L’idée de peuple contre la démocratie
par Sylvain Reboul
mardi 20 juin 2006
Très souvent, en démocratie, les majorités électorales se réclament du peuple souverain pour légitimer, d’une manière définitive et absolue, les décisions politiques ; or cette vision est précisément antidémocratique en cela qu’elle confère à une majorité temporaire une puissance permanente et donc anti-démocratique sur la minorité. Comment sortir de cette contradiction apparente qui est au cœur de débat sur la question de savoir si on a le droit démocratique de faire revoter les citoyens sur un même texte (ex:le TCE), ou un texte à peine remanié ?
Remarquons qu’aucun peuple, si peuple il y a, n’est, en démocratie, sauf circonstances tout à fait extraordinaires et éphémères, politiquement uni. Il n’existe que des populations vivant dans un territoire et un système juridique déterminés, et des électeurs dont l’unanimité est impossible et/ou chez qui le consensus majoritaire est en évolution constante ; du reste une majorité repose toujours sur l’équivoque entre des positions très souvent, voire toujours (sinon il n’y aurait aucune majorité), peu compatibles entre elles (ex : le non au TCE) ; de plus, ce qu’une majorité a fait, une autre peu le défaire ; celle-ci peut même être composée des mêmes individus-électeurs qui ont le droit de changer d’avis (la liberté de penser suppose celle de penser différemment aujourd’hui par rapport à ce que l’on a pu penser hier), la possibilité de l’alternance est une condition et un effet de la démocratie pluraliste réelle.
Ainsi l’idée de peuple est une fiction politique de type métaphysique,
c’est-à-dire ne correspondant à aucune réalité d’expérience possible. Cette
fiction rhétorique devient une illusion si on lui confère le statut d’une
vérité servant à décrire ou à expliquer une quelconque réalité politique. Elles
n’est qu’un moyen commode de faire croire à la justesse d’une décision pour la
rendre pour un temps incontestable : un simple moyen rhétorique nécessaire en vue de stabiliser temporairement une
ligne politique ; encore faut-il que cette ligne et la majorité qui l’a
choisie soient un minimum cohérentes pour être interprétables ; ce qui est à l’évidence
n’est pas le cas du non au réferendum sur le TCE qui a vu l’alliance de fait et absurde en droit entre des adversaires de l’Europe politique et des partisans dits de gauche d’une
plus grande intégration politique et sociale, en oubliant que le TCE ne pouvait être qu’un compromis seulement un peu meilleur que le compromis antérieur (Traité de Nice) entre des populations politiques et des Etats différents qui n’ont pas vocation, pour le moment, de se fondre en un seul Etat.
Un résultat électoral (par exemple celui d’un référendum) n’est donc qu’un
épisode politique circonstanciel qui peut être dépassé ultérieurement,
voire contredit par d’autres actes majoritaires. Qui refuse cette fluctuation
électorale rejette simplement la démocratie au profit d’un mythe totalitaire et
liberticide : celui d’une société totalement et définitivement unie sous la
férule de décisions prises antérieurement par une population électorale à
l’unité prétendûment sans faille, omnisciente et disposant d’un pouvoir sans
borne ; autant dire un bloc divinisé et providentiel.
Français, encore un effort, si vous voulez être démocrates, sinon
révolutionnaires : tuez l’idée
pseudo-républicaine de "peuple uni de droit divin". La fiction de Dieu est politiquement morte chez nous, reste à assassiner celle de "Peuple-dieu de la politique" qui n’a fait que séculariser l’idée de "monarchie de droit divin" aux dépens de celle de démocratie vivante.
PS : J’ai fait volontairement court pour mieux lancer le débat ; pour approfondir cette analyse critique, vous pouvez vous reporter aux deux articles suivants :