Macron 2024 : bientôt le grand remplacement ...à Matignon ?

par Sylvain Rakotoarison
jeudi 4 janvier 2024

« Le nom de Sébastien Lecornu revient avec insistance pour succéder à Élisabeth Borne à Matignon. » ("Valeurs actuelles", le 4 janvier 2024).

La tarte à la crème, l'Arlésienne, le marronnier... on l'appellera comme on voudra, mais depuis la nomination d'Élisabeth Borne, il n'y a quasiment pas un jour où un journaliste n'évoque pas la nomination de son successeur, un prochain remaniement, des spéculations hasardeuses sur le prochain locataire de Matignon. La rumeur a pris de l'ampleur avec le renvoi à la semaine prochaine du conseil des ministres de cette semaine (en raison du voyage de la Première Ministre en Guyane, report du 3 au 10 janvier), mais rappelons que cette première semaine de janvier 2024, aussi étonnante soit-elle, est encore une semaine de vacances scolaires et que reporter un conseil des ministres pendant des vacances scolaires, ce n'est pas vraiment exceptionnel.

Personnellement, n'étant pas dans la confidence des dieux (c'est bien connu que ceux qui en parlent ne savent pas et ceux qui savent n'en parlent pas !), je ne me risquerais donc pas de faire un pronostic qui pourrait être démenti dès les heures qui suivraient, mais il est vrai que le quinquennat franchit une étape avec l'année 2024. Les deux grandes lois très polémiques (retraites et immigration) ont été adoptées en 2023 et ce qui reste de ce second quinquennat devrait être un peu plus consensuel, même si les mécontents seront toujours de plus en plus nombreux, usure du pouvoir oblige.

Cependant, je pense que cette étape serait plutôt au second semestre de 2024 plutôt qu'au début de l'année, après les élections européennes qui pourraient user définitivement l'actuelle Première Ministre et aussi après les Jeux Olympiques et Paralympiques. Si Manuel Valls est resté à Matignon après les élections européennes de juin 2014, malgré la défaite du PS, c'était parce qu'il venait d'entrer à Matignon, après le désastre électoral des municipales de mars 2014. De même, Jacques Chirac a semblé vouloir faire durer Jean-Pierre Raffarin jusqu'à l'épuisement, au-delà des échéances électorales de mars puis juin 2004 (municipales, régionales, européennes) qui n'étaient pas vraiment des succès pour la majorité d'alors, et il a eu bien raison car cela lui a permis de changer de Premier Ministre après l'échec du référendum de mai 2005.

Dans ses vœux adressés aux Français le 31 décembre 2023, Emmanuel Macron a remercié l'équipe gouvernementale, ce qui n'augure généralement pas que du bon : « Tous ces mois passés ont donc été bien loin de l’impuissance qu’on nous prédisait, et c’est heureux. Et je veux ici tout particulièrement en remercier la Première Ministre et son gouvernement. ».

Un conseiller d'un ministère a confié au journal "Le Parisien" : « Élisabeth Borne, c'est terminé. N'oublions pas comment il avait défendu Pap Ndiaye en conseil des ministres avant de le virer. C'est un bon indicateur de la façon dont il fonctionne. ». Un proche de l'Élysée a confirmé le 3 janvier 2024 pour TF1 : « Si c’est l’hypothèse d’un changement de Première Ministre qui est retenue, ça peut aller très vite, avant mercredi prochain voire ce week-end. ». Mais il a aussi envisagé son contraire : « Tout est possible, y compris rien. » ! Et un autre conseiller d'un autre ministère a confié au "Journal du dimanche" le 3 janvier 2024 : « Avant le week-end ? Ça m’étonnerait, vue l’actualité internationale ! ». Un troisième conseiller : « À mon avis, ça peut prendre du temps, Macron n’aime pas aller vite. ».

En tout cas, Élisabeth Borne vient de recevoir en Guyane une médaille qui récompense les soldats capables de survivre dans la jungle ! Pas étonnant car elle a la baraka, elle a déjà résisté à deux périodes de fortes rumeurs, en juillet 2022 et en juillet 2023. Elle a du reste déclaré aux journalistes curieux de France Info : « Je vous remercie de votre question mais je pense qu'on aura l'occasion d'y revenir prochainement. ».

Un changement de Premier Ministre maintenant serait "à froid" et c'est très rare, c'est-à-dire, sans être la conséquence d'un scrutin électoral (élections, référendum etc.). Si on regarde l'histoire de la Cinquième République, il n'y a pas beaucoup de Premiers Ministres qui quittent leurs fonctions à froid : Jacques Chaban-Delmas en 1972 (à cause d'une mésentente politique avec Georges Pompidou), Jacques Chirac en 1976 (la seule véritable démission politique d'un Premier Ministre), Michel Rocard en 1991 (à cause d'une mésentente politique avec François Mitterrand, même topo qu'en 1972), Manuel Valls en 2016 (autre véritable démission d'un Premier Ministre, mais pour raison technique, à cause de sa candidature à la primaire socialiste de janvier 2017), et enfin, j'ajoute aussi Édouard Philippe en 2020 (mais cette sortie de Matignon faisait suite à des élections).

Ce dernier cas m'intéresse quand même beaucoup, d'où le fait de le citer, pour plusieurs raisons et la première, c'est que le changement de Premier Ministre a été décidé par Emmanuel Macron, et donc, ce changement pourrait se faire encore aujourd'hui pour la même raison. On ne peut pas parler de mésentente politique avec le Président de la République, on ne peut même pas parler d'épuisement tant physique que politique, malgré le début de la crise du covid-19, mais d'un nouveau départ voulu par le Président de la République. Certes, je sais que je me trompe complètement en parlant d'éviction à froid pour 2020 car Édouard Philippe a quitté Matignon à la suite des élections municipales dont le second tour s'est tenu en juin 2020. Mais c'était l'impression politique que cela donnait : un Premier Ministre qui n'a pas démérité (loyauté absolue, crise des gilets jaunes en 2018, première réforme des retraites en 2019, covid-19 en 2020) et qui a été remercié un peu brutalement. Réélu maire du Havre, Édouard Philippe s'est replié en Normandie en attendant son destin national, couvert de sondages pour l'instant flatteurs, trompeusement flatteurs.



Tout reste possible car le Président de la République a pour habitude de ne pas respecter forcément des codes politiques, de ne pas s'enfermer dans les habitudes. De plus, un nouveau Premier Ministre pourrait s'envisager pour tenter de redresser les sondages dans l'optique des élections européennes. Il faudrait alors un poids lourds politique, expérimenté par des campagnes électorales nationales, dont l'adhésion à la construction européenne a toujours été connue, et à part François Bayrou, englué par une sombre affaire de collaborateurs parlementaires, je ne vois personne d'autre. François Bayrou est d'ailleurs un chaud partisan du remplacement d'Élisabeth Borne ; il l'a répété il y a quelques jours sur Sud Radio : « Je pense qu'il va falloir un nouveau départ et je pense que tout ça a été éclairé par ce que nous avons vécu ces dernières semaines et depuis un an et demi. ».

L'absence de poids lourds politiques dans la Macronie, surtout du côté de l'aile gauche, est un vrai problème pour Emmanuel Macron. Ancienne conseillère à Matignon de Jean-Marc Ayrault puis Manuel Valls et experte à la Fondation Jean-Jaurès (think tank du PS), la politologue Chloé Morin a expliqué à "Ouest France" le 3 janvier 2024 : « Cela révèle (…) que le fonctionnement d’Emmanuel Macron affaiblit le gouvernement. Le Président laisse peu de latitude à la Première Ministre et aux ministres. Faute d’espace, il leur est difficile d’exister. Ce qui me chiffonne le plus, dans cette instabilité gouvernementale, c’est que des ministres qui ne restent en place que six mois ne peuvent pas avoir du poids face à leur administration. C’est un problème sur le plan démocratique. ».

Une autre raison est plus impérieuse, et là, le Président n'en est pas le maître des horloges, c'est le verdict du procès du ministre Olivier Dussopt (attendu le 17 janvier 2024). En cas de condamnation, même symbolique, même si c'est en première instance (et en cas d'appel, il reste toujours la présomption d'innocence tant que le prévenu n'est pas condamné définitivement), un remaniement, même minime, serait une obligation politique.

La problématique d'Emmanuel Macron est la suivante : s'il doit changer de Premier Ministre, il faut une personnalité qui ne lui fasse pas d'ombre jusqu'en 2027, qui n'ait pas d'ambitions présidentielles (c'est pour cette raison que Nicolas Sarkozy n'a pas été nommé à Matignon ni en 2002, ni en 2005), et qui lui soit d'une loyauté absolue. Pour Chloé Morin, il n'est pas ici du tout question de désigner un dauphin : « Je ne pense pas du tout qu’Emmanuel Macron soit dans cette perspective. On aurait pu imaginer qu’il propulse Gabriel Attal. Mais le Président ne raisonne pas ainsi. Jusqu’à présent, il a encouragé les ambitions concurrentes, sans en choisir une. Même si, à l’approche de la présidentielle de 2027, il lui deviendra impossible de ne pas choisir. ».

Ainsi, le journal "Valeurs actuelles" a évoqué le matin du 4 janvier 2024 l'hypothèse Sébastien Lecornu (38 ans). Issu de LR, le Ministre des Armées a une loyauté assurée, et surtout, n'a pas pour objectif l'Élysée, éventuellement le Petit-Luxembourg (Présidence du Sénat), comme Jean-Pierre Raffarin. Lui-même n'est pas demandeur (il se plaît bien aux Armées) mais ne pourrait pas refuser une telle proposition présidentielle.

Ce n'est pas le seul journal qui évoque Sébastien Lecornu, il y a aussi l'hypothèse Christophe Béchu (grand ponte de Horizons) et même le retour (improbable à mon sens) d'Édouard Philippe. On cite aussi Richard Ferrand (malgré sa non-réélection parlementaire en 2022), et Julien Denormandie, qui avait voulu prendre du champ en 2022.

Ce qui semblerait acquis, c'est que ce ne serait ni Gérald Darmanin ni Bruno Le Maire, déjà parce qu'ils sont indispensables dans le dispositif gouvernemental tant à l'Intérieur qu'à l'Économie et aux Finances, et aussi parce qu'ils ont des ambitions bien trop fortes pour s'installer à Matignon et maintenir paisible la seconde moitié du quinquennat.

Ce qui est aussi à peu près sûr, c'est qu'un nouveau Premier Ministre, quel qu'il soit, aurait peu de chance d'élargir la majorité à l'Assemblée Nationale. On a vu en 2023 que le groupe Les Républicains ne prendrait jamais la responsabilité d'un accord de gouvernement en bonne et due forme avec la Macronie, car ce parti signerait dans ce cas son suicide électoral. Pour exister politiquement, LR a besoin, au contraire, de se différencier du pouvoir en place. Ainsi, la nomination d'une personnalité issue de LR à Matignon serait certainement une erreur de discernement pour Emmanuel Macron : loin d'élargir la majorité présidentielle, elle pourrait, au contraire, la réduire avec le départ des députés les plus à gauche de l'aile progressiste de Renaissance, déjà dégoûtés par la loi Immigration. Et finalement, la présence d'Élisabeth Borne à la tête du gouvernement constitue un bon équilibre entre toutes les composantes de la majorité...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (04 janvier 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
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Un remaniement en juin 2020 ?
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Un ex-futur Premier Ministre.


 


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