Quelle est la place des blogs politiques ?

par versac
vendredi 10 février 2006

Le département RTGI de l’UTC (Université de technologie de Compiègne) a mis en ligne la cartographie des blogs politiques que j’avais présentée à la soirée Politique 2.0, désormais intitulée blogopole (dans la foulée de ma sociologie des blogs politiques : 1, 2, 3, 4). L’occasion de revenir sur le sujet, avec ma lecture personnelle de cette cartographie. Merci beaucoup à l’équipe de RTGI pour ce travail passionnant, très riche pour tous ceux qui s’intéressent de près aux phénomènes des logiques de réseaux en ligne.

Préambule

Comme je le disais à Politique 2.0, la cartographie des blogs d’hommes politiques ne représente, dans le détail, qu’une minuscule goutte d’eau dans l’océan des blogs. 260 blogs d’hommes politiques contre plusieurs millions. Si ce coup de microscope est intéressant, la vraie révolution est donc bien ailleurs, dans la multiplication de la prise de parole d’individus en réseau, pas tellement dans la prise des hommes politiques.

Et ceci d’autant plus que cette goutte d’eau est peu soluble dans la blogosphère : beaucoup de blogs d’hommes politiques ne sont pas intégrés dans la société des blogueurs (pas ou très peu liés par les blogs qui ne sont pas tenus par des hommes politiques).

Quasiment tous les articles qui traitent des blogs et de la politique ne se concentrent que sur l’appropriation de l’outil par les hommes politiques. Tropisme très français. Pensons surtout à tous ces blogueurs, potentiels soutiens, militants, informateurs, correcteurs, à toutes ces voix mises en réseau, aussi, avant de prendre le réflexe de l’examen de la politique par ses professionnels.

Comment lire la cartographie ?

Il faut lire cette cartographie pour ce qu’elle est : une description des liens entre les blogs d’hommes politiques. Seuls sont comptés les liens entre les blogs répertoriés. Les liens externes à cet univers ne sont donc pas comptés. Par ailleurs, tous les types de liens ont été comptés, à ce stade (blogroll, billets, mais aussi liens présents dans les commentaires). Enfin, la liste retenue n’est pas exhaustive. Il s’agit des blogs répertoriés au 27 janvier. Il y manque par exemple les carnets de Jean-Pierre Raffarin, le podcast de Laurent Fabius, et aussi le "blog" de Jack Lang (pour des raisons techniques).

Il faut aussi lire cette cartographie avec les bonnes lunettes. Chaque point indique un blog, et chaque trait un lien. La taille de chaque point indique son score d’autorité (le nombre de liens pointant vers ce blog). La surface qu’occupe un parti n’est pas importante. Ce qui compte, c’est la densité des liens, le maillage. Plus on est resserré, plus on est fort. Plus on est étendu, moins on est concentré, mais on n’occupe pas pour autant plus d’espace, véritablement.

Enfin, il y a sur cette cartographie quelques exemples de blogs "d’analystes" : ces "citoyens", commentateurs non encartés, ne parlant pas au nom d’un parti spécifique. Ce n’est qu’un tout petit échantillon des "blogueurs citoyens", et en aucun cas une liste complète, qui serait difficile à tenir. Elle est présente à titre d’exemple.

Alors, que nous apprend cette cartographie ?

En premier lieu, on constate que les clivages traditionnels sont relativement bien représentés sur Internet. La très grande majorité des blogueurs hommes politiques a tendance à se rapprocher de sa famille, dans une approche communautaire traditionnelle. Cela devient presque caricatural, quand on voit le côté hermétique des blogosphères UMP et UDF ou CAP 21, par exemple. Les blogs sont donc aujourd’hui avant tout vécus comme des outils de vie communautaire avec son parti, avant de représenter un outil d’ouverture sur les citoyens. On parle entre soi, entre militants, pas avec les membres d’autres formations.

Évidemment, il y a des exceptions. Les Verts, quelques socialistes historiques, quelques UDF (Jérôme Charré), et quelques UMP (Alain Lambert), quelques UDF sont bien reliés aux "analystes" ou à des membres d’autres familles. Ils entrent dans le débat, se rapprochent du cœur des discussions, contribuent à l’échange, là où les autres sont surtout dans une optique de mobilisation interne. Toutefois, il n’y a pas d’incohérence, pas de "traître" à son camp : chacun est dans l’ensemble très proche du cœur de son parti, dans un bon esprit de regroupement (de chapelle ?).

L’UMP

L’UMP a inauguré une stratégie très intéressante : l’ouverture quasi-systématique de blogs par ses cellules jeunes populaires. Très resserrés, ces blogs constituent l’embryon d’un espace de mobilisation intéressant, qui peut, par la force de son petit réseau, soutenir un combat, des idées. On en a un début d’exemple avec la mobilisation des jeunes populaires en soutien au CPE (pas systématique cependant).
Le reste de la blogosphère UMP est assez éclaté, avec principalement une petite dizaine d’élus qui sont plus ouverts vers l’extérieur que ces jeunes UMP : des élus ou cadres du parti comme Michael Bullara, Véronique Delvolvé ou Alain Juppé, qui figurent un peu dans les échanges d’autres blogs.

L’UMP a ainsi une bonne base de départ. Ses enjeux pour demain : travailler au renforcement du maillage de son réseau, grossir en nombre de blogs sans perdre trop en force, tenter, pourquoi pas, de fédérer ce réseau autour d’un portail commun, qui fasse vivre ce réseau. Le défi de l’UMP, surtout, est de s’ouvrir sur l’extérieur. L’endogénéité du réseau UMP est une force interne pour les combats militants, mais trouvera vite ses limites quand il s’agira de dépasser la mobilisation de ceux qui sont acquis à la cause. L’influence passe par le fait de sortir de chez soi. Actuellement l’UMP semble un peu isolée, avec une stratégie de communication en rupture (ses achats de mots-clefs, ses e-mailings...) face au grand espace informel, avide de dialogue, des blogueurs.

L’influence réelle de cette blogosphère UMP est donc sans doute assez limitée. Elle a néanmoins un potentiel certain.

Le parti socialiste

Le parti socialiste présente un profil quasiment inverse de l’UMP : un bon nombre de blogs, également, mais en ordre complètement dispersé, et plus connectés sur l’extérieur. Beaucoup de micro-réseaux au sein du parti, un peu comme dans la vie réelle, d’ailleurs, et un bon nombre de liens avec des blogs d’autres tendances de la gauche. Le PS joue son rôle de centre-pivot de ces politiques blogueurs de gauche. C’est somme toute assez logique, d’abord parce que certains blogs sont présents de manière historique (DSK, notamment), mais aussi parce que les blogs d’analystes représentés sont souvent d’une tendance de centre-gauche. Il est quand même assez rigolo de noter que l’UMP joue la carte du collectif, quand les blogueurs du PS relèvent de l’initiative individuelle !

Le principal enjeu du PS est de gagner en puissance, pas en ouverture (à l’inverse de l’UMP). Le réseau est peu dense, les liens sont peu resserrés, il manque d’autorités. Une des possibilités, pour le parti socialiste, serait également de créer un blog central, attaché au site officiel du parti, qui joue le rôle d’animateur de ces blogs, fasse remonter leurs idées, regroupe leurs billets, et renvoie vers ce réseau. Il faudrait aussi favoriser, au-delà de l’éclosion nécessaire de nouveaux blogs proches du PS (par des formations, par exemple), les liens entre ces différents blogueurs. Cela n’est pas facile, mais peut se faire de manière non intrusive à l’égard de chaque blogueur, en portant simplement à sa connaissance d’autres blogs d’intérêt. Les blogueurs PS ont un peu tendance à parler chacun dans son coin, sans se préoccuper de ce que font les autres.

L’UDF

L’UDF présente un profil original : un réseau relativement fermé aux autres partis, des blogs moyennement liés entre eux, dont beaucoup sont vraiment isolés, mais le choix d’une fédération autour d’un portail, le blog officiel de l’UDF.

Sur le papier, cette stratégie est séduisante. Le problème réside plus, pour l’UDF, dans le fait que ce portail n’en est pas un, puisque le blog de l’UDF (quand il est disponible) reste assez creux, et ne joue pas ce rôle de porte d’entrée et d’animateur du réseau de blogueurs : pas de lien vers les autres blogueurs de l’UDF, pas de note pointant vers tel ou tel billet de blogueur du parti (voire d’autres, mais ne rêvons pas).

Une base du travail est donc faite : un lieu commun existe, vers lequel pointent les blogs du parti. Reste à faire de ce blog un véritable lieu d’animation. Reste aussi à regrouper tous ces blogueurs dispersés pour en faire un réseau actif. Enfin, comme pour l’UMP, reste à s’intégrer plus dans la blogosphère plus générale : l’influence est le fait des connections avec les autres blogueurs, non UDF.

CAP 21

La surprise de cette cartographie, c’est la découverte d’une grosse grappe de blogs tenus par des adhérents de CAP 21, le parti de Corinne Lepage. Une bonne dizaine de blogs, pour la moitié thématisés autour des sujets phares du mouvement, et pour l’autre autour des principales régions du parti. Les blogs sont d’ailleurs assez bien tenus, plutôt actifs, et ont ce contenu qui pourrait être valorisé dans la conversation qui agite les autres blogueurs.

Ceci-dit, cette micro-blogosphère écologiste bleue a un immense handicap : elle est complètement en vase clos. Pourtant, Corinne Lepage a le potentiel, avec son blog, relativement bien lié par d’autres blogs que ceux de son mouvement, de jouer le rôle de hub, de porte d’entrée vers le contenu de son mouvement. Pour l’instant, elle ne le fait pas, en ne faisant quasiment jamais référence à ces blogs. Du coup, le mini-réseau CAP 21 perd de son intérêt, restant en autarcie. La piste de progrès, pour CAP 21, c’est définitivement l’ouverture. D’autant que son positionnement iconoclaste sur l’échiquier politique doit pouvoir lui conférer un certain succès.

Le reste

Les Verts sont tout petits sur les blogs, en nombre. Il faudrait que les Verts fassent émerger des envies de blogueur au sein de leurs militants. La culture du parti, ses multiples courants, son côté totalement décentralisé et participatif n’autorise peut-être pas la fixation d’un objectif précis d’influence sur les discussions en ligne. C’est dommage, car le positionnement des premiers blogs verts est vraiment intéressant : proches des commentateurs, du PS, de l’UDF, ils sont très au centre des discussions.

Il y a une anomalie sur cette cartographie : le gros point violet, blog d’Energies démocrates. L’autorité donnée au site ne provient ici pas d’un nombre de liens que tous les autres blogueurs donneraient volontairement à ce blog particulier, mais à une stratégie de commentaire très active, pas toujours bien ciblée ni très respectueuse des règles en la matière, sur de nombreux blogs (en clair, du comment spam). L’autorité est donc trompeuse, d’autant que le contenu est principalement du copier-coller de dépêches AFP.

Quelques blogs extrêmes sont disséminés par endroits. Petit exercice : relever quelques liens. Sourire. Jaune.

Les "analystes"

Quand on fait apparaître les "blogs d’analystes" (dénomination des auteurs de la cartographie), on se rend compte qu’ils sont bien les pivots de ce débat. Ceux représentés sur cette cartographie ne sont d’ailleurs qu’un tout petit échantillon à but d’exemple. Ce qui est frappant, c’est que ce réseau, pourtant hétérogène, est très vivant (des liens mutliples). C’est logique : ce sont de vrais blogueurs.

Ce sont les citoyens, les indépendants, les anonymes, les commentateurs, qui seront les pivots du débat. Ce sont eux qui vont aider l’information à se structurer. C’est là que se font et se feront les confrontations d’idées, les argumentations, les discordes. C’est là que beaucoup d’individus viendront chercher des opinions et des analyses pour se faire une idée, pour former leur jugement, de manière autonome. C’est là, d’ailleurs, au risque de me répéter, qu’est bien la - petite - révolution à laquelle nous assistons, puisque des individus, non encartés, mis en réseau informel, peuvent influer sur la manière dont sont traités et perçus les sujets d’actualité et de débat.

Pour conclure

Chaque camp devrait se fixer deux objectifs :

- former un réseau de blogs de militants et élus bien lié, bien organisé, animé, qui constituera une base arrière, une masse critique de personnes prêtes à relayer des informations

- ouvrir ce réseau sur le centre des débats, l’y faire entrer, progresser.

Tous les partis ont d’énormes progrès à faire sur ces deux plans. Au boulot, maintenant. 2007, c’est l’année prochaine...

[P.S. : quant à cette cartographie, elle va continuer à s’étendre et à se mettre à jour]


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