Enfin ! (Chirac mis en examen)
par Nouvel auteur
vendredi 23 novembre 2007
Bien sûr, il y a la présomption d’innocence : M. Chirac n’est officiellement pas encore coupable des faits qui lui valent sa première mise en examen et ne le sera sans doute jamais pour ce qui est de son himalayesque traîne de casseroles que les historiens ne devraient pas manquer de retenir. Tout ce qui concerne la culpabilité de celui qui est, si l’on se réfère à une multitude de témoignages de toutes provenances, aux procès de nombre de ses anciens collaborateurs ainsi qu’au flot de faits avérés dont le train de vie du personnage, sans doute le plus important délinquant multirécidiviste de sa génération, ne peut être entendu comme étant juridiquement établi.
L’analyse du parcours politique de M. Chirac ne nécessite quant à elle aucun verdict de tribunal : Jacques Chirac, c’est le degré zéro absolu de la politique. Au cours de sa longue carrière de plus de quarante ans, il a été en effet à peu près pour et contre tout :
Pour et contre l’Algérie française, pour laquelle il s’est battu jusqu’à ce que, ainsi qu’il le motivera plus tard, il rejoigne de Gaulle parce que celui-ci avait « compris que l’intérêt de la France était qu’on rende son indépendance à l’Algérie ».
Pour et contre l’avortement, auquel il était « personnellement opposé », mais que le gouvernement dont il était Premier ministre légalisa en 1975.
Pour et contre la peine de mort, dont il vota l’abolition en 1981 alors que le 4 mars 1975, il avait affirmé à la télévision être « favorable à la peine de mort en cas de prise d’otages », ainsi que nous le rappelle M. Robert Badinter dans son livre L’Abolition.
Pour et contre l’union de l’Europe, qu’au prix de la plus vile démagogie, il discrédita lors de son fameux « appel de Cochin » en 1978, en affirmant notamment que les Français ne doivent pas écouter « le parti de l’étranger », « à l’œuvre avec sa voix paisible et rassurante », avant d’appeler en 1992 à voter pour le traité de Maastricht qui instaura l’Union européenne, c’est-à-dire un renforcement de ce qui avait été jusqu’alors la Communauté économique européenne.
Pour et contre l’impôt sur les grandes fortunes, que Premier ministre en 1988, il supprima, avant de s’opposer, comme président de la République en 1995, à l’abrogation de l’impôt de solidarité sur la fortune, impôt qui avait été mis sinon remis en place en 1989 par les socialistes et de même nature que le précédent.
Pour et contre la loi sur les 35 heures qu’il n’eut de cesse de vilipender lorsqu’un parlement qui lui était défavorable la vota, puis qu’il refusa finalement d’abroger lorsqu’il eut à sa disposition un parlement qui lui était favorable.
Pour et contre le droit de vote pour les immigrés ; pour et contre le libéralisme, le socialisme, l’amnistie du 14 juillet, l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne... Pour et contre tout ! Au point d’aller jusqu’à, alors qu’il présidait le pays en avril 2006, promulguer une loi (la loi sur l’égalité des chances instaurant le CPE) tout en demandant à son gouvernement de veiller à ce qu’elle ne soit pas appliquée !
Jacques Chirac est en outre, ne l’oublions pas, le seul homme politique français d’envergure de la seconde moitié du XXe siècle à avoir tenu des propos clairement racistes, que même le président du Front national Jean-Marie Le Pen, pourtant expert en ambiguïtés sur le sujet, ne se permit jamais d’avoir - je cite :
« Il est certain que d’avoir des Espagnols, des Polonais et des Portugais travaillant chez nous, ça pose moins de problèmes que d’avoir des musulmans et des Noirs [...] Comment voulez-vous que le travailleur français qui habite à la Goutte d’Or où je me promenais avec Alain Juppé la semaine dernière, il y a trois ou quatre jours, et qui travaille avec sa femme, et qui ensemble, gagnent environ 15 000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille, avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50 000 francs de prestations sociales sans naturellement travailler ! Si vous ajoutez à cela, le bruit et l’odeur, eh bien le travailleur français sur le palier il devient fou ! » (Discours prononcé à Orléans le 19 juin 1991.)
Selon M. Chirac donc, les musulmans et les Noirs sont bruyants et sentent mauvais.
Dans la logique de l’inconstance grotesque, permanente et parfois odieuse donc, de ses propos, il va sans dire que le contenu de ces derniers n’a pour ainsi dire jamais eu le moindre lien avec les actes accomplis et décisions prises par Jacques Chirac durant les quatre décennies qu’il passa dans les allées du pouvoir.
En finir avec la « fracture
sociale », « se baigner de nouveau dans la Seine », l’appel à
voter Valéry Giscard d’Estaing en 1981, la défense de l’écologie, la loi sur
l’indépendance de la justice, le désamiantage de Jussieu, le respect des
critères de Maastricht, l’arrêt des essais nucléaires, la simplification
administrative, la baisse de l’impôt sur le revenu d’un tiers en cinq ans, celle
de la TVA dans la restauration, la diminution du train de vie de l’Etat, le
respect des institutions, le refus de la dissolution, du quinquennat, l’augmentation
de l’aide au développement, etc. La liste pourrait faire autant de lignes que
le nombre de jours passés par M. Chirac dans les plus hautes sphères du
pouvoir, c’est-à-dire depuis qu’il devint, au début des années 60, proche
conseiller du Premier ministre Georges Pompidou, officiellement chargé de
mission pour la « construction, les travaux publics, et les
transports ». Rien ou presque de ce que cet homme a depuis publiquement proféré
et promis, toujours avec force, n’a généralement été fait, jamais !
La tromperie permanente. A bien y regarder, il s’agit-là du seul point fixe des plus de quarante années de Jacques Chirac comme responsable politique. Une tromperie élevée au niveau le plus achevé que pouvait lui permettre le terrain dans lequel elle se développa, c’est-à-dire la France de la seconde moitié du XXe siècle, c’est-à-dire une République qui s’avéra incapable d’établir et dénoncer les turpitudes délictueuses d’un homme, M. Jacques Chirac, qui fut son Premier ministre à deux reprises et son président durant douze années, c’est-à-dire une démocratie qui, au lieu de condamner juridiquement celui qui passa sa vie à piétiner éhontément ses lois les plus basiques, l’éleva au plus haut.
M. Jacques Chirac n’est aujourd’hui juridiquement coupable d’aucun délit. Pourvu que sa première mise en examen soit le signe d’une nouvelle ère.