Irvin Yalom, Thérapie existentielle

par Robin Guilloux
lundi 30 novembre 2020

Irvin D. Yalom, Thérapie existentielle (Existential Psychotherapy), Essai traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Laurence Richard, Librairie Générale française (LGF), 2017

Table : I. Introduction - Partie 1. La mort : 2. La vie, la mort et l'angoisse - 3. Le concept de mort chez les enfants - 4. Mort et psychopathologie - 5. Mort et psychothérapie - Partie II. La Liberté : 6. La responsabilité - 7. Le vouloir - Partie III. L'Isolement : 8. L'isolement existentiel - 9. Isolement existentiel et psychothérapie - Partie IV. L'absence de sens : 10. L'absence de sens - 11. Absence de sens et psychothérapie - Epilogue - Notes - Remerciements.

L'auteur :

Professeur émérite de psychiatrie à Stanford, Irvin Yalom est l'auteur, entre fiction, philosophie et psychothérapie, de nombreux essais, romans ou récits, best-sellers dans le monde entier, dont La Méthode SchopenhauerLe Bourreau de l'amourLe Jardin d'EpicureEn plein cœur de la nuitLe problème Spinoza ou encore Créatures d'un jour.

Quatrième de couverture :

"Dans l'histoire de l'humanité, l'homme s'est toujours battu pour sa liberté. Pourtant, la liberté fait peur. Elle nous rend responsables de nos projets, de nos choix et de nos actes. Il arrive qu'alors nous ayons l'impression que le sol se dérobe sous nos pieds. Et, si nous devons mourir, si nous constituons notre propre monde, si chacun de nous est le seul dans un univers indifférent, quel sens a la vie ? Pourquoi vivons-nous ? Comment vivre ?

Liberté, solitude, absence de sens, mort sont au cœur de notre existence. Dans cet essai, Irvin Yalom convie Freud ou Spinoza, Tolstoï, Sartre ou Camus, pour nous aider, entre philosophie, littérature et psychothérapie, à penser ces grandes questions." (source : babelio)

Extrait de l'introduction :

"Dans ce livre, mon objectif est de proposer et de définir une approche tant sur le plan théorique que clinique pouvant servir de cadre à ces petits plus qui constituent la thérapie. Le libellé retenu pour cette approche, "psychothérapie existentielle", défie toute définition succincte, car les fondements de l'orientation existentielle ne sont pas empiriques mais profondément intuitifs. Je commencerai par proposer une définition formelle, que j'expliciterai dans la suite de l'ouvrage : "La psychothérapie existentielle constitue une approche dynamique de la thérapie s'attachant aux enjeux se trouvant au cœur de l'existence individuelle".

Je suis intimement persuadé que la grande majorité des thérapeutes expérimentés, quelle que soit leur école d'appartenance, recourent à nombre de ces insights existentiels que je me propose de décrire. Ainsi, la plupart des thérapeutes savent que la prise de conscience de la finitude peut souvent déclencher chez un patient un changement radical de perspective intérieure ; ils savent aussi que c'est la relation qui soigne, que les patients sont torturés par des choix, qu'un thérapeute doit catalyser la "volonté" d'agir d'un patient, et que la majorité des patients souffrent d'un sentiment d'absurdité face à leur propre vie.

Toutefois, l'approche existentielle représente bien plus qu'une tonalité subtile ou une perspective implicite à laquelle recourent les thérapeutes presque sans le savoir. Ces dernières années, lors de diverses conférences destinées à des psychothérapeutes, j'ai pris l'habitude de poser la question suivante : "Qui, parmi vous, pense avoir une orientation existentielle ?" Une proportion assez forte du public, généralement plus de la moitié, répondait par l'affirmative. Toutefois, lorsque ces thérapeutes étaient invités à définir cette approche, ils éprouvaient des difficultés à répondre.

Le vocabulaire employé par les thérapeutes pour décrire une approche thérapeutique quelle qu'elle soit n'a jamais brillé par sa précision ou sa clarté ; néanmoins, aucune ne surpasse la terminologie existentielle sur le plan de l'imprécision et de la confusion. Les thérapeutes associent l'approche existentielle aux termes suivants, imprécis par nature et dénués de tout lien apparent : "authenticité", "rencontre", "responsabilité", "choix", "humanisme", "actualisation de soi", "centration", "sartrien" et "heideggérien".

Par ailleurs, de nombreux professionnels de la santé mentale considèrent depuis longtemps cette orientation, qui, au lieu d'être une approche, laisse le champ libre à l'improvisation et permet à des thérapeutes tout aussi "nébuleux" d'en "faire à leur sauce", comme confuse, "molle", irrationnelle et romantique.

J'espère démontrer que ces positions sont injustifiées, que l'approche existentielle constitue un paradigme tout aussi valide et efficace, et, à ce titre, aussi rationnel, cohérent et systématique que les autres." (p.12-13)

Notes de lecture :

La thérapie existentielle, une psychothérapie dynamique :

Le terme "dynamique renvoie à la notion de "force". "La principale contribution de Freud à la compréhension de l'être humain est son modèle du fonctionnement psychique, qui postule que l'individu est animé de forces en conflit et que les pensées, les émotions et le comportement adaptatif ou psychologique résultent de ces forces antagonistes. En outre et ce point est essentiel, ces forces existent à différents niveaux de conscience, certaines étant totalement inconscientes. La dynamique psychique d'un individu s'articule donc autour de forces, de motivations et de peurs, conscientes ou inconscientes. On regroupe sous le terme "thérapie dynamique" l'ensemble des thérapies fondées sur le modèle dynamique du fonctionnement psychique."

Spécificité de l'approche psychodynamique :

a) La psychodynamique freudienne 

"Freud postule que l'enfant est gouverné par des forces pulsionnelles innées qui (...) se déploient lors de cycles de développement psychosexuel. L'individu est gouverné par ses pulsions, en guerre contre un monde qui l'empêche de satisfaire ses appétits agressifs et sexuels innés.

b) La psychodynamique néo-freudienne (interpersonnelle) :

Représentants : Harry Stack Sullivan, Karen Horney, Erich Fromm. Pour les néo-freudiens l'enfant n'est ni gouverné par ses pulsions ni préprogrammé ; c'est une personne qui, outre des prédispositions innées neutres comme le caractère et le niveau d'activité, est entièrement modelée par son environnement culturel et interpersonnel.

c) La psychodynamique existentielle :

Représentants : Ludwig Binswanger, Rollo May, Victor Frankl, Irvin Yalom (références philosophiques : Arthur Schopenhauer, Sören Kierkegaard, Martin Heidegger, Karl Jaspers, Albert Camus, Jean-Paul Sartre). L'approche existentielle met l'accent sur un autre type de conflit fondamental, non celui relatif aux besoins pulsionnels antagonistes ni celui qui surgit avec l'entourage, mais qui survient lors de la confrontation de l'individu aux fondamentaux de l'existence qu'Irvin Yalom désigne par l'expression d' "enjeux ultimes". "Parmi ces situations "limites" (l'expression vient de Jaspers) ou "frontières", figurent la confrontation à sa propre mort ("on" meure/je vais mourir), certaines décisions irréversibles ou l'effondrement d'un schéma fondamental donateur de sens.

"Cet ouvrage traite de quatre de ces "enjeux" ultimes : la mort, la liberté, l'isolement fondamental et l'absence de sens." (p.18)

a) La mort :

C'est l'enjeu le plus évident et le plus facile à appréhender. Le conflit existentiel clé découle de la tension entre la conscience du caractère inéluctable de la mort et le désir de continuer à être (de "persister dans son être" dit Spinoza)

b) La liberté :

La liberté renvoie à l'absence de structure externe ; dans la mesure où l'individu est totalement responsable (l'auteur) de son monde, de son projet de vie, de ses choix et de ses actions, la liberté a une implication terrifiante : elle signifie que le sol n'existe pas sous nos pieds. Le conflit existentiel nait de l'absence de socle et de notre désir de socle (de structure).

c) L'isolement fondamental :

"Peu importe à quel point nous nous sentons proche de l'autre, il demeure un fossé ultime et infranchissable : chacun de nous arrive seul en ce monde et doit le quitter tout aussi seul". Le conflit existentiel surgit entre cet isolement absolu et notre désir de contact, de protection, d'appartenance à un tout qui nous transcende.

d) L'absence de sens :

Ce conflit dynamique existentiel découle du dilemme auquel fait face un être avide de sens, parachuté ("embarqué" dit Pascal) dans un univers qui en est dépourvu.

La psychodynamique existentielle substitue au schéma freudien : Pulsion - angoisse - mécanisme de défense, l'équation : Conscience des enjeux ultimes - angoisse - mécanisme de défense.

"Le thérapeute a bien plus de latitude s'il aborde l'individu comme un être terrifié et en souffrance plutôt que comme une personne gouvernée par ses pulsions." (Otto Rank)

Dans l'approche existentielle, l'investigation profonde n'est pas synonyme (comme chez Freud) d'exploration du passé. Le futur qui s'actualise dans le présent en constitue la modalité principale

Note : Dans Le conflit des interprétations, Paul Ricoeur assigne à l'inconscient une double dimension : archéologique et pulsionnelle d'une part, téléologique et symbolique d'autre part .

 


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