Orsten Groom, un volcan pictural s’éveille à Sète !

par Vincent Delaury
samedi 3 février 2024

L'artiste Orsten Groom, ou se relever après une rupture d’anévrisme pour peindre comme au premier jour du reste de sa vie. Voici son histoire... 

Encore un petit mois pour aller voir, au Musée Paul Valéry de Sète (Hérault, jusqu’au 25 février prochain), la surprenante expo-rétrospective d’Orsten Groom, de son vrai nom Simon Leibovitz-Grzeszczak (peintre français né en 1982 en Guyane d’une famille russe polonaise), dévoilant, dans cette institution en bord de mer, une somme impressionnante d'une cinquantaine de peintures telluriques ardentes et bariolées, très souvent de grande taille, sursaturées de signes, de graffs et de couleurs fauves (qu’il propose pour un certain nombre de regarder avec des lunettes 3-D !), ainsi que quelques tableautins stellaires en noir et blanc, retraçant au total une vingtaine d’années de création, allant du tout début des années 2000, avec deux toiles matiéristes à la Eugène Leroy sauvegardées (datant d’avant sa congestion cérébrale survenue il y a 20 ans), à savoir le portrait d’un nouveau-né (1998) et un autoportrait, jusqu’à 2023 (©photos in situ V. D.).

Peinture réalisée avant la rupture d’anévrisme : « Origine », huile sur carton, 19,6 x 19,6 cm, 1998, par Simon Leibovitz-Grzeszczak (pré-Orsten Groom)

Son pseudonyme étonnant, un « fatras grotesque » à lui tout seul, vient d’une contraction entre Orsten, une mauvaise prononciation du prénom d’Orson Welles, et Groom, qui n’est autre, comme on le sait, qu’un jeune homme en livrée chargé, dans les hôtels, d’ouvrir les portes, de faire les courses et de porter les bagages. En effet, Orsten Groom se vit justement comme un serviteur de la peinture : en quelque sorte, Don Quichotte est la peinture, et Orsten son valet, plus ou moins fantomatique, autrement dit il est le Sancho Pança du pinceau !

 

Tableau peint avant la rupture d’anévrisme : « Autoportrait », GXXI, huile sur toile, 46 x 33 cm, par Simon Leibovitz-Grzeszczak (pré-Orsten Groom). Courtesy l’artiste

Au son de son désormais célèbre Glues, c’est du blues en plus gluant, cet artiste radical et indépendant, incontournable de la scène indépendante française – il a fait partie en 2023 des 50 jeunes fleurons de la peinture contemporaine de la grande expo collective Immortelle au MO.CO de Montpellier –, présente à Sète, sous la houlette de Stéphane Tarroux, directeur du Musée Paul Valéry, ses séries picturales principales : ORBE, réalisée avec le traducteur et poète André Markowicz autour de la pâque juive dans le ghetto, CHROME DINETTE, sarcophage mosaïque évolutif dédié à Freud et Moïse sous l’égide de Frank Zappa (Groom appréciant aussi les dissonances de La Monte Young et de Stockhausen) et ODRADEK, du nom d’un petit objet hybride emprunté à Kafka, en passant par NIGOZIE, où se donne à voir la « cartographie primitive » du cerveau du plasticien, puis STENTOR, retrouvant, tel un éternel retour à la case Départ, l’épileptique fatras né du trauma - ainsi, comme le note si finement Marceline Loridan-Ivens, « On garde toute sa vie l’âge de son traumatisme » - invoquant des icônes de la peinture. Mais, bon sang, quel foutoir !

Orsten Groom au Musée Paul Valéry de Sète, décembre 2023, ©photo V. D.

Trajectoire incroyable ! Orsten Groom est un miraculé, un trépané : « J’allais aux Beaux-Arts tous les jours, dit-il en avril 2022 à Jean-Michel Geneste, archéologue du Paléolithique, dans le catalogue de sa précédente expo personnelle mémorable au Suquet des Artistes à Cannes ("Limbe [Le Vroi dans la nuit]", p. 31), mais je ne touchais pas aux pinceaux. J’observais ce que faisaient les autres gosses, mais de toute façon il n’était pas question pour moi de sociabiliser vu que j’avais la moitié du crâne rasé avec une cicatrice de là à là, et la moitié du visage paralysé (à cause de l’opération). J’étais complètement dans le Schwartz – je faisais flipper tout le monde. » Victime à 20 ans, alors qu’il est étudiant aux Beaux-Arts de Paris, d’une rupture d’anévrisme imprévisible qui le rend amnésique au point d’oublier qu’il est peintre, chose qu'on lui rappelle pendant sa convalescence, Orsten retrouve alors son école (il en sortira diplômé en 2009) en intégrant les ateliers de François Boisrond et de Jean-Michel Alberola. Du coup, il redémarre son travail de peinture en remontant le fil de l’histoire de l’art jusqu’à la Préhistoire ! Comme un phénix, il fait de ses maux, amnésie, épilepsie et crises extatiques, une matière pour nourrir une peinture puissamment chaotique, se réinventant par le filtre de réminiscences antédiluviennes.

« Orbe », GXXI, Orsten Groom, techniques mixtes sur toile, 120 x 120 cm, collection particulière

Peinture volcanique en ébullition à Sète 

« Peintre est une chose qu’on ne peut que devenir. » Paradoxe : Orsten Groom ne peint pas en fonction de ses goûts personnels en peinture, qui tendraient plutôt vers du minimalisme abstrait elliptique façon Mondrian, Vera Molnar et Sean Scully, donc rien à voir avec sa peinture grouillante extrêmement saturée ! Pour autant, lui, non sans raison, fait le rapprochement, les extrêmes, comme souvent, pouvant se toucher : « J’aurais rêvé être minimaliste, abstrait, suprématiste, affirme-t-il dans son texte du catalogue accompagnant l’expo intitulé "Volcan du coma" (p. 16), Monochrome je le suis comme l’envers du tapis et le dos révulsé d’un vitrail – une grande neutralisation saturée contre le gris du Sheol. »

Visiteurs au Musée Paul Valéry de Sète regardant avec des lunettes 3-D la peinture signée Orsten Groom
Détail de « Urigszene », série « CHROME DINETTE », GXXI, Orsten Groom, techniques mixtes sur toile, 160 x 215 cm, courtesy Templon, Paris

Au travail, peignant tel un arpenteur de surfaces à révéler, sans peur et sans reproche, tant au sol que sur chevalet, tel un groom, il sert, en prenant en charge l'argument biographique de son vécu chamboulé, la peinture, entre anges et démons (il est un grand amateur de films d’horreur, pouvant en parler des jours et des lunes), advienne que pourra. Il s'agit, dans l’ambivalence revendiquée des images, de soulever des lièvres, et pourquoi pas des livres (Groom est un gros lecteur, féru de citations littéraires distribuées par ses soins tant à l’oral que par le biais de l’image, ou plutôt du fatras), tissant, avec appétence, et flair, des fils entre les époques et les civilisations, le reliant à nous, aux figures historiques ainsi qu’à son petit garçon, en guise de passage de relais possible. Il est à préciser que, à mi-parcours dans le circuit, le réalisateur italien Valerio Truffa, assisté avec brio par l'une de ses filles à qui il a transmis manifestement le virus du cinéma et du montage (les deux vouent un culte à Ozu !), propose au public un documentaire vidéo inédit passionnant permettant de mieux appréhender la démarche particulière de ce plasticien des plus à part.

Selon le contrebandier Groom, la peinture serait déjà là, comme enfouie. Avant lui. Avant nous. Il se voit comme « peintre du dehors », hors de toute subjectivité. Sa peinture est à vivre comme une aventure empirique, collective et vampirique dont Orsten, oscillant entre grande modestie et fierté du peintre d’histoire(s) comme montreur d’ombres (n’hésitant pas à plonger, façon kamikaze par endroits, dans le passé sombre de la grande Histoire, notamment celle de l’Allemagne nazie), ne serait qu'un médium, ou exorciste. La peinture comme maïeutique, faire remonter à la surface un « Ça a été », agissant tant comme un atavisme du passé que comme une promesse du futur.

« Mon travail consiste, précise ce sismographe-archéologue du médium peinture (in catalogue), à sortir de moi-même et à me laisser travailler. Je disparais et laisse le champ à celui que j’ai entraîné pour le travailler. Rien n’entre dans la tête des influences, suggestions, idéologies, doctrines, saletés, reliques du quant-à-soi. Il n’y a plus d’identité. On troque sa mémoire personnelle pour celle du monde entier. Peindre est alors l’archéologie d’un destin qui n’est enfin plus le sien. Il faut chaque matin, une fois de plus, jaillir de la nuit. C’est tous les matins le matin et le rêve se répète sans cesse car j’oublie qu’il a existé. Ce qui est semé dans cette vie sera récolté dans l’Au-delà, et l’Au-Delà nous précède - nous sème, nous essaime dans ce que l’Égypte antique appelait la "Sortie vers le jour." Peintre est une chose qu’on ne peut que devenir. »

« Ghetto », GXXI, Orsten Groom, techniques mixtes sur toile, 162 x 130 cm, collection particulière

C’est une peinture encyclopédique synergique, façon Do It Yourself, à la fois rétrospective et prospective, nostalgique (l’art de l’enfance rejoué ad lib), résolument punk - beaucoup de doigts d’honneur genre No Future et de phallus dressés – et, paradoxalement, futuriste (elle se projette irrésistiblement), brassant large, terriblement ambitieuse puisqu’elle s’engage, sans que cela ne soit prémédité ou calculé, à prendre à bras le corps la peinture, son histoire, les fantômes de Dürer, Holbein, Piero della Francesca, Rembrandt, Goya, Velazquez, Paul Klee, Francis Picabia et Gérard Gasiorowski s’y invitant joyeusement, tout en ne s’empêchant pas quelques embardées vers la musique, la médecine, la littérature, la philosophie, avec notamment Diogène et son fameux tonneau, la psychanalyse, le cinéma ou encore les figures archétypales du monde enfantin, tels Pinocchio, Alice au pays des merveilles, Hamelin et autres Roi des Aulnes. Comme le note à raison Stéphane Tarroux, conservateur en chef du patrimoine chapeautant le musée : « Ses tableaux touchent par leur intensité, par la qualité et la réflexion. Dans ses toiles passe toute l'histoire de la peinture. »

Détail de « Stentor », GXXI, Orsten Groom, techniques mixtes sur toile, courtesy Templon, Paris

Art éruptif et volcanique dont la lave en fusion, d’un tableau l’autre, est justement LA peinture. Figures, formes, symboles, mots issus de langues diverses (français, hébreu ou allemand), gimmicks, rustines, décalcomanies, lactescences éjaculatoires, toiles arachnéennes, grilles, ou filets, artistes plébiscités, ou guest stars (mais ne lui parlez surtout pas de Chagall, pas sa came !), surviennent à la surface : Orsten Groom, sans aucune autocensure (c’est une peinture sans filtre), fait venir les fantômes, laissant librement couler la peinture comme une corne d'abondance, comme une coulée de boue (« Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or  », dixit Baudelaire), tel un flux continu riche de mille promesses et spectres, agissant, semble-t-il, comme la respiration.

« Je suis la nature », pourrait-il dire, dans la continuité d’un Jackson Pollock, parangon de l’Action Painting, et Groom pourrait compléter en disant : « Je suis la nature... de la peinture ». Eh oui, chez lui, celle-ci, nous apparaissant, au sein de ses toiles-palimpsestes carnavalesques, épileptiques et fantasmagoriques remplies de signes, plus ou moins cryptés, de couleurs et de figures, telles des arborescences, à tendance apocalyptique, évoluant au rythme d’une dame Peinture agissant, via moult questions existentielles sous-jacentes, comme un organisme vivant, avec son souffle de vie interne, ses marottes, ses déjections, ses humeurs, son humour, parfois au vitriol (attention, âmes sensibles et esprits pudibonds s'abstenir !) et autres affects, traçant sa route de la joie à la grosse colère, en passant par la trace mémorielle (c'est truffé de références savantes ou populaires, allant de la statuaire antique égyptienne au film d'horreur L'Exorciste 3, culte à ses yeux, via Frank Zappa et l'ogre Picasso), jusqu'au bras d’honneur. La peinture de Groom grouille, pète le feu, dégueule, déborde, brûle.

Orsten Groom et Robert Combas, Musée Paul Valéry de Sète, déc. 2023, ©photo V. D.

Voir la vie en Rose Groom

Bonne nouvelle, la peinture, activité vieille de plus de 40 000 ans, n'est pas morte. On a pu parfois la croire perdue car étouffée, voire balayée, par les vents coulis du conceptuel modeux fabriqué par des colins froids interchangeables, serviteurs d'un white cube institutionnel et académique rasoir tout juste bon à alimenter ad nauseam les foires marchandes officielles d’art contemporain mais en fait, non, ouf, il n’en est rien : grâce à Orsten Groom, âgé tout juste d’une quarantaine d’années, évoluant entre l’affiché et le clandestin, ainsi que par le truchement bienvenu d’autres peintres figuratifs n’hésitant pas lorgner du côté de la pente dangereuse du grotesque - je pense par exemple à Jonathan Meese, André Butzer, Dana Schutz, Oda Jaune. Stéphanie Lucie-Mathern, Laurent Proux, Gregory Fortsner, sans oublier les aînés que sont Robert Combas, Vincent Corpet, Peter Saul, Martial Raysse, Markus Lüpertz, le « prince des peintres », et last but not least le grand Philip Guston, figure phare de l’expressionnisme abstrait américain, qui n’en finit pas de faire des émules ces derniers temps -, elle n’est pas encore décédée, ou à ranger du côté des abonnés absents.

« Odradek », GXXI, Orsten Groom, techniques mixtes sur toile, collection particulière

Cette peinture groomesque, attribuons-lui cet adjectif ! (c’est du grouillant bigarré et stylé faisant sens), est même, en mettant gaiement, et parfois sardoniquement, les pieds dans le plat du bon et surtout du mauvais goût, bel et bien vivante et diablement excitante en fusionnant chaos, Rose Groom déposé par la maison Marin en 2019 (c’est un rose sombre et sale – à préciser qu’en 2015 Orsten a été le lauréat du prestigieux Prix de peinture Antoine Marin) et cloaque, pouvant même se faire malaisante. Tant mieux. L’urticant est à ici deux pas du disruptif : qu’il est bon de sortir de sa zone de confort. Ouf, manifestement, elle ne laisse pas indifférent, Franchement, c’est le genre de peinture figurative expressive on ne peut plus clivante : on rentre dedans ou pas. Le monstre sacré, de plus en controversé de nos jours (humainement parlant, car passant pour un Barbe bleue aux yeux des féministes), Picasso y est un phare, on retrouve d’ailleurs dans l’une de ses toiles l’œil dominateur surplombant de Guernica, sans oublier des aînés comme Bob Combas (guitar hero à ses heures perdues, présent le jour du vernissage, cf. photo), la comète Jean-Michel Basquiat (1960-1988) et le bouillonnant Allemand Jonathan Meese. Mais si l’immersion se fait, alors… Alléluia ! Vous en récolterez certainement au centuple les fruits.

Portrait d’Orsten Groom devant l’une de ses toiles au Musée Paul Valéry de Sète, déc. 2023, ©photo V. D.

Ici, la plage peinte avec gourmandise, des plus gargantuesques, s’avère dense, entre planéité et profondeur, avec souvent le rire pour moteur, sans oublier les grimaces retorses du singe malin. « Le plus profond en l'homme, c'est la peau », dixit le poète Paul Valéry (1871-1945), à qui ce musée de Sète (ville associée aussi définitivement au troubadour Georges Brassens), jouxtant un sibyllin cimetière marin, dans lequel l’homme-orchestre Groom - il est aussi, on l’a vu, musicien - plante son drapeau de pirate en dévoilant sa démarche d’enquêteur au sein du continent Peinture, est consacré.

« Horoskop », GXXI, Orsten Groom, techniques mixtes sur toile, courtesy Templon, Paris

Et certaines toiles estampillées Orsten Groom, que l’on dirait être par endroits, et ce en fonction des séries, comme autant de cartes à jouer - la peinture comme terrain de jeu, n’oublions pas la part ludique d’une telle pratique excavatrice - chargées en épaisseur du fait de couches successives de peinture, de lettrages parfois en relief car écriture au tube et de magmas de couleurs agglomérées, qui peuvent d'ailleurs, si on les regarde de biais en se jouant, selon ses déplacements de regardeur, d'une lumière frisante la rendant ô combien vibrante, voire vivante (ça bouillonne façon centrifugeuse qui turbine !), prendre des airs, avec leur abstraction figurative bourgeonnante, de peaux tendues d'hippopotames, de zébus, de chevaux, d'éléphants et autres rhinocéros : brassée de bêtes mouvantes massives parsemant d'ailleurs, on s'en souvient, comme autant de figures grotesques, mot qui vient directement de « grotte », une pléthore de peintures pariétales remontant aux origines de l'humanité, avec sur les parois alternant creux et saillies (on y retrouve au passage la 3-D !), faisant offices de cimaises d’exposition avant l’heure, l'homme représenté, ou en partie (les parties pour le tout, avec notamment les empreintes des mains, en positif ou en négatif, via le système D du pochoir).

Cette anthropométrie du corps humain, avant Yves Klein, est, de toute évidence, un élément parmi d'autres au sein d’un Tout qui fait le monde. On peut alors penser au Tout-Monde d’Édouard Glissant, le chantre créole des mangroves déployées en rhizomes, ou encore au cinéma panthéiste de Terrence Malick, l’un de ses films-trips, tenté par le métissage, s’appelant justement Le Nouveau Monde (2005). Nous y sommes : parés à l’abordage du côté de chez Groom, pour espérer arpenter des rivages insolites en plongeant sans hésiter dans un art pariétal retrouvé ; un mot, justement, du peintre labellisé Supports/Surfaces Claude Viallat faisant volontiers le mur : « Toute la peinture contemporaine est dans Lascaux et dans la préhistoire. Je pense qu’on n’a rien inventé. Tout était là. Depuis, on a fait que parfaire des techniques. »

Le Peintre du futur

« Sieg Mhund Kalumniator », série « CHROME DINETTE », GXXI, Orsten Groom, techniques mixtes sur toile, Diskus

Avoir la mémoire, et ses limbes, dans la peau. En fait, Groom Service, c’est une peinture-patchwork généreuse et débordante, se faisant humblement l’écho du tissu vivant se donnant à voir ici-bas. Peinture foutraque, à la fois sauvage et savante, à savourer sans modération, à son image, histoire de célébrer la diversité même des choses du réel, dont en particulier les peaux, tant humaine qu’animale, s'offrant ici abondamment, sans retenue, à notre regard, aussi bien dans cette grotte de la monstration qu’est cette expo-somme inédite à Sète que, on l’imagine aisément, dans l’antre de son atelier générateur pulvérisateur de frontières, le bureau des légendes à (ré-)inventer : Orsten Groom a fondé en 2019, avec Virginie von Virou, le Bureau Orsten Groom, entité qui poursuit de garantir l’indépendance et l’autogestion de ses divers projets : expositions, éditions, Glues, films.

Le nouveau Fauve talentueux Jonathan Meese, enfant terrible de la scène germanique contemporaine, se vivant théâtralement et viscéralement comme un guerrier de l’art, n’hésite pas à dire, à raison, de son « frère d’armes » en peinture qu’est Groom (affiliation possible entre ces deux artistes peintres, d’autant plus qu’ils sont représentés par le même galeriste parisien, Daniel Templon, défendant depuis des décennies la peinture figurative, avec le fabuleux fabuliste Gérard Garouste en figure de proue, ayant connu une grande rétrospective méritée à Beaubourg en 2022), qu’il provient indiscutablement « des grottes du Moyen-Âge et garde l’histoire vivace dans l’art actuel. Il vient du futur. »

Orsten Groom et Jonathan Meese, septembre 2023, galerie Templon, Paris, ©photo V. D.

Il faut assurément écouter les peintres parler des autres peintres, ils s'y connaissent en général, en termes de cuisine interne, de confluence, d’allégorie et de mythologie. Ainsi, si Riad Sattouf, auteur franco-syrien, star du temps présent en BD, a inventé, ces dernières années, en six tomes, L’Arabe du futur, il se pourrait bien qu’Orsten Groom, via sa peinture pariétale encyclopédique, babylonienne et rimbaldienne (dans l’idée de s’encrapuler en s’implantant des verrues sur le visage), ait inventé, quant à lui, par le biais de sa peinture millefeuille boulimique et aventureuse et par l’intermédiaire de son « personnage » de passeur attachant, très étudié mais n’en doutons pas authentique, le tout relevant tout de même d'une trajectoire artistico-existentielle étonnante (se relever d’un anévrisme traumatisant : la mémoire effacée, repartir de zéro vaille que vaille), le… Peintre du futur !

Artiste éclaireur, peut-être lanceur d’alerte (fuir les étiquettes et les assignations à résidence - il qualifie lui-même son identité de flottante), traçant courageusement son sillon dédalique : bouillonnement visuel labyrinthique contagieux nous donnant, en fait, envie de le suivre, l’œil gourmand constamment aux aguets, avec lui, tel un camarade et compagnon d’infortune faisant office de lanterne magique, de bateau ivre.

Détail de « Pavor Nocturnus », GXXI, Orsten Groom, techniques mixtes sur toile, courtesy Templon, Paris

Bref, ici, et cas rare à notre connaissance dans le domaine de la peinture, un être s’est éteint, à savoir le Simon d’avant le trauma avec séquelles liées à l’anévrisme, et un volcan s’est éveillé, ayant pour nom Orsten Groom, il y a effectivement, dixit le poète Boris Wolowiec (in catalogue), du « peintre pompéien » en lui, se faisant, non sans magie, le sismographe des forces, tour à tour apolliniennes et dionysiaques, qui nous traversent. Alors, si vous le voulez bien, regardons-le, lui et sa périphérie, au parfum d’île flottante. Car, vraiment, à Sète et au cours certainement d’autres escales à venir, l’astronomique ensemble irradie et détonne : un bon voyage et une peinture fraîche, comme au premier jour du reste de notre vie, sont ici pleinement au rendez-vous pour ausculter, au plus près, l'humain, trop humain.

Rétrospective Orsten Groom, Volcan du Coma, jusqu’au 25 février 2024, Musée Paul Valéry, 148, rue François Desnoyer – 34 200 Sète. Du mardi au dimanche de 10h à 18h (le musée est fermé le lundi). Visites commentées du mardi au samedi à 15h. Tarifs : gratuit le 1er dimanche de chaque mois. Entrée : 6,20€ - Jeunes 10-18 ans, étudiants, scolaires hors ville de Sète : 3,70 €. Groupes (plus de 10 personnes) : 4,70€ par personne – Enfants moins de 10 ans, demandeurs d’emploi, scolaires ville de Sète : gratuit – Classe : 25€ par classe. 1er dimanche de chaque mois, accès gratuit. Visite commentée tarif + 1€ - Pass musées en vente à l’Office du tourisme : 15€. Catalogue couleur de l’exposition, 95 pages, aux éditions Loubatières : 19€. Tél : 04 99 04 76 16. www.museepaulvalery-sete.fr


Lire l'article complet, et les commentaires