Cinq ans dans la Chine de Xi Jinping : recension (1/3)

par xiao pignouf
samedi 24 février 2024

Dans son dernier ouvrage paru aux éditions Tallandier, Cinq ans dans la Chine de Xi Jinping, Frédéric Lemaître, ancien correspondant du Monde à Pékin nous raconte sa Chine. Celle qu’il a pu observer, à partir de sa prise de poste en 2018 et pendant les cinq ans qu’a duré son affectation, quelques mois après le début du deuxième mandat de Xi Jinping qui avait démarré en mars de la même année. Il est notable que ce livre et les impressions qui y sont exposées sont clairement marqués par la pandémie de covid et les restrictions mises en place par le gouvernement chinois dans le cadre de sa politique zéro-covid et qui n’ont pas manqué d’entraver son travail de journaliste. Lemaître est probablement allé en Chine au pire moment de son histoire récente et il convient de ne pas minimiser les complications psychologiques et professionnelles que ce contexte a pu causer. De retour en France, il publie ce livre-bilan : 283 pages, 30 chapitres ceinturés d’une introduction et d’une conclusion. À l’heure où j’écris ces lignes, je ne sais pas si chaque chapitre nécessitera un examen aussi minutieux que ceux que j’ai déjà repérés. On prendra les choses comme elles viennent.

Il y a d’ores et déjà un préalable qu’il faut établir [NDA : et qui me concerne autant que Frédéric Lemaître] : il est fondamentalement impossible, même dans la durée, d’appréhender pleinement un pays, sa culture et ses mentalités sans en parler la langue avec un minimum d’expertise. Et encore y a-t-il un bémol : vivre en Chine même en ayant conquis le mandarin qui permet de communiquer avec tous les Chinois, cela n’ouvre aucunement les portes des compréhensions secrètes ou des conversations volées, puisque la majorité des Chinois parlent entre eux les dialectes qu’ils partagent et qui sont toujours vivaces. En parlant le mandarin, on peut comprendre les Chinois qui nous parlent mais pas nécessairement les Chinois qui se parlent. En outre, cette lacune linguistique s’aggrave considérablement lorsqu’on s’avère incapable de mettre en perspective l’instant t d’une société, quelle qu’elle soit, avec son histoire. Et l’on peut deviner sans peine combien celle-ci est essentielle à prendre en compte lorsqu’il s’agit de la Chine.

Car cinq ans dans l’histoire de la Chine, ce n’est qu’un clignement d’yeux. Or, ces références nécessaires à une compréhension de la société chinoise contemporaine sont globalement absentes du livre de Lemaître, et si parfois, il s’appuie sur des faits passés, ceux-ci sont le fruit d’un cherry-picking opportun. Lorsque par exemple il invoque Ursula Gauthier, cette ancienne correspondante du Nouvel Observateur en Chine, c’est pour à nouveau affirmer que celle-ci, comme elle-même l’avait prétendu à l’époque, a été expulsée de Chine pour les propos tenus dans un de ses articles. Premièrement, elle n’a pas été expulsée, on lui a juste refusé le renouvellement de son visa. Mais la rhétorique de l’expulsion laisse dans l’imaginaire la trace d’une violence subie quand celle d’un non renouvellement de visa la réduit au rang de contingence administrative. Dans un précédent article avait été mis en évidence ce désir de vouloir se parer de l’aura d’une journaliste bâillonnée. Deuxièmement, elle a eu ce qu’on peut aisément considérer comme des paroles de dédain pour les victimes chinoises d’attentats terroristes au moment même où en Chine on rendait hommage aux victimes parisiennes, de surcroît en accusant Pékin de faire un amalgame entre terrorisme islamiste en France et terrorisme ouïghour en Chine pour lequel elle faisait preuve de complaisance en lui donnant les atours de la résistance à l’oppresseur chinois. Imaginez un seul instant qu’un diplomate ou un journaliste étranger compare les meurtriers du Bataclan à des résistants à l’impérialisme français, il n’est pas certain qu’il ne devienne pas lui aussi persona non grata sur le territoire français…

Dans son introduction, l’auteur se plaint d’ailleurs que la durée de validité des visas de travail soit limitée à un an, en laissant croire que ce serait le cas seulement pour les journalistes. En réalité, tous les étrangers occupant un emploi en Chine sont soumis à cette règle du visa d’un an renouvelable. Ce renouvellement qui est conditionné à un contrat de travail en règle, au respect de la loi et à un comportement qui ne nuit pas aux intérêts de la nation est, à notre connaissance, illimité. L’expulsion immédiate est réservée à des actes illicites : consommation de drogue, sollicitation de prostituées, prosélytisme religieux par exemple. Dans le cas de faits plus graves, c’est à la justice chinoise qu’on a à faire. Visiblement, et après les quelques analyses du contenu des dizaines d’articles écrits par les correspondants du Monde en Chine, critiquer ouvertement la politique chinoise, parfois jusqu’à frôler ce que feraient des agitateurs étrangers, ça n’empêche pas toujours de pouvoir rester sur le territoire chinois. On peut résider et travailler en Chine sans être chinois autant d’années qu’on le désire mais en traversant, hélas, chaque année les affres procédurières de l’administration chinoise. Qu’on se rassure, généralement les ressortissants étrangers bénéficient de l’assistance des services dédiés chez leur employeur. Ils n’ont rien d’autre à faire que de fournir leur passeport et leur nouveau contrat de travail. On pourrait juste reprocher à la Chine son usage abusif des CDD.

Cette introduction laisse entrevoir les désinformations à venir, notamment en raison d’habitudes qui ont la vie dure chez ces journalistes peu enclins à explorer plus loin que leur environnement immédiat et davantage à tirer des généralités d’exemples individuels : ils dénichent un Chinois mécontent et c’est toute la société chinoise qui l’est. Les désinformations, on le verra, sont souvent subtiles et peu repérables si on connaît peu ou si on s’intéresse peu à la Chine. Par exemple, lorsqu’il affirme, au beau milieu de son introduction que l’État chinois ment en déclarant avoir éradiqué la pauvreté, il s’agit d’un demi-mensonge, ou d’une demi-vérité selon le point de vue d’où l’on se place : ce qu’a dit l’État chinois, c’est que l’extrême pauvreté avait disparu du pays. Et ça change la donne de l’information : bien sûr que la pauvreté existe encore en Chine, personne ne le nie et encore moins le gouvernement chinois, mais l’extrême pauvreté, celle qui avait cours dans les endroits reculés de cet immense pays, on peut sans craindre de se tromper affirmer qu’elle a reculé jusqu’à disparaître.

Chapitre un : L’empereur rouge

Le premier chapitre, et comme on le verra, tous les autres, est écrit à la manière d’un article. Il traite du sujet central de ce livre : Xi Jinping que Lemaître, un peu paresseusement, compare à un empereur. Qui plus est rouge. La couleur impériale en même temps que la couleur communiste. On veut bien admettre la possible mégalomanie et l’indéniable culte de la personnalité chez Xi mais le peu d’exemples que donne l’auteur sentent le réchauffé : secret, pas très ponctuel, un brin paranoïaque, surprotégé, imprévisible… Il nous semble que ce portrait pourrait tout aussi bien convenir à d’autres chefs d’états, y compris Emmanuel Macron, dont les apparitions publiques font autant l’objet d’une organisation sans failles que d’une sélection rigoureuse des heureux et heureuses élu(e)s qui pourront s’approcher de lui.

Ainsi Lemaître s’étonne que les voitures Tesla soient tenues à l’écart lors de visites présidentielles, y voyant là certainement un caprice du dirigeant chinois, et oubliant au passage de préciser que la marque de voitures électriques de luxe a été impliquée dans de nombreux accidents mortels et des explosions inexpliquées, en Chine comme ailleurs dans le monde. Il déplore ensuite que dans le cadre des apparitions publiques de Xi, demande ait été faite d’interdire les téléphones de fabrication américaine. Ça pourrait effectivement prêter à sourire si on ne se remémorait pas le traitement indigne que le Canada sur ordre des États-Unis a réservé à Meng Wanzhou, alors directrice financière du groupe chinois de téléphonie mobile Huawei et qui a été abusivement détenue en résidence surveillée à Vancouver pendant trois ans de 2018 à 2021, avec l’obligation humiliante de porter un bracelet électronique à la cheville. Jamais Frédéric Lemaître ne s’en est indigné. Ni n’importe quel autre journaliste d’un média mainstream occidental.

Évidemment, il omet d’apporter ces précisions qui permettraient de relativiser la décision chinoise de bannir les marques américaines de téléphonie mobile de certaines manifestations publiques où nombre de photos sont prises par des journalistes et paraissent ensuite dans la presse. Ne parler que d’un aspect en cachant l’autre, sciemment, c’est une des nombreuses méthodes employées par l’auteur, que ce soit dans son livre ou dans les articles qu’il a écrits pour le quotidien Le Monde.

Il aborde aussi la biographie de Xi et son parcours personnel qu’on peut qualifier de traumatisant lorsque quelqu’un traverse et subit la Révolution culturelle à l’adolescence. En Chine, il est notoire de considérer cette génération comme étant perdue puisqu’en raison du contexte de l’époque, elle n’a pu bénéficier d’une scolarité et d’études normales. Pourtant, Lemaître tient à souligner la réputation d’inculture qui pèse sur les épaules du président chinois, toujours sans expliquer pourquoi ni sans donner le moindre indice de cette inculture pour le moins surprenante quand on parvient à se hisser au sommet étatique d’une des trois plus grandes puissances mondiales. En outre, cette observation fleure bon le mépris de classe car elle lie l’inculture à l’absence d’études supérieures, ce qui, à écouter Lemaître, place dans la catégories des ignares une bonne partie de la population française sinon mondiale.

Le seul élément tangible que l’auteur fournit dans ce chapitre et qui puisse éclairer sur ce qui différencie Xi de ses prédécesseurs, c’est le fait qu’il a appliqué un changement radical à la constitution chinoise, lui permettant ainsi de rester virtuellement président à vie. Ce faisant, il a mis à bas l’un des principaux acquis de l’ère Deng qui avait ouvert, après les années Mao, à une alternance du pouvoir dans la constance communiste. C’est peut-être ce retour en arrière, à un passé qu’on croyait révolu en Chine, qui a le potentiel pour rendre impopulaire l’actuel président chinois. Cependant, il demeure que ce désamour n’est pas mesurable en l’état, puisque ces sondages sur la cote de popularité des dirigeants n’existent pas en Chine. L’auteur, après avoir évoqué quelques mécontents, ne peut parvenir à cette conclusion que par le biais d’un raisonnement qui n’est fondé que sur son doigt mouillé. Sur ce point, il convient donc de rester prudent, même si tout porte à croire que cet abus de pouvoir et ce culte de l’image, cumulés aux restrictions du covid, ont contribué probablement à rendre Xi impopulaire auprès d’une partie de la jeunesse chinoise. Mais au pays du LBD, de la matraque et du 49.3, tout ça semble un peu dilettante.

Une dernière chose, sans réelle importance dans l’argumentaire de Lemaître mais prouvant sa propre inculture sur certains aspects des coutumes chinoises : il nomme le chef d’État chinois par son prénom. Or, cette pratique parfaitement normale en France lorsqu’on s’adresse à un proche ou qu’on évoque quelqu’un est absolument proscrite en Chine, réservée à l’intimité des relations entre un enfant et ses parents, et encore ceux-là privilégient généralement l’emploi de diminutifs affectifs. Quand on connaît la biographie de Xi que Lemaître rappelle pourtant, cette grossièreté arrogante ridiculise celui qui la formule et le pare de cette ignorance qu’il se plaît à attribuer à d’autres.

Chapitre deux : Mao superstar

Bon, dès l’entame du chapitre deux, on a un premier indice des lacunes historiques de Lemaître qui se pose là en terme d’inculture. Il s’émerveille comme tout bon touriste des clichés de la Chine ancestrale, mais comme tout bon anti-communiste qui se respecte, il a les yeux qui saignent à la vision des portraits de Mao dans les maisons et les échoppes des plus petites localités chinoises. Pourtant, quand on a vécu en Chine, ces petits portraits du Grand Timonier, vendus sous une multitude de formes, font aussi le charme du pays.

Certes, le PCC n’a toujours pas fait l’inventaire des années Mao. Et alors ? Mal nous en prendrait de donner des leçons sur les inventaires. Sur Mao, on entendra et on lira autant de bien que de mal, à des summums équivalents. Quand on décrit quelqu’un à la fois comme un monstre et comme un sauveur, c’est que la vérité est entre les deux. En Occident, c’est le monstre qui prévaut cependant. Il n’est donc pas étonnant que Lemaître, au lieu de voir cette iconographie juste comme une part du folklore chinois, n’en supporte pas la seule présence. En Chine, Mao est une figure équivalente à celle de De Gaulle en France ou de Lincoln aux États-Unis. Bien sûr qu’on trouvera des Chinois pour le détester et renier son héritage ou ne voir que ses fautes, tout comme il y a des Français qui détestent De Gaulle, mais par pitié, laissons aux peuples le loisir de se choisir leurs héros et de choisir le jour où ils en feront l’inventaire.

Chapitre trois : « En Chine, le passé est difficile à prévoir »

Prenant appui sur le cas de Li Jiaqi, un influenceur en ligne supposément censuré pour avoir montré lors d’un livestream un gâteau en forme de char la veille du 4 juin, l’auteur revient sur un des mythes les plus forcenés véhiculés en Occident : les massacres de la Place Tiananmen.

S’arrêter pour examiner les faits et trier le vrai du faux dans ce que les médias occidentaux en ont dit nécessiterait un article complet, très long de surcroît. Il faut beaucoup plus de temps et d’énergie pour dénouer un mensonge que pour le dire. Il convient tout de même de rappeler qu’en l’absence de preuves matérielles, le scepticisme devrait être la posture à minima. Et de ce massacre, il n’y a aucune autre image qui soit autant exhibée que cette fameuse vidéo de ce fameux char devant lequel un homme, baptisé depuis Tank Man, armé d’un sac plastique dans chaque main, se tient debout et dont il entrave le passage. Cette image a fait le tour du monde, la plupart du temps sous la forme de photo. La vidéo est en effet moins « parlante » puisqu’on y voit le char tentant de contourner l’homme aux sacs plastiques qui finalement parvient à l’escalader, ce qui ne constitue pas vraiment un élément qui puisse corroborer l’idée d’un « massacre ». Tandis que le cliché d’un char semblant s’apprêter à écraser un homme…

Le fait que l’omerta chinoise sur Tiananmen ne soit pas propre à la présidence de Xi et que dès 1989 les évènements aient été recouverts par le voile de la censure peut constituer un indice qui participe à démontrer qu’au-delà d’une critique de la gouvernance actuelle chinoise, Lemaître, à travers son livre, remet quelques pièces de plus dans le jukebox des musiques anti-chinoises parmi lesquelles Tiananmen est un tube. Pour une analyse alternative (et sourcée) du 4 juin 1989 à Pékin, quelques lectures peuvent apporter de nouveaux éclairages.

Néanmoins, si l’épisode de Li Jiaqi a bien eu lieu, il démontre tout de même à quel point cette pratique de la censure systématique et de la mise au secret par des services de surveillance trop zélés est devenue contre-productive à une époque où plus aucun micro-évènement, même en Chine, ne passe inaperçu et a par conséquent les effets inverses à ceux recherchés : donner une visibilité excessive à un incident anodin. Les remous créés par cette tentative malhabile de faire disparaître un simple gâteau n’auraient-il pas simplement pu être évités si on avait laissé couler ?

Chapitre quatre : Confidences de propagandistes

Propagandistes, c’est le terme dont il affuble ses consoeurs et confrères chinois. À l’écouter, en Chine, il n’y a pas de journalistes, il n’y a que des propagandistes. Sauf dans la presse pro-occidentale, celle de Hong-Kong ou de Taïwan. Évidemment, toute communication en provenance de l’État chinois est aussi qualifiée de propagande. Ce mot est sans conteste celui qui est le plus récurrent dans l’ouvrage de Lemaître. Soit. Y a-t-il de la propagande en Chine ? Des services de l’État, de la presse contrôlée par ce même État, du Parti Communiste Chinois et du Président lui-même ? Oui. C’est même un truisme. Mais ce le serait également à propos de tous les pays occidentaux et atlantistes. L’état de guerre permanent dans lequel le monde est maintenu depuis près de 40 ans par la coalition des puissances occidentales emmenée par les États-Unis, n’a été, et c’est un fait aujourd’hui attesté et admis, au sein même des médias dominants, qu’une longue suite de mensonges dans le but de justifier des guerres indues : le faux témoignage des couveuses du Koweït, les armes de destruction massive qui n’ont jamais existé en Irak, la fameuse fiole d’anthrax brandie à l’ONU par Colin Powell, alors secrétaire d’état américain, le génocide des Kosovars par les Serbes et celui de Srebrenica quelques années avant, qui n’ont jamais eu lieu (c’est un mode opératoire répété ad nauseam depuis), les viols et les massacres de populations par l’armée libyenne, les attaques au gaz sarin en Syrie.

Plus récemment encore, le conflit entre l’Ukraine et la Russie, et surtout celui qui oppose, comme une inversion du mythe biblique, le David palestinien au Goliath israélien, sont l’objet d’une propagande d’un niveau jamais atteint. La fermeture en France des médias russes RT et Sputnik au motif de bloquer la propagande de guerre en provenance du Kremlin, loin d’éclaircir l’espace informationnel des mystifications, a laissé le champ libre au rouleau compresseur médiatique hexagonal pour propager les thèses atlantistes, préexistantes au conflit et hostiles à la Russie. Mais c’est autour de l’impitoyable guerre israélienne contre Gaza que se dressent les pires mensonges visant à préserver un état allié criminel. Le massacre est là, réel, matérialisé, à portée de leurs yeux, ses objectifs génocidaires verbalisés par les officiels de l’État hébreu, à portée de leurs oreilles. En vain. Après avoir forgé en série des scénarios qui sont autant de fables, ils feignent de ne pas le voir, de ne pas l’entendre et font tout pour que leurs audiences suivent leur exemple.

Alors, effectivement, en Chine, la « propagande », ça existe. C’est même le Président Xi qui le déclare publiquement. Ce qu’évidemment s’empresse de pointer du doigt l’auteur, oubliant, et c’est malheureusement le cas pour la grande majorité des étrangers, en particulier des Occidentaux [NDA : et ça a été mon cas de nombreuses fois car on ne se départit pas de sa mentalité sans efforts et sans une prise de conscience] que leur ethnocentrisme incite à croire, consciemment ou inconsciemment, à l’universalité des notions telles qu’elles ont été définies au cours de leur histoire. Un observateur comme Lemaître, idolâtre de la démocratie euro-américaine et du suffrage universel, qui plus est construit idéologiquement par un anti-communisme viscéral ne peut qu’être allergique au discours tenu par Xi devant un parterre d’acteurs et d’actrices des médias d’État chinois. Toute idéologie et tout système politique est naturellement critiquable, mais lorsqu’il s’agit de la Chine ou d’autres pays mettant en oeuvre des politiques dites socialistes, tel que Cuba ou le Vénézuela, ou dans le passé l’URSS ou le Vietnam, il est absolument indispensable que cette critique prenne en considération le contexte géopolitique dans lequel ils évoluent ou ont évolué et du sort qui leur a été réservé. Sinon, c’est à une énième analyse de surface, immature puisque d’un idéalisme adolescent à laquelle cet observateur s’emploiera, au détriment de la compréhension mais au bénéfice de sa propre propagande. Et c’est peut-être ce qui fait la différence entre le peuple chinois et nous, Occidentaux : eux en sont toujours conscients, tandis que nous, à l’image d’un Lemaître anesthésié, y croyons jusqu’à la servir. Le chapitre suivant démontre avec limpidité qu’à l’opposé de ce dont est persuadé l’auteur, l’endoctrinement n’est pas l’apanage de ses collègues chinois dans les yeux desquels il voit la paille, et chez lui, il s’accompagne d’une ignorance et d’un amateurisme étonnant pour le correspondant d’un quotidien national.

Chapitre cinq : Un parti communiste et d’extrême-droite

C’est sans conteste le chapitre où Lemaître fait le plus montre d’un manque total de professionnalisme. Il patauge même jusqu’aux genoux dans un complotisme nauséabond. Ici, son but est de prouver les liens entre le Parti communiste chinois et l’extrême-droite. On pouvait s’attendre à tout, mais pas à ça.

Première preuve : le site du Quotidien du Peuple, organe du PCC, a mis en ligne une vidéo de l’avocat d’Alain Soral dans laquelle celui-ci présente, pour d’obscures raisons, ses excuses à la Chine. Peu importe que la vidéo ait été supprimée dès son origine connue, ça suffit à Lemaître pour en conclure que, dixit : « il y a bel et bien des liens entre le régime chinois etla droite française la plus extrême ».

Deuxième preuve : au mois de mai 2020, l’ambassade de Chine au Japon (et non seulement en France, comme l’affirme Lemaître) tweete une caricature représentant la Mort drapée dans la bannière américaine et dont la faux porte les couleurs de l’État hébreu frappant à la porte de Hong-Kong. Derrière elle, sont béantes les portes du Vénézuela, de l’Ukraine, de la Syrie, de la Libye et de l’Irak, d’où s’échappent des coulées de sang. L’origine de cette caricature est inconnue mais on en trouve une version antérieure sur laquelle c’est la porte de l’Égypte et non celle de Hong-Kong qui est représentée, suggérant donc que les services de l’ambassade (ou quelqu’un d’autre) ont adapté la caricature originale. Nous le savons aujourd’hui plus qu’hier, critiquer Israël, de quelque manière que ce soit, équivaut à être antisémite. Face aux premières accusations qui ne manquent pas d’arriver sur les réseaux sociaux, le tweet est supprimé. On peut bien sûr reprocher aux services de l’ambassade leur étourderie pour ne pas avoir remarqué ce détail peu visible sur la caricature. Lemaître n’en démord pourtant pas : la Chine est antisémite, et donc d’extrême-droite. On lui rafraîchira la mémoire en lui rappelant que la Chine, alors qu’elle-même faisait face à un envahisseur, a accueilli à Shanghai 20 000 juifs qui fuyaient le régime nazi, faisant dire au rabbin Shalom Greenberg, co-directeur du Centre juif de Shanghai : « C’est l’un des rares endroits du monde où l’on n’a pas peur quand on entend quelqu’un dire dans la rue ‘c’est un Juif’ dans la langue locale. Cette terre n’a jamais connu l’antisémitisme« .

On attend de Frédéric Lemaître qu’il nous donne des conclusions identiques sur les liens entre Israël et l’extrême-droite française.

Troisième preuve : la Chine est nationaliste. Bien que ce soit la plus consistante des trois preuves, elle démontre encore une fois à quel point Lemaître est totalement dépourvu de la moindre amplitude idéologique et qu’il est parfaitement inapte à sortir de ses propres schémas de pensée. Le nationalisme pour certains pays est une nécessité vitale pour se protéger d’un monde dangereux parcouru par des puissances prédatrices. Beaucoup de pays africains le sont devenus pour se débarrasser de leurs colonisateurs. La nationalisme français, allemand ou américain n’a pas la même valeur que le nationalisme chinois, russe ou nigérien. Quand le nationalisme français se conjugue avec colonialisme, impérialisme et qu’il cible les populations françaises d’origine immigrées et les migrants, être nationaliste – c’est-à-dire faire nation – en Chine est un des instruments qui permet de lutter contre les velléités d’ingérence occidentales. Le fait que le gouvernement chinois s’en serve parfois pour détourner la colère populaire, souvent contre le Japon, cet ennemi de toujours, n’est qu’un effet secondaire relativement mineur. Le Japon d’ailleurs, est lui aussi très nationaliste, comme la Corée du Sud. Eux non plus n’ont aucune politique immigrationniste, au contraire. Ce que Lemaître déplore pour la Chine, il ne le remarquerait probablement pas en se baladant dans les rues de Tokyo, capitale d’une démocratie. Encore des lacunes : il ne sait pas que l’immigration est le fruit pourri de la colonisation et de l’impérialisme.

Pour finir, est-ce que le racisme, ça existe en Chine ? On préfèrera à ce terme celui de xénophobie, dans son étymologie pure : la peur de l’autre. Le racisme, c’est le fait de hiérarchiser les races. Il a justifié l’appropriation et la colonisation de territoires déjà occupés par des peuples qui ont été déshumanisés puis éliminés ou réduits en esclavage. Il y a des Chinois nationalistes, d’autres xénophobes mais racistes, c’est peu probable. Maintenant, ne nous voilons pas la face. La République Populaire de Chine, depuis bien avant la présidence de Xi, a toujours eu des rapports beaucoup plus cordiaux et apaisés avec les droites européennes qu’avec la gauche puisque leurs relations n’ont jamais été empoisonnées par un droits-de-l’hommisme en apparence humaniste mais ayant prouvé maintes fois qu’il était la porte ouverte à toutes les ingérences qui elles-mêmes ont conduit bien des pays au chaos. Ne nous étonnons donc pas que la Chine entretienne des rapports dépolitisés avec des partis peu fréquentables ici. De ce point de vue non plus, l’Occident n’a aucune leçon de probité à donner. Et plutôt que de condamner la Chine pour sa complaisance envers la droite et l’extrême-droite dont les politiques accablent les classes populaires européennes, mieux vaudrait changer et faire changer une gauche aussi nombriliste qu’elle est universaliste, dont on peut être certain en le lisant que Frédéric Lemaître se réclame.

À suivre…


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