Le gniot indigeste

par C’est Nabum
samedi 14 octobre 2023

 

Un versificateur

 

Il pourrait se prénommer Clément ou bien Raymond mais qu'importe puisque l'essentiel pour lui est de se faire un nom. Pour satisfaire son ego, il couche sur le papier des écrits qu'il désigne pompeusement sous le vocable de poèmes. La chose peut surprendre au demeurant tant le personnage se gonflait d'une importance qui laisse pantois celui qui par la suite, explorera ses lignes.

La posture, c'est là l'essentiel pour donner à croire qu'il suffit de s'accoler une étiquette pour que les muses vous adoubent. L'homme ne manque justement pas de cette suffisance qui alerte tous ceux qui s'échinent à coucher sur le papier des sentiments en se demandant par quelle étrange alchimie, ceux-ci peuvent parfois de très loin, approcher les œuvres magnifiques de nos illustres auteurs.

Il est donc poète et pétrit avec vigueur la langue française. Il en fait du reste grand état, publie des recueils, répond à des interviews, glisse ses vers, ses petites traces, dans différents opuscules où il ne cesse de revendiquer son terroir. C'est ainsi qu'il se persuade qu'avoir les pieds dans la vase des marais donne des ailes et du talent.

Il avance avec ses gros sabots, s'octroyant une attachée de presse, une chargée de communication car, comme chacun sait, le poète véritable ne peut consacrer la moindre minute aux contingences d'une société qu'il survole de sa verve littéraire. Il délègue tandis qu'il s'attache à laisser une œuvre inoubliable pour l'édification des générations futures.

L'approcher est difficile. Le lecteur ne voudrait pas interrompre ses réflexions. Il est sans doute en pleine inspiration. Il ne faudrait pas, par cette faute impardonnable, priver notre civilisation d'un poème décisif. Il confie les contingences matérielles à sa première admiratrice qui vendra avec jubilation les fruits de son talent immense.

Spectacle éblouissant de l'auteur qui accepte alors de descendre de son Eden pour consentir à quelques lignes sur ce futur trésor de la pensée. Il couche quelques mots, une signature qui bientôt vaudra de l'or. Le lecteur peut se retirer, en s'excusant presque, d'avoir interrompu le souffle poétique qui l'habitait alors.

Les muses parfois s'amusent à leurrer leur monde. Elles sélectionnent avec une douce ironie un personnage qui tient plus de l'outre vide que de l'inspiré céleste. C'est alors qu'elles l'incitent à s'exposer ainsi, se prétendre poète, revendiquer haut et fort ce terme qui se passe aisément de l'auto-proclamation. Elles agissent ainsi sans doute pour que, ceux qu'elles ont véritablement touchés de leur grâce, puissent œuvrer dans la discrétion et le silence qui sied à cet art magnifique.

Seul souci, mais il est de taille, l'acheteur peut rapidement se sentir floué. Il vient d'acquérir un objet littéraire indéterminé, incertain, insignifiant. Il se promet de ne plus se laisser avoir, de se méfier la fois prochaine quand un individu, arc-bouté sur ses ergots, la crête flamboyante et le chant tonitruant, lui affirmera qu'il est un grand écrivain.

Les écrits vains font souvent grands dégâts. Ils découragent des lecteurs occasionnels qui devant cet achat inconsidéré qu'ils ont consenti en se fiant au décorum et aux flagorneries multiples, se promettent de ne plus se laisser pendre. Un lecteur de perdu, ce n'est certes pas dix de retrouvés. Le livre souffre de ce mal sournois de la surenchère et de l'explosion des auteurs auto-proclamés.

NB : Le gniot est un gâteau mal pétri, mal cuit qui propose un met sans saveur, sans tenue. L'usage a généralisé ce terme pour un travail bâclé, une production qui ne laisse aucun souvenir. Pratiquer la chose dans son petit coin de terre justifie le sous-titre qui n'est qu'un jeu de mots sans incidence, ça va de soi, rédigé par un médiocre écriveur qui hait ses vers et se trouve par la même occasion naturellement jalouse du talent de celui qu'il tourmente honteusement.

À contre-plume


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