L’arche de Zoé

par C’est Nabum
samedi 10 juin 2023

 

Les œufs à la coque.

 

Il advint que Zoé, une charmante poule d'eau, lasse de chercher un coin tranquille sur les rives de cette grande ville, jeta son dévolu sur un bateau en bois pour établir son camp de base. Le puits moteur lui sembla être le nid le plus parfait qu'il soit d'autant qu'il ne nécessitait que de modestes aménagements de sa part. La dame ne voulant pas s'épuiser en de vains travaux.

Elle avait bien mieux à faire il est vrai puisqu'elle avait mis au jour mais pas encore au monde, 7 œufs qu'elle entendait couver à terme à l'abri des regards des humains mais aussi des corneilles, redoutables prédatrices. La poule d'eau qui évolue le plus souvent au ras de l'onde, ignorait sans aucun doute, que de leurs repères, rien n'échappait à la surveillance de ces méchantes.

Elle n'avait pas envisagé que le bateau puisse quitter son amarre. Le petit oiseau ignorait que la fonction première d'un tel refuge ne réside pas dans l'hébergement d'une mère couveuse. Qui le lui aurait enseigné du reste à l'école des poules d'eau ? C'est ainsi qu'elle reçut la visite d'un marinier qui avait l'intention de naviguer.

L'homme, ému par la nouvelle vocation de son embarcation, remit à une date ultérieure son désir d'escapade ligérienne. Il est vrai qu'il n'était en rien contraint par le temps, la vie pour lui, échappait aux obligations de toute sorte. Il se retira prestement pour ne pas importuner d'avantage la future mère.

Discrètement lui et ses compagnons vinrent établir un tour de garde afin de suivre l'évolution de ce miracle de la nature. Le bateau n'avait pas encore été baptisé, il y avait là une formidable occasion de faire d'une pierre deux coups et même un peu plus. Seul souci de taille, les corneilles quoique habillées d'une soutane noire, n'entendaient en rien attendre jusqu'à la cérémonie.

Il fallut écarter ces suppôts de Satan pour que l'eau bénite de monsieur l’aumônier naval fasse effectivement son œuvre. Les miracles de la technologie permirent de repousser les assaillantes grâce à un enregistrement sonore de faucon pèlerin qui dissuada les prédatrices. On peut se demander pourquoi la poule d'eau n'en fut pas dérangée. Il est envisageable de supposer qu'elle était sourde.

Enfin les heureux événements se succédèrent tandis que les œufs se fissuraient pour laisser sortir leur précieux et fragile contenu. La mère pouvait être fière de sa progéniture. Jamais on ne vit aussi jolis poussins que cette troupe de sept petits oisillons. Du côté de la joyeuse troupe des parrains, l'émotion n'était pas feinte. Ces solides mariniers eurent même le loisir d'essuyer quelques larmes et dans le même temps leurs lèvres soigneusement abreuvées pour la circonstance.

Les préparatifs pour la cérémonie de baptême pouvaient débuter. Il fallait décider d'un nom pour le bateau crèche. Nos gaillards ne furent pas en panne sèche de ce côté là non plus. Les idées fusaient de toute part dans cette noble assemblée qui entendait inscrire la poule d'eau et ses petits dans la liste des adhérents de leur association.

Après bien des palabres et de multiples chopines, ils arrivèrent enfin à un consensus pour nommer le bateau : « L'arche de Zoé ! » puisque l'heureuse parturiente avait hérité de ce prénom. Pour ses sept rejetons la simplicité fut de mise d'autant que pour ces marins d'eau douce, repérer les petits des uns des autres relevait de l'impossible. Ils devinrent tous des Zozos sans distinction.

Il ne restait qu'à convaincre le vicaire de l'amirauté de venir jouer du goupillon sur le quai. Ce fut la pierre d'achoppement de cette histoire. Monsieur le curé, soucieux d'économiser l'eau bénite déclara courroucé : « Il ne faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages ! » Non seulement il se montrait désobligeant mais qui plus est, faisait preuve d'une coupable méconnaissance zoologique.

La troupe se passa de lui pour baptiser de la manière la plus païenne qui soit l'embarcation et ses nouveaux résidents. L'eau bénite fut avantageusement remplacée par le meilleur vin qui soit qui curieusement fut aussi du goût des héros de la fête. Pour une fois, l'histoire ne s'acheva pas le bec dans l'eau mais dans un délicieux Canard Duchêne. Il fallait bien ça pour une telle occasion tout en démontrant à monsieur le curé l'inanité de sa réplique.

À contre-emploi.


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