Encore un Lancet Gate ? Prochaine bataille après la chloroquine, la controverse sur l’immunité

par Bernard Dugué
vendredi 23 octobre 2020

Cet article indique deux choses. Il confirme que la science et la politique se sont entremêlée et ce, à un niveau jamais atteint, comme en atteste le nombre de scientifiques impliqués dans la tribune du Lancet, face à la déclaration de Barrington. Au sein de cette opposition, j’ai mis en avant la question de l’immunité collective, qui sera centrale pour envisager une issue favorable. Pourtant, les signataires du manifeste de Snow affirment qu’il n’y a aucune preuve d’une immunité durable contre le SARS-CoV-2. Cet avis tranché traduit une dérive que l’on pourrait qualifier de lyssenkyste. Je dis bien « pourrait » car cette accusation est grave.

 

Le 15 octobre, la revue le Lancet a publié une tribune annonçant un consensus scientifique sur le cours de l’évolution pandémique, les mesures à prendre et surtout, la question centrale de l’immunité collective (Alwan, 2020). Que des scientifiques publient une opinion est tout à fait légitime. En revanche, qu’une revue titre sur un consensus nous interpelle. D’une part, il ne peut pas y avoir de consensus tant que des études de grande envergure n’ont pas été menées sur l’immunité, dans différents pays, en prenant en compte non seulement la séropositivité antigénique (immunité humorale) mais aussi et surtout l’immunité cellulaire reposant sur les cellules T (CD4 et CD8), qui constitue une excellente ligne de défense contre les infections virales.

 Il n’y a de consensus sur l’immunité collective que celui auquel veulent croire les signataires d’une tribune placée sous le patronage de John Snow, grande figure de l’histoire de l’épidémiologie, l’équivalent d’un Pasteur, ayant œuvré pendant la première moitié du XIXe siècle. Le Lancet a relayé cette tribune qui par ailleurs, invite les scientifiques qui y adhèrent à la signer. Elle est désignée comme John Snow Memorandum. Déjà plus de 4000 signataires parmi lesquels Christian Drosten, virologue et par ailleurs monsieur Covid auprès de la chancelière Merkel. On dirait une armada de scientifiques et c’est le cas. Ce mémorandum a été signé pour contrecarrer une position alternative, celle de la déclaration de Barrington qui elle aussi, impressionne avec ses plus de 11 000 signataires. Précisions qu’elle a été publiée avant la tribune du Lancet. Précisons aussi que ces 11 000 signataires sont des scientifiques dans le domaine médical, auxquels se sont joints 30 000 praticiens et 500 000 citoyens.

 Quel affrontement ! La controverse entre Snow et Barrington se présente comme une guerre du Péloponnèse sans qu’il y ait pour l’instant d’affrontement. Une controverse menée à l’échelle planétaire, en Asie, Europe, Amérique. A côté, la polémique sur la chloroquine risque de passer pour un match OM/PSG avec une bataille d’experts s’improvisant hooligans de la science et prêts à en découdre sur les plateaux télé. Si la première vague fut marquée par l’affaire de la chloroquine, la seconde phase qui risque de durer un bon moment risque d’être traversée par une controverse d’une intensité remarquable qui pour l’instant, n’a pas encore émergé sur les plateaux médiatiques français. Sans doute parce que les journalistes sont fatigués après tant de polémiques et semblent vouloir maintenir la ligne officielle actée par un gouvernement qui ne sait plus comment gérer l’épidémie, improvisant depuis des mois en prenant des mesures et des dispositions dont on peine à cerner la cohérence.

 Pour la première fois dans l’histoire des sciences, la communauté des scientifiques est divisée à un niveau jamais atteint. Deux camps s’opposent. On dirait une bataille mondiale sur le terrain des faits empiriques et des interprétations. Une bataille qui ne se résume pas à une question scientifique, se joue sur le terrain politique, avec comme clé centrale la question de l'immunité collective. Aucun scénariste de péplum n’aurait imaginé un tel scénario. J’ai traduit (voir plus bas) une partie de la tribune Snow où deux éléments de dessinent, l’un d’ordre politique sur les conséquences de la pandémie et les mesures à appliquer, l’autre scientifique, portant essentiellement sur la question de l’immunité collective. Cette ligne est celle qui convient aux mesures prises par les Etats occidentaux.

 Pour ma part, je défends l’autre ligne. A la fois politique et scientifique. L’immunité collective est jouable. Les signataires du mémorandum de Snow annoncent que la stratégie de l’immunité n’a pas de preuve scientifique alors que des résultats et des hypothèses solides penchent en leur défaveur. Ces éléments contraires sont disponibles dans la littérature scientifique. J’en donne plus bas un exemple parmi d’autres. La bataille de l’immunité collective a commencé. C'est la Nature qui aura le dernier mot. Le combat pour la civilisation continue, ce sont les hommes qui auront le dernier mot. 

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Quelques voix ont déjà suggéré la possibilité de jouer sur l’immunité collective, notamment l’épidémiologiste et professeur de biologie théorique Kim Sneppen qui déclarait il y a un mois que « Il existe des preuves que les Suédois ont développé un degré d'immunité contre le virus qui, avec les mesures pour arrêter la propagation, est suffisant pour contrôler la maladie ». Ces arguments sont néanmoins insuffisants et doivent être appuyés par des études immunologiques sont voici un exemple parmi d’autres qui ne cesseront d’être publiés ces prochains mois.

 "La mémoire des lymphocytes T spécifiques au SRAS-CoV-2 s'avérera probablement essentielle pour la protection immunitaire à long terme contre le COVID-19. Les lymphocytes T spécifiques du SRAS-CoV-2 en phase aiguë présentent un phénotype cytotoxique hautement activé en corrélation avec divers marqueurs cliniques de la gravité de la maladie, tandis que les lymphocytes T spécifiques du SARS-CoV-2 en phase de convalescence sont polyfonctionnels. Les cellules T spécifiques du SARS-CoV-2 sont détectables chez des patients séronégatifs ayant subi une forme asymptomatique ou bénigne d’infection virale. Ce qui suggère que l’exposition au virus assortie d’une réponse immunitaire liée aux cellules T est de nature à protéger contre une forme grave de Covid-19". (Sekine, 2020)

Ce qui signifie que la thèse d’une circulation immunisante du virus est plausible, ce qui justifie un changement de stratégie dans la lutte contre l’épidémie. Il n’est plus nécessaire de stopper le virus mais de contenir l’épidémie avec des méthodes conventionnelles. Le virus finir par devenir immunisant et perdre de son intensité. Nous allons reprendre progressivement une santé conforme à ce que nous attendons. Et surtout vivre comme avant pour nous projeter vers un ailleurs peut-être plus surprenant, du moins d’ici une à deux décennies.

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Traduction d’une partie du mémorandum de Snow

 L'arrivée d'une deuxième vague et la prise de conscience des défis à venir ont conduit à un regain d'intérêt pour une approche dite d'immunité collective, qui suggère de laisser le virus circuler dans la population à faible risque tout en protégeant les plus vulnérables. Les défenseurs de cette approche pensent que cela conduirait au développement d'une immunité de la population acquise par l'infection dans la population à faible risque, qui finira par protéger les personnes vulnérables. C'est une erreur dangereuse non étayée par des preuves scientifiques. Toute stratégie de gestion de la pandémie reposant sur l'immunité contre les infections naturelles pour le COVID-19 est imparfaite. La transmission incontrôlée chez les personnes plus jeunes présente le risque d’une morbidité importante et de mortalité dans l'ensemble de la population. En plus du coût humain, cela aurait un impact sur la main-d'œuvre dans son ensemble et affecterait la capacité des systèmes de soins de santé. En outre, il n'y a aucune preuve d'une immunité protectrice durable contre le SARS-CoV-2 après une infection naturelle, et la transmission endémique qui serait la conséquence de l'affaiblissement de l'immunité présenterait un risque pour les populations vulnérables pour un avenir indéfini. Une telle stratégie ne mettrait pas fin à la pandémie de COVID-19 mais entraînerait des épidémies récurrentes, comme c'était le cas pour de nombreuses maladies infectieuses avant l'avènement de la vaccination.

 De plus, nous ne comprenons toujours pas qui pourrait souffrir d'un long COVID. Définir qui est vulnérable est complexe, mais même si l'on considère les personnes à risque de maladie grave, la proportion de personnes vulnérables représente jusqu'à 30% de la population dans certaines régions. L'isolement prolongé de larges pans de la population est pratiquement impossible et contraire à l'éthique. Les données empiriques de nombreux pays montrent qu'il n'est pas possible de limiter les flambées incontrôlées à des segments particuliers de la société. Une telle approche risque également d’exacerber les inégalités socio-économiques et les discriminations structurelles déjà mises à nu par la pandémie. Des efforts particuliers pour protéger les plus vulnérables sont essentiels mais doivent aller de pair avec des stratégies à plusieurs volets au niveau de la population.

 Une fois de plus, nous sommes confrontés à une augmentation rapide et rapide des cas de COVID-19 dans une grande partie de l'Europe, aux États-Unis et dans de nombreux autres. Il est essentiel d’agir de manière décisive et urgente. Des mesures efficaces qui suppriment et contrôlent la transmission doivent être largement mises en œuvre et elles doivent être soutenues par des programmes financiers et sociaux qui encouragent les réponses communautaires et s'attaquent aux inégalités amplifiées par la pandémie. Des restrictions permanentes seront probablement nécessaires à court terme, pour réduire la transmission afin d'éviter de futurs confinements. Le but de ces restrictions est de supprimer les infections par le SRAS-CoV-2 afin que la vie puisse revenir à la normale sans avoir besoin de restrictions généralisées. La protection de nos économies est inextricablement liée au contrôle du COVID-19. Nous devons protéger notre main-d’œuvre et éviter l’incertitude à long terme.

 Le Japon, le Vietnam et la Nouvelle-Zélande, pour ne citer que quelques pays, ont montré que des réponses de santé publique robustes peuvent contrôler la transmission, permettant à la vie de revenir à un niveau presque normal, et il existe de nombreuses réussites de ce type. Les preuves sont très claires : contrôler la propagation communautaire du COVID-19 est le meilleur moyen de protéger nos sociétés et nos économies jusqu'à ce que des vaccins et des traitements sûrs et efficaces arrivent dans les mois à venir. Nous ne pouvons pas nous permettre des dérives qui sapent une réponse efficace ; il est essentiel que nous agissions de toute urgence sur la base des preuves.

 

 

Références

 

Alman N.A. et al ; Scientific consensus on the COVID-19 pandemic : we need to act now ; Lancet, october 15, 2020 ; https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)32153-X

 

Sekine T. et al ; Robust T Cell Immunity in Convalescent Individuals with Asymptomatic or Mild COVID-19 ; 183(1), 158-161, 2020. https://doi.org/10.1016/j.cell.2020.08.017

 

Kim Sneppen

https://www.soundhealthandlastingwealth.com/covid-19/expert-claims-sweden-now-has-herd-immunity-from-coronavirus/

 

John Snow Memorandum

https://www.johnsnowmemo.com/

 

Déclaration de Barrington

https://gbdeclaration.org/view-signatures/

 


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