Le logement : un vrai chantier pour bientôt

par Jean Levain
samedi 4 décembre 2010

Malgré les lois ou autres textes déclarations rassurantes et les innombrables congrès, colloques, journées d’études, articles, livres ou déclarations, rien ne semble vraiment bouger en matière de logement. La collectivité dépense quelque 30 milliards d’euros chaque année sur le budget du logement aidé et tout le monde se plaint. L’Etat trouve que ça coûte cher, les bailleurs sociaux qu’on n’en fait pas assez ou même qu’on en fait moins, les promoteurs se voient confinés aux opérations de standing et surtout, en zones de tension au premier rang desquelles l’Ile-de-France, les mal logés ou plus logés du tout sont de plus en plus nombreux.

Le constat
 
En ce début d’hiver, le nombre des Français, souvent titulaires d’un emploi, qui se voient privés du droit au logement, ne cesse d’augmenter et de conduire à des situations de plus en plus dramatiques comme tous les élus locaux le savent bien. On en est arrivé, en région Ile-de-France, à quelque 400 000 personnes. Encore les statistiques ne prennent-elles pas en compte une demande qui ne peut s’exprimer puisqu’elle est interdite, celle de la cohabitation en milieu HLM. Ceci explique en partie pourquoi l’effort de construction –relativement modeste et mal adressé- n’endigue pas une misère grandissante.
 
 Quant aux bilans de l’augmentation de production, officiellement la seule solution efficace, ils sont quantitativement peu satisfaisants malgré un effet réel de la loi SRU et qualitativement encore moins car ils bénéficient principalement aux couches les moins défavorisées de la population. Ajoutons que le public, en zone de tension, est parfaitement conscient des abus inévitablement générés par le système actuel en plus de son médiocre bilan : directeurs de cabinet voire secrétaires d’Etat logés à bon marché, logements peu ou pas occupés, arbitrages de logement impossibles, règles non respectées etc. Seule la profession, depuis son immeuble de la rue Lord Byron, affirme avec une belle constance qu’il n’y a pas de problème.
 
Les réactions de la gouvernance logement
 
Ce qu’on pourrait appeler « gouvernance logement » inclut bien sûr le gouvernement mais aussi le parlement, les collectivités territoriales, les organisations et lobbies concernés par le logement tout court et le logement aidé, les entreprises au titre du 1%, le monde associatif pour les plus démunis sans oublier les organismes publics pourvoyeurs des emprises sur lesquelles on peut encore construire (Armées, RFF, Ports, musées ou hôpitaux etc.) Quelles sont ses réactions face au constat d’échec ?
 
A gauche, on veut conserver ou augmenter les budgets d’aide à la pierre et aider les maires dits bâtisseurs. C’est bien, mais cela revient souvent à donner en plus ce que l’Etat donne en moins car ce dernier, officiellement pourfendeur des financements croisés, en devient subitement partisan dans ce domaine. De bonne ou de mauvaise foi le développement durable tend parfois à faire oublier les vraies priorités sociales et à la sortie des opérations SRU l’on ne retrouve pas toujours l’équation de départ, les communes les plus populaires estimant souvent qu’elles ont déjà donné. On ferme trop souvent les yeux sur le fait que des plafonds trop hauts (aujourd’hui quelque 70% des ménages sont éligibles à un logement aidé) servent de prétexte à un "écrémage par les revenus" de la demande. C’est bien pour les finances des bailleurs, peut-être, mais à l’arrivée c’est une négation de la justice sociale.
 
A droite le maître mot est : Accession. Pourquoi pas ? Mais au lieu d’obtenir du système financier des formules efficaces pour du crédit à long terme, on cherche en fait à privatiser l’aide à la pierre, tant à l’intérieur des ESH* qu’en leur faisant vendre le patrimoine. Le PTZ qui est et restera une formule marginale, est considéré comme une panacée et l’Etat, derrière un discours creux, diminue son aide et finit de tondre la laine du 1%, devenu dans les faits une taxe sur le logement social (!). Pour couronner le tout, les parlementaires se sont donné bonne conscience avec la loi DALO qui dans le contexte actuel revient à discuter gravement du mode d’attribution de logements…virtuels. Et l’on n’a toujours pas abandonnée l’idée d’un système « omnibus » valable sur toute la France alors que la problématique est exclusivement régionale. Quant aux associations, les seules à prendre en charge les besoins les plus durs, elles sont abandonnées à la bonne volonté de Conseils Généraux souvent asphyxiés par les transferts des charges de l’Etat ou tout simplement indifférents. Donc, les « gentilles » associations réduisent leurs programmes et les moins gentilles manifestent en vain.
 
Un retour au bon sens s’impose
 
Un examen sans préjugés de cette situation aux conséquences de plus en plus dramatiques ne peut que faire apparaître quelques constats de bon sens. En voici, de façon non exhaustive, quatre.
 
Le premier c’est qu’aujourd’hui le logement aidé est devenu une denrée rare qui doit profiter d’abord à ceux qui n’ont pas d’autres solutions, quelles que soient leurs ressources financières. S’imaginer que la seule production de logement aidé, nécessairement de plus en plus limitée pour des raisons d’urbanisme aussi bien que financières pourrait satisfaire à la fois les plus et les moins pauvres est une grave illusion et le faire croire au public, irresponsable.
 
Le second et dans la logique du premier, c’est qu’il n’y a aucune raison à faire apparaître des classes différentes de logement aidé réservées à des publics différents. Inversement, il est scandaleux de faire payer le même loyer à des bénéficiaires dont les besoins réels aussi bien que les ressources varient considérablement dans le temps et dans l’espace. La simple justice sociale serait qu’un taux d’effort identique soit appliqué aux ressources nettes de chaque bénéficiaire. De cette façon, à partir d’un certain niveau de revenus du ménage, il aurait intérêt à se tourner de lui-même vers le secteur privé.
 
Le troisième c’est que l’accession pleine et entière est, pour toutes sortes de bonnes raisons, souhaitée par des millions de Français et que la « quasi-propriété » HLM n’est qu’un pis-aller qui montre de plus en plus ses limites. Parallèlement, l’Etat utilise des ressources considérables à servir sans contrepartie d’assureur à une spéculation privée inutile et dangereuse. Et en France, aucune sanction ne s’en est ensuivie. Mieux vaudrait dès lors qu’il aide la communauté financière à prendre des risques pour permettre avec des durées longues et de faibles taux, une large accession avec d’excellents effets induits pour l’économie.
 
La quatrième, c’est que ce n’est pas à une profession, qu’elle soit publique, privée ou mixte, de conduire la politique du logement mais à l’Etat de mettre en place une politique universelle juste, durable et économique où tous les contributeurs : acquéreurs, locataires, entreprises (et particulièrement PME), constructeurs privés et publics, contribuable et citoyen trouvent leur compte et un juste bénéfice pour leur effort. Dans ce domaine comme dans de nombreux autres, le corporatisme conduit à l’impasse et le « politique » doit servir à quelque chose, s’il en est capable.
 
Les bases possibles de la résolution du problème
 
Tout d’abord, la demande de logement engendrée par les évolutions sociétales et les transferts de population pour des raisons principalement économiques, doit être satisfaite de façon non seulement quantitative mais qualitative. Ainsi, en faisant une part plus importante à l’accession grâce à des crédits longs et économiques, on favoriserait l’ « économie réelle » en créant une nouvelle demande de biens durables et on mobiliserait la finance vers davantage de remplois utiles. On éviterait aussi de surcharger le locatif aidé d’une demande impossible à satisfaire et de faire en fait du dumping vis-à-vis du secteur privé de la construction. La sempiternelle objection à cette politique est de considérer les futurs accédants comme des mineurs incapables qu’il vaut mieux garder en lisière grâce au locatif. Cette objection ne tient pas, si la communauté financière et l’Etat font leur travail. Mais dans une logique corporative et politicienne, elle se vend fort bien.
 
A l’inverse, le secteur locatif, privé ou public, doit tenir compte des véritables priorités sociales : logement étudiants, familles privées de logement, personnes âgées en difficulté ou tout simplement proportionnellement plus nombreuses. Ce n’est pas le cas actuellement et globalement, au travers du jeu institutionnel des attributions on ne prend pas le chemin de le faire. Conclusion : le choix de l’aide à la pierre était peut-être justifié dans les années 1950, encore n’est-ce pas certain. Mais dans le contexte d’aujourd’hui, il est clairement d’un coût insupportable face à des résultats sociaux très insuffisants et à des effets pervers de plus en plus évidents. Ainsi, en matière de sécurité, le droit au maintien dans les lieux garantit l’inexpugnabilité des fauteurs de trouble et des trafiquants du moment qu’kils paient leur loyer ce qui ne leur pose bien sûr aucun problème. Quant aux « surloyers », quand ils sont appliqués, ils servent essentiellement à perpétuer légalement des privilèges.
 
Remettre l’église au milieu du village, c’est-à-dire faire de la justice sociale le centre du volet locatif du logement et de l’accession – la vraie, c’est-à-dire celle qui n’appauvrit pas l’offre locative- l’objectif numéro un de toute demande solvable, paraît la double démarche la plus raisonnable, tant sur les plans financier et économique que pour la résolution d’une fracture sociale qui s’aggrave tous les jours, avec des conséquences catastrophiques. Les moyens publics doivent aller prioritairement à la satisfaction réelle et rapide des besoins essentiels et non être dispersés dans un tout indifférencié et de plus en plus mal contrôlé. Il existe des solutions techniques et financières pour cela, si l’on ne fait pas du fait de ne rien changer au système existant un dogme, bien entendu.
 
La loi DALO, redisons-le, est un subterfuge qui non seulement n’arrange rien mais inverse les priorités et sert essentiellement aux « politiques » à gagner du temps, alors qu’un aggiornamento du système est devenu non seulement utile mais indispensable et que les experts du problème le reconnaissent presque tous…mais « off ».
 
Une gauche compétente et ancrée dans des convictions vraiment sociales sera, n’en doutons pas, à la hauteur de cette tâche ambitieuse, l’une de celles qui seront, dans moins de deux ans, parmi les plus prioritaires dans la reconstruction d’un pays mis à mal par la politique actuelle.
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*Entreprises Sociales de l’Habitat

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