Qui paiera plus pour que je gagne plus ?

par Polixandre
jeudi 20 décembre 2007

L’actualité politique est cette semaine tournée vers la mise en place des mesures en faveur du pouvoir d’achat ! « Travailler plus pour gagner plus », selon la formule-fétiche de Nicolas Sarkozy. Slogan simple, efficace, et difficilement contestable. Quelles embûches se cachent derrière cette simplicité apparente ?

Rencontre avec les fonctionnaires lundi, examen du projet de loi sur le pouvoir d’achat mardi, et conférence sociale avec syndicats et patronat mercredi.
Le moins que l’on puisse dire est que le sujet dominant de cette semaine aura été le pouvoir d’achat.
A l’heure de la mise en place des propositions présidentielles, c’est l’occasion de tenter un examen des directions choisies par le chef de l’Etat (et son gouvernement téléguidé depuis l’Elysée...) pour régler ce problème.
Car problème il y a  : on peut reconnaître à Nicolas Sarkozy le mérite de n’avoir pas cherché à nier son existence, ni à le faire passer pour une impression due à un pessimisme sans fondement.

« Travailler plus pour gagner plus »

Chacun connaît le postulat de base de la théorie sarkozyenne sur ce point, l’un des slogans qui ont bâti le personnage lors de la campagne présidentielle.
Un slogan efficace comme un coup de revolver, incontestable comme une vérité de La Palice, tant il paraît difficile de s’y opposer, sauf à prétendre que ceux qui travaillent plus devraient gagner moins....
Pourtant dans l’interprétation de Nicolas Sarkozy, ce n’est pas cette évidence de La Palice  : ce n’est pas « Ceux qui travaillent plus doivent gagner plus », mais bien « Si vous voulez gagner plus, votre seule solution sera de travailler plus ».

Dans cette interprétation, il est permis de soulever quelques réserves.
Diverses pistes peuvent être en effet invoquées pour justifier que le travail des Français est suffisant, et devrait en toute justice déboucher sur un pouvoir d’achat accru. Parmi celles-ci :

L’insinuation selon laquelle les Français ne travailleraient pas assez pour avoir le droit de réclamer plus de pouvoir d’achat résiste donc fort peu à une analyse sommaire.


On est bien plutôt confronté à un problème de redistribution, auquel s’ajoute des hausses de prix pas toujours justifiées.
Mais passons (pour cette fois...) sur les aspects très critiquables de l’analyse de Nicolas Sarkozy, et prenons-en acte. Soit.
Les principes dégagés sont clairs. La politique mise en oeuvre reposera sur ces principes. Pour contestables qu’ils soient, il ne reste plus maintenant qu’à se poser la question de leur efficacité.
Chacun connaît les deux modalités d’applications principales annoncées par Nicolas Sarkozy : défiscalisation des heures supplémentaires, et possibilité de proposer à son employeur le rachat des jours de RTT (je ne parle pas ici de l’extension du travail le dimanche, qui ne concerne pas tout le monde, et qui mérite sans doute un article à lui tout seul).
Ces deux mesures suffiront-elles à nous permettre de « travailler plus pour gagner plus » ?

Rien n’est moins sûr. Quelques exemples significatifs...


Travailler plus : l’employeur est-il prêt à payer plus ?

F. est informaticien, dans une SSII (société de service en ingénierie informatique). Ces entreprises réalisent des travaux informatiques (conception de logiciels par exemple) pour d’autres sociétés. Les très grosses entreprises (banques, industries lourdes, de type Airbus...) font souvent appel à des SSII pour répondre à leurs besoins informatiques.
F. vient de terminer une semaine de soixante heures de travail, parce que le travail demandé devait être livré à temps, dans des délais trop courts vu la difficulté réelle du projet.
La culture des SSII (comme d’ailleurs de l’ensemble du secteur privé), c’est d’abord de ne pas compter ses heures, pour que le travail soit réalisé dans les délais prévus.
Ces heures que le bon employé est censé ne pas compter, ne sont pas comptabilisées, et ne sont pas officiellement reconnues comme heures supplémentaires. Au nom de « la culture du privé », les heures supplémentaires non payées font partie d’un accord tacite : ne pas compter ses heures et accepter une pression accrue, en échange d’un salaire plus élevé que dans le secteur public.
Lorsque F. se présentera devant sa direction pour demander à pouvoir faire des heures supplémentaires, à « travailler plus pour gagner plus », on ne lui en accordera pas, car pourquoi l’employeur voudrait-il payer plus pour ce qu’il a déjà ?

G. travaille dans le service comptable dans un établissement public, et son salaire est payé par cet établissement. Il doit chaque année déclarer les horaires qu’il souhaite appliquer, de façon à totaliser un total de 37,5 heures par semaine. Pas une heure de plus, pas une de moins. La durée légale du travail étant de 35 heures, il bénéficie de jours de RTT pour compenser.
Lorsque G. a demandé à pouvoir renoncer à quelques jours de RTT et être payé plus en contrepartie, un refus lui a été opposé, car l’établissement a un budget serré, et n’a pas les moyens de lui racheter ses RTT.

A. cumule en quelque sorte plusieurs handicaps : il est contractuel dans la fonction publique, son contrat est renouvelé chaque année. Pour éviter de tomber dans la situation de renouvellement abusif de CDD, l’établissement public l’emploie à temps partiel. Travaillant à temps partiel, il n’a accès ni aux heures supplémentaires ni aux RTT. Il ne lui reste donc rien à faire racheter par son employeur.

Là où le bât blesse...

Ces exemples, loin d’être marginaux, mettent en évidence un défaut fondamental des mesures annoncées par le président : leur champ d’application est extrêmement réduit, car il ne tient pas compte d’une contrainte pourtant incontournable : vous ne pourrez gagner plus en travaillant plus que si l’employeur peut/veut bien vous payer plus en échange de votre travail en plus.

 

Fondements idéologique contestables et champs d’application d’ores et déjà extrêmement réduits, tout cela en raison d’une analyse grossièrement déficiente d’un dirigeant probablement nettement moins compétent qu’il n’en a l’air...

Même si je souhaite tout le succès possible aux mesures de N. Sarkozy pour favoriser le pouvoir d’achat, il ne m’est guère possible de me montrer optimiste...

Des pistes existent pourtant, et d’abord la plus évidente d’entre elles : pourquoi , dans un débat sur le pouvoir d’achat, la question de la hausse des salaires n’est-elle-jamais évoquée ? Pourquoi ne pas faire un « Grenelle des salaires » qui réunirait tous les partenaires concernés, et voir ce qu’il en sort ?

Que peut signifier cet « oubli » ? A chacun d’apporter sa réponse...

Et maintenant ?

S’il arrivait - comme c’est donc prévisible - que les mesures annoncées ne donnent aucun résultat, resteraient alors des souvenirs amers.

Le souvenir amer d’un candidat flamboyant qui avait déclaré vouloir « être le président du pouvoir d’achat » et, dans la foulée, être le premier à « dire ce qu’il fait, et fait ce qu’il dit ».

Le souvenir d’une ministre de l’Economie rejetant sèchement les Français dans les cordes en leur indiquant que si l’essence était trop chère, ils n’avaient qu’à rouler en vélo, tout comme Marie-Antoinette assénait en son temps « s’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche ».

Le souvenir d’un chef de l’Etat, pour l’occasion tout aussi sec envers la « France d’en bas », rappelant lors d’une intervention télévisée très attendue qu’il « n’était pas le Père Noël », peu de temps après la loi TEPA et son cadeau fiscal de 15 milliards à destination des plus favorisés.

Le souvenir du même chef de l’Etat se gratifiant d’une augmentation luxuriante de 140 % (au bas mot...) semblant confondre « président du pouvoir d’achat » et « pouvoir d’achat du président ».

Lorsque les résultats ne seront pas au rendez-vous, et que seuls les souvenirs amers de ces personnages méprisants demeureront, éviterons-nous que la déception se change en rage ?


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