Maximisation du retour sur investissement du capital humain

par Serge ULESKI
mercredi 5 septembre 2007

L’aigle a déployé ses ailes.

Alors que les salariés ne connaissent de l’entreprise que le poste qu’ils occupent, l’aigle, lui, survole toutes les pistes de son territoire et explore toutes les voies qui mènent à eux. Le survol de cet aigle c’est celui du maître des lieux qui fait sa tournée comme un propriétaire fait le tour de ses terres, serrant des mains, opinant du bonnet ici et là. Jamais il ne se pose. Toujours en mouvement à l’écoute des rumeurs, à la recherche du moindre malaise et des conflits larvés.

Quand on surprend son vol, les rares fois où l’on pense à lever la tête, il annonce une nouvelle distribution des cartes qui célébrera bientôt l’apothéose de la vie accoucheuse de stratégies aussi surprenantes qu’inattendues, en un tour de main, jusqu’à rendre méconnaissables et les lieux et le travail qui y est effectué.

Son survol peut être celui d’un prédateur cherchant sa nouvelle proie l’appétit au ventre, affamé : les rêveurs, les tire-au-flanc, les faux-culs, les fumistes, ceux qui ne doivent rien à eux-mêmes et tout à ceux qui les ont nommés.

Pour tous ceux-là, ce sera grandeur et décadence ou bien, grandeur et déchéance. C’est selon et... c’est du pareil au même.

Autre objet de son attention : le peuple silencieux. Toujours en retard sur la vie de leur travail, ces travailleurs candides, puisqu’ils n’en contrôlent ni les bouleversements ni les adaptations. Un jour, on leur signifiera leur congé définitif et en attendant, on se contentera de les conduire inévitablement et à leur insu, à leur perte et ce, bien avant que l’heure de la retraite ne sonne. Sur eux, la pression s’est accrue : horaires chaotiques, contraintes de résultats, menaces de licenciement. Outils de discipline au travail par excellence cette pression ! On leur parlera de flexibilité, d’autonomie et de polyvalence - comprenez : isolement et solitude - sans oublier de mentionner des changements permanents qui nécessiteront de nouveaux comportements.

Cet aigle, c’est aussi un sourcier céleste fouillant du regard, scrutant, maladif, le sol, le sous-sol et ses plus petits interstices, en annonciateur de déluges qui viendront balayer tous les pauvres bougres en deçà de leurs attentes et au-delà de leurs craintes ; et les autres aussi : ceux qui se croyaient à l’abri.

Nouvelles exigences des temps modernes : le retour à l’instabilité généralisée et permanente du monde. Il est tous les glissements de terrain purificateurs cet aigle blutoir qui tamise cette poudre farineuse que sont ses effectifs.

Meurtre productif, il appelle cette instabilité ! Si vous l’interrogez dans l’intimité de sa retraite, c’est à voix basse qu’il vous fera cette confession, le regard inquiet de peur qu’on ne l’entende alors qu’il ne souhaite être entendu de personne.

Il poursuit partout et sans relâche la liquidation de l’ancien monde, celui d’hier matin et prépare déjà celle de demain. Cet ancien monde, c’est le monde tel qu’il ne lui convient pas mais qui pourrait tout aussi bien lui convenir si d’aventure ce monde devait servir ses intérêts.

Le territoire de cet aigle a pour le nom : DRH ! Et son occupation : gestion des ressources humaines, ou GRH.

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Construction, mise en oeuvre, évaluation, ajustements à effectuer, régulation des outils de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, sans oublier leurs référentiels.

Stratégie d’organisation, renouvellement des règles ! Accroissement de la concurrence ! Fusions, restructurations et transformations. Et puis aussi, l’entreprise et son environnement : quelles relations nouer pour quelle valeur ajoutée ?

Et pour finir, quand tout leur a réussi : maximisation de la profitabilité de l’entreprise.

Seul a voix au chapitre, ce qui peut être mesuré. Une science cette discipline qui ne peut se permettre le moindre chahut. Un puzzle, cette gestion des ressources humaines. Un travail de titan cette optimisation et cette mise en correspondance : chaînages, maillage, enjeux stratégiques et organisationnels.

Finie l’opposition salariés/patrons ! Il n’y a plus que l’entreprise. Et gare à ceux qui s’en détournent tout en y demeurant !

Dans l’entreprise, plus de conflits dits collectifs. Il n’y a plus que l’individu et si conflit il y a, il ne peut s’agir que d’un individu seul face à sa hiérarchie. Un champ de force univoque, ce monde de l’entreprise au sein d’une communication et d’une interrogation permanente des bonnes ou mauvaises volontés des acteurs en présence, depuis que la portée de l’exemple s’accroît et ce, dans toutes les directions : une note, un avertissement, un blâme, un licenciement pour l’exemple. Et puis, celle ou celui que l’on montrera en exemple.

Pensez donc ! Voici un niveau de réussite digne des plus belles performances sportives là où des collègues besogneux ont tout juste été capables d’accomplir leur objectif.

L’émulation vaut autant pour la chute que l’ascension. Et tout le monde y trouve du grain à moudre, du souci à se faire et d’aucuns leur compte de rêves de promotion. Oui ! Tout le monde y trouve matière à réflexion dans cet accroissement de la valeur exemplaire de l’exemple à suivre, à méditer du fond de son isolement ; valeur érigée en totem ; et d’aucuns ajouteront, sans scrupules et sans tabous quand cette valeur revêt les apparences d’une épée de Damoclès qui tranchera les têtes.

Alors, mieux vaut être du côté de celui qui tranchera celle des autres, d’un mouvement vif et parfait dans son exécution aveugle.

Si pour commander il faut avoir su longtemps obéir, on ne pourra s’empêcher de noter que l’on dirige la tête baissée. Toujours ! On dirige en regardant vers le bas : ses subordonnés. En haut, trône celui qui vous dirige et ce faisant, regarde aussi en bas. Dans cette configuration verticale, c’est tête baissée que les dirigeants s’adonnent à leur sport favori : diriger ceux qu’ils dirigent, lesquels à leur tour, dirigent ceux qui doivent être dirigés jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne à commander.

Édifice à la triste figure, cette chaîne de commandement, cette pyramide dont les étages... piquent du nez !

Et ceux d’en bas, où regardent-t-ils ?

Ils regardent leurs mains et leurs pieds - cadence oblige ! Et puis, prudence ! Gare aux accidents ! - ou bien, ils regardent droit devant eux, leur écran d’ordinateur, seul point de regard pour fuir tous les regards car il y a des jours où ils ne souhaitent croiser le regard de personne. Ils n’attendent qu’une chose ceux d’en bas : qu’on ne leur demande pas d’attendre quoi que ce soit de qui que ce soit.

Une prison en liberté cette solitude au poste comme la chèvre à son piquet de peur qu’elle ne s’égare ou bien, qu’elle ne s’enlise dans ses déplacements ou tout simplement dans l’exécution de sa tâche. Stress et souffrance, l’angoisse tassée au ventre, seront tus et cachés ; et les cernes infinis de la fatigue et de la peur qui plissent la moindre pensée jusqu’à la rendre lâche et veule aussi, incapable de rompre l’étau de l’assujettissement à cette roue géante qui distribue au passage blâmes et encouragements dans le but de maintenir sur le qui-vive et le quant-à-soi un être qui n’a plus qu’une vie : la sienne - vie qui se languit de ne jamais pouvoir en réaliser une autre dans une alternative d’une simplicité redoutable : soumission ou relégation.

Et c’est alors que les chemins de la mémoire se rétrécissent jusqu’au méconnaissable, sans plus d’imagination. En effet, on aura tout oublié, pour ne rien regretter de ce qui devait faire de nous des êtres de croissance.

Mais diable, qui donc peut aujourd’hui se permettre de regarder en haut, à ciel ouvert, là où nul n’aura besoin de craindre le regard de quiconque sinon celui des nuages et de la nuit, celui des étoiles bienveillantes ?

Extrait du titre inédit : La Consolation - chapitre 4
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