmes.

Je penche personnellement pour que, dans une réforme à venir, ce soient des avocats spécialisés ou officiant pour le ministère public qui soient seuls habilités à traiter la défense des parents sur la question de la résidence des enfants, de façon à éviter les liens économiques entre nécessité d'une défense et nécessité d'une pacification d'un conflit familial. Car comment accepter, en république, que de tels intérêts cupides président à l'avenir des enfants ?

Aménager systématiquement les temps de procédures au profit de médiations serait aussi une voie. Ne pas exclure du champ des droits aux allocations familiales les pères séparés ou divorcés qui ont une charge paternelle. (toutes vos suggestions sont bienvenues en commentaires).

Au milieu de ce fatras splendide d'organismes d'accompagnements, d'assistantes sociales, de point-rencontre traumatisants, de juges arbitraires et d'experts quelquefois complices, de parents déresponsabilisés, la France perd, avec le bon sens de ses magistrats, la force de ses lois, ainsi que le sens d'une valeur universelle : la famille et l'autorité des parents.

Mais une question nous taraude : face à la circulation grandissante des ressortissants européens et des unions qui en sont l'heureuse conséquence, les pratiques juridiques nationales ne vont-elles pas devoir s'enrichir des autres pratiques du droit, ou bien tout cela va-t-il déboucher sur une anarchie incontrôlable aux interminables complications judiciaires inter-Etats, dont la Cour du Luxembourg ne saura plus quoi faire, face à des enfants déchirés entre deux pays deux familles, qui auront ainsi perdu le temps précieux de leur enfance ?

Il faut profiter de cette actualité pour imaginer aussi une réforme de la Justice aux Affaires familiales.

Le pouvoir du JAF (unique, sans avis extérieurs, sans témoin des audiences à huis clos) n'est-il pas aussi terrible que celui du juge d'instruction ? Là aussi, le juge fait peur, et la proportion de justiciables honnêtes est au moins aussi forte qu'en affaires pénales, voire beaucoup plus forte évidemment. Une autorisation de voir ses enfants sous surveillance ou l'obligation de passer une expertise psychiatrique pour résoudre des démêlés procéduraux ne sont-elles pas aussi mal vécues qu'une incarcération, même provisoire ?

Voilà qui devrait faire réfléchir plus d'un électeur, sur une question qui touche au cœur chacun. Car aucun candidat à la présidentielle de 2007 n'échappera aux questions du rapport des citoyens à leur Justice.

Neyrand Gérard, 1994, L'enfant face à la séparation des parents. Une solution, la résidence alternée, Paris, Syros. Lire l'excellent site de l'association de l'enfant et son droit .


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