Bivouac sur ma Loire

par C’est Nabum
samedi 27 avril 2013

Le Bonimenteur à la belle étoile

Le dépaysement à deux pas de chez soi.

La mode est désormais aux voyages au long cours. Pour exister en société, il faut se prévaloir de tampons multiples sur un passeport, d'escales qui font rêver vos interlocuteurs et qui vous donnent de la contenance en société. Malheur à celui qui reste sur le territoire national, il restera à l'écart des évocations lointaines, des noms imposants, des destinations exotiques où il est incontournable de se rendre. S'il veut en plus dire tout le bonheur qu'il peut y avoir à vivre une aventure à deux pas de chez lui, il sera pris pour un pauvre idiot qui refuse le progrès et la formidable aventure de la mondialisation tous azimuts.

Préparez vos lazzis, ajustez vos commentaires assassins, montrez du doigt le pauvre imbécile qui se refuse à prendre l'avion, cette hérésie d'une époque qui marche sur la tête et détruit la planète pour le seul plaisir égoïste de quelques générations prêtes à laisser un champ de ruines après leur passage sur terre. Faites-moi au moins le bonheur de passer votre chemin, les miens sont trop proches et trop modestes pour avoir la plus petite chance de croiser les vôtres.

Ainsi donc, j'espère qu'il ne reste que les braves gens soucieux de mettre en application leurs idées sans se soucier de la mode, des injonctions sociétales ou de la vanité qui est souvent le moteur de bien des vacuités. Mon ailleurs est à deux pas de chez moi. C'est une destination qui ne se trouve chez aucun marchand d'illusion. C'est naturellement ma Loire mais cela pourrait être la rivière la plus proche de chez vous, une colline ou bien une forêt sauvage.

Nous sommes quelques-uns à répondre à l'appel du capitaine pour prendre le large et couper les ponts. Deux jours de beau temps en ce printemps médiocre étaient annoncés. Une embarcation, des paniers à provisions, des instruments de musique et vogue la galère vers le dépaysement le plus total, la rupture absolue avec la vie quotidienne. C'est facile, c'est simple et à la portée de tous. Il y a des punitions beaucoup plus épouvantables que celle-ci !

À moins d'une heure d'Orléans, nous nous sommes retrouvés sur une île de Loire, une langue de sable, un lieu à l'écart des hommes, des habitations et de la société de consommation. Une pause magnifique, une rupture totale, un sentiment de liberté et de plénitude qui ne peuvent s'exprimer aisément par des mots. Il faut vivre ce sentiment de totale liberté, il faut le vivre au moins une fois pour comprendre que le bonheur est à portée de regard.

Je ne vais pas vous narrer nos ripailles, nous ne sommes pas gens de Loire pour oublier nos vins d'ici et la cochonnaille, les légumes nouveaux et les pâtisseries maisons ! Ce n'est pas là l'essentiel. Il y eu les chansons et le partage, les effluves du fleuve, les cris des oiseaux, les sauts des poissons et les lumières des cieux. Une débauche de sensations et de plaisirs. Un moment rare que chacun devrait pouvoir s'offrir …

Il y eut une nuit de pleine lune, une nuit que j'ai goûté avec une délectation absolue, couché sur le sable dans mon sac à bivouac. Rien ne m'a échappé, la lente rotation de notre satellite naturel, sa plongée dans les eaux du fleuve, le réveil de la nature, les premières lueurs de l'aube, l'envol des oiseaux, le flamboiement annonciateur du lever du soleil et son apparition en majesté en un tableau de toutes les couleurs. Merveilleux, majestueux, époustouflant, grandiose et à quelques brasses d'une ville dont j'avais tout oublié.

Un réveil merveilleux, l'envie de ne pas rompre le charme, la brume qui s'échappe de la rivière, le soleil qui monte et noie alors tout ce paysage sous un déluge de lumière. L'eau nous renvoie des reflets étincelants, l'air se réchauffe bien vite, la vie est une merveille quand on profite d'un tel don du ciel. Tous les voyages du monde pour ce moment renouvelé encore et encore.

Puis il y a ce moment plus magique encore. Le passage le long de l'île aux oiseaux. Des centaines, des milliers de mouettes rieuses qui sont là, en ce lieu préservé, en ce lieu unique, en ce petit miracle ornithologique. Ça grouille de partout, les oiseaux s'envolent par centaines, tournent en un étrange ballet aérien où malgré l'incroyable densité dans le ciel, il n'y a aucun télescopage. C'est beau à vous couper le souffle, à ne pas pouvoir vous décoller de ce spectacle inoubliable. 

Quand vous rentrez, que vous portez sur vous les odeurs du feu de bois et d'une nuit à la belle étoile, vous ne comprenez pas le regard étrange que certains vous jettent. Vous n'êtes plus présents à cette société trop lisse, trop hygiénique. Vous avez retrouvé un peu de cette sauvagerie qui fut celle de notre espèce. Vous devez reprendre vos habits d'humain bien trop civilisé à regrets en vous jurant qu'à la prochaine occasion, vous reprendrez votre baluchon pour revivre un tel bonheur si simple !

Bivouacement vôtre

 

Photographies de Bertrand Deshayes
 

 


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