Mauritanie : un dissident menacé de mort

par laarim
lundi 8 mai 2023

Notice d’anticipation, mai 2023

En République Islamique de Mauritanie, la terreur islamiste frappe, une fois de plus, quand elle menace l’intégrité physique d’un penseur de la complexité, par ailleurs l’un des plus audacieux meneurs du courant de la contre-réforme, qui s’efforce de revisiter et de déconstruire le conservatisme puritain de la Sahwa. Accusée d’apostasie, la victime, descendant d’une vieille lignée de théologiens, résiste, polémique à souhait et se défend, seule, dans l’indifférence des pouvoirs publics et, parfois, leur complicité avec la nébuleuse de l’Inquisition. Un crime s’annonce, dans l’ornière de l’affaire Mohamed Ould Cheikh Ould Mkheitir. Ahmedou Habiboullah Ould Bouna avait, publiquement, pris la défense du blogueur condamné à mort, au moment où la multitude en furie réclamait son élimination.

 

La genèse

Le 20 février 2023, le poète et islamologue Ahmedou Habiboullah Ould Bouna publie, sur sa page Facebook, un texte sous le titre « Le patrimoine n'est pas sacré, et tout autre que le Coran est patrimoine ». Le principal argument consistait à démontrer, sur le mode de la persuasion rationnelle, l’autorité relative des hadiths, en comparaison de la Révélation divine. Plus avant de son argumentation, l’auteur expose quelques cas où les premiers contredisent la seconde, en dépit de l’antériorité de celle-ci. Tout le long de son plaidoyer, à la fois vibrant et documenté, il rappelle le caractère aléatoire des paroles attribuées au Prophète, plus de 150 ans après sa mort et s’insurge contre la sacralisation d’une source aussi vulnérable à la critique. A cet effet, il convoque l’herméneutique, la philologie, la linguistique et l’historicité des références ultérieures à la révélation.

Le 20 mars 2023, toujours sur la même lancée et à partir de versets explicites du Coran, Ould Bouna réfute la malédiction contre les déistes antéislamiques, non sans prouver qu’ils appartiennent à la grande communauté du monothéisme. Il y précise, en vertu du principe général de « non-rétroactivité des lois » qu’au jugement dernier, le peuple destinataire d’un message de Dieu, sera justiciable, seulement de la parole reçue.

 

Réactions en chaîne

Il ne fallait davantage pour déclencher, au sein de la mouvance islamiste, une vague d’indignation qui atteindra son paroxysme par des audio et des écrits d’excommunication, appelant, Ould Bouna, à se rétracter mais en vain. La vague takfiriste mobilisera plusieurs porte-voix de la radicalité religieuse ; ainsi, le 31 mars 2023, maints sermons du vendredi, en particulier à l’intérieur de la capitale Nouakchott, réclamaient l’exécution du contrevenant, selon les prescriptions de l’article 306 du code pénal. Parmi les procureurs autoproclamés, se distinguent des personnages que singularisent divers degrés d’implication dans le dossier du jihadisme ; il s’agit, en l’occurrence, de :

- Cheikh Mahfoudh Brahim Val, vice-président du Centre de formation des ouléma, un établissement fermé, sur décision des autorités, le 24 septembre 2018, au grief de son concours à la radicalisation et réouvert, dès après l’élection de l’actuel Chef de l’Etat, Mohamed Ould Cheikh Ghazouani.

- Mohamed Salem Ould Mohamed Lemine, alias Elmejlissi, conférencier de la mosquée de Bouddah, dans la commune du Qsar, au nord de Nouakchott.

- Mafoudh Ould Waled, dit Abu Hafs, un ancien mufti d’Alqaïda, aux côtés de Oussama Ben Laden, aujourd’hui réinstallé en Mauritanie où il émet des Fatwa, fréquente les plateaux de télévision et forme nombre disciples.

 

En sus de dizaines d’autres figures de moindre envergure, s’ajouta, la voix d’un membre du gouvernement, le ci-devant ministre des Affaires islamiques et de l’enseignement originel, Dah Ould Sid’Amar Taleb, lequel consacre, dorénavant, la responsabilité de l’Etat, dans la persécution d’un penseur de la tolérance et de la paix. D’ailleurs, le même, s’était résolument opposé à la ligne de l’œcuménisme abrahamique, que promeuvent les Emirats arabes unis, l’un des alliés constants de la Mauritanie. Jusqu’à ce jour, nulle instance de l’Exécutif ne prit la peine de le contredire.

 

Le contexte local

De facto, le ministère susnommé, outre l’opacité de ses dépenses et leur faible impact sur le développement du pays, devient un organe de surenchère envers les mouvances les plus extrêmes de la Salafia, au point d’abriter, chaque année, depuis 2015, à la périphérie de Nouakchott, un congrès international des groupes de prosélytisme Jamaat Dawa Wa Tabligh venus des quatre coins du monde, pour propager la réislamisation globale. Ici, la Mauritanie, siège du Secrétariat permanent du G5 Sahel, joue un rôle de vecteur, à la vulgarisation, vers l’Afrique au sud du Sahara, d’une secte dont le lien ontologique au terrorisme n’est plus à démontrer.

Finalement, face aux appels à la violence qui le visaient, Ahmedou Habiboullah Ould Bouna dut s’exiler incognito, avec femme et enfants, le temps de laisser passer la tempête. Du reste, il n’en était à une épreuve près. Déjà, au plus fort des mouvements de rue réclamant la mise à mort de l’activiste anti esclavage Biram Dah Abeid et de la militante du droit à l’égalité des sexes Aminetou Mint Mokhtar, il défendait des deux, au nom d’une lecture du Coran et de la Sunna, entre principe d’égalité et acceptation de la différence. Or, au lieu de prêter assistance et encouragement à Ahmedou Habiboullah Ould Bouna, l’Etat se rend connivent de sa mise en danger et s’abstient de lui apporter la protection et le secours requis de tout pouvoir civilisé.

 

Que faire ?

Aussi, la présente communication se veut-elle un moyen d’alerte précoce et de prévention ; l’exhortation à agir vite s’adresse, d’abord, au gouvernement de la République islamique de Mauritanie, afin qu’il honore ses engagements internationaux en matière de respect de la sûreté des habitants du territoire, fussent-ils nationaux ou étrangers. Le gouvernement est alors tenu, d’assurer l’immunité corporelle de Ahmedou Habiboullah Ould Bouna. Aux partenaires stratégiques du pays, notamment les institutions du système des Nations unies et les Etats de tradition démocratique, s’impose, à présent, le devoir d’ingérence humanitaire en vue de garantir, à un intellectuel de renom, la liberté de penser et le droit imprescriptible à la vie. N’importe quel illuminé solitaire, peut attenter à son existence, au détour d’une ruelle et il se trouvera des croyants et des jurisconsultes pour justifier l’homicide ; aucune loi du cru ne criminalise la promotion du versant confessionnel de la haine. Et comme le résume, non sans pertinence, la formule de l’imam palestino-autrichien Adnan Ibrahim, « dans le monde musulman d’aujourd’hui, qui t’excommunies, te tue ». 

 

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