L’enfant de l’art

par C’est Nabum
vendredi 10 mai 2024

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Pas si simple.

 

Il m'importe de soulever le rideau pour laisser tomber le masque d'une expression qui a tout lieu de vouloir nous tromper quand un quidam prétend que ce qu'on lui demande de réaliser se fera sans le moindre problème, sans aucune difficulté. Il y a une perversion dans cette formule qui subodore que produire une œuvre d'art serait d'une telle facilité qu'un enfant en bas-âge pourrait s'en charger aisément.

Bien sûr, je viens présentement chercher la petite bête quand personne ne songe à dénouer les ressorts qui ont prévalu à la naissance de ce propos. L'art justement, c'est aller au-delà des apparences, c'est donner du sens à ce qui échappe à la compréhension commune immédiate, c'est se donner les moyens d'éclairer le réel sous un angle nouveau. Je n'aurai donc aucune raison de pérorer sur un tel sujet, conscient que déjà la plupart des lecteurs potentiels ont pris leurs jambes à leur cou.

L'enfance convoquée ici, serait ainsi l'univers de la naïveté, de la capacité à créer la surprise sans se creuser la tête tout en produisant des fulgurances qui échappent à une réflexion approfondie. C'est du moins ce que sous-entend ce rappel à cet innocent âge tendre duquel pourrait jaillir des merveilles sans intention réelle ni projet structuré. C'est faire bien peu de cas de leur pouvoir d'imagination. C'est aussi affirmer que tout ce qui vient des enfants relève du fortuit, ce qui est loin d'être le cas.

L'art serait aussi le fruit du hasard. C'est encore ce qu'insinue cette façon de s'exprimer en feignant la modestie ou en prétendant que ce qui vient de se passer relevait de l'évidence. C'est justement ce qui distingue l'art de nos autres activités. Il y a nécessairement une longue période de maturation, un profond travail d'introspection pour au final, produire une œuvre qui est tout sauf le fruit de la divine providence.

Si l'art dispose d'une enfance, c'est alors une longue période de recherches personnelles constituées d'échecs, de doutes, de découragements, de fausses pistes, de renoncements suivis de rares fulgurances. C'est un très long cheminement qui n'a rien de cette évidence empreinte de facilité que décrit cette formule.

Rien de commun avec ce terme qui semble prendre par la jambe la genèse de ce qui vient de naître ou se passer pour justifier de dire cela avec une condescendante feinte. Méfiez-vous donc de ce propos qui porte son pesant de sournoiserie et de mépris vis à vis de l'acte créatif. C'est encore la manière de se situer au-dessus de ces maudits artistes, ces êtres inutiles qui sont des poids pour une société vouée au profit.

Il convient même de pousser ce raisonnement pervers en prétendant sans avoir l'air d'y toucher que l'artiste est un être immature, un inutile qui ne participe pas à la création de richesses, à la progression de ce système vers sa chute fatale. L'artiste à vouloir dépeindre les travers de ce monde en perte de repères devrait être mis sous tutelle ou pire même, censuré afin de laisser les adultes sérieux, poursuivre leur marche dans le vide.

Après l'enfance de l'art, il y aurait donc la sénilité de la croissance, la fuite en avant dans le vide. Mais gardons-nous de croire que nos contemporains sont encore en mesure de donner du sens aux expressions qu'ils utilisent. Ils se contentent de répéter en boucle les mots à la mode, les formules dans le vent, les éléments du langage branché pour se donner l'illusion d'être des acteurs conscients de ce qui n'est en définitive que la formule lexicale de notre décadence sociétale.

Comme tout ceci se passe ainsi parmi nos élites, ces gens qui nous gouvernent en usant de truismes, de formules creuses et d'une langue de bois perdant tout rapport au réel, nous nous enfonçons lentement dans une communication de la vacuité. À l'enfance de l'art succédera peut-être la décrépitude de la raison, la réfutation de la réflexion et l'usage systémique à l'intelligence artificielle qui donnera naissance au véritable art d'or de notre déshumanisation.


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