chômage : la réalité dépasse l’affliction

par Roshdie
samedi 11 juin 2005

Depuis dix jours, j’entends des hommes politiques, des journalistes, des économistes et autres politologues décrypter les raisons du non au Traité Constitutionnel Européen. A peu près tous mettent le résultat du scrutin sur le compte de peurs - sociale ou xénophobe -, expressions fantasmagoriques plus que d’une réalité vécue. En réponse au « désarroi » Français, M. Dominique de Villepin a présenté un plan de cent jours pour redonner confiance aux Français, via la relance de l’emploi. Je vous fais part de mon expérience vécue et de quelques considérations çà et là :


-  Le MEDEF (entre autres) relayé par la majorité stigmatise une politique d’assistanat, où le chômeur de longue durée et le bénéficiaire de minima sociaux vivraient au crochet du système. A l’évidence, certains abusent de leur situation. Reste à savoir combien profitent et combien sont réellement dans le besoin. M’est avis que le plupart des érémistes ne sont pas des assistés complaisants. Moi, par exemple, je touche moins de 3000 euros de revenu minimum par an. Je me vois mal en privilégié, quand, parallèlement, je vois des entreprises bénéficier de milliards d’allègements de charges sociales, d’aides directes, de subventions diverses... sans impact significatif sur l’activité, donc sur l’emploi (cf. Etude de la DARES de 2001). Toute une vie ne me suffirait pas à détourner autant d’argent des caisses de l’Etat que François Pinault, qui avait échappé à l’ISF en 1997.
-  M. De Villepin a décidé de flexibiliser le marché du travail, en instaurant, entre autres, un contrat nouvelle embauche comportant une période d’essai de deux ans. Qui pointera les profiteurs de ce système qui permettra de déguiser des embauches précaires en emplois pérennes ? Dans ma vie professionnelle, j’ai déjà enchaîné trois CDD consécutifs, au mépris de la loi. L’astuce a consisté à me faire changer de titre sans que mes attributions varient. J’avais le droit pour moi, pas le pouvoir de négociation. J’ai accepté la situation comme j’accepterai de travailler pendant deux ans pour être renvoyé du jour au lendemain.
-  Le Premier Ministre parle de promouvoir l’audace, libérer les énergies. Qui dit audace dit risque. Qui dit risque dit possibilité d’échec. Pour un Christophe Colomb, combien de navigateurs ont coulé en pleine mer ? J’ai essayé de créer une entreprise, projet qui n’a pas abouti. Je suis désormais en position de faiblesse sur le marché de l’emploi. Je dois justifier d’une longue période « d’inactivité » qui me rend inemployable aux yeux des recruteurs. Je vis la situation de Sophie Talneau, l’auteure de « On vous rappellera ». Trop qualifié pour des métiers a priori accessibles, trop longtemps au chômage pour des fonctions en rapport avec mon niveau d’études. De plus, je suis jeune, issu de l’immigration et j’habite en banlieue, c’est dire si je cumule les handicaps ! Pour promouvoir l’audace, encore faudrait-il que l’échec ne soit pas rédhibitoire. Aux Etats-Unis, un entrepreneur qui a raté est un entrepreneur. En France, c’est un raté.
-  Quand M. de Villepin dit : « Il n’est pas acceptable qu’un demandeur d’emploi qui fait l’objet d’un accompagnement personnalisé puisse refuser successivement plusieurs offres d’emplois raisonnables », je frissonne. Jusque-là, l’ANPE ne m’a proposé que des offres qui n’ont strictement aucun rapport avec ma formation initiale. S’agissait-il d’un abus de ma part de les refuser ? Ai-je ainsi décliné des offres d’emplois « raisonnables » ? On peut forcer les gens à travailler. Mao l’a fait pendant le Grand Bond en Avant. D’un chômeur malheureux, on peut faire un travailleur malheureux. Sera-ce un progrès ? A titre d’illustration, notons que le Japon a un taux de chômage de 4,5 %. Et il possède le taux de suicide le plus élevé du monde industrialisé. Cela fait réfléchir.

J’ai voté oui au Traité Constitutionnel Européen parce que je crois en l’Europe politique. Le projet européen n’a pas été la victime expiatoire de mes déboires professionnels. Je ne jette pas d’anathèmes sur ceux qui ont fait le choix inverse. Leurs peurs n’étaient pas de vagues lubies. Il est facile de crier au fou quand on ne partage pas l’opinion de l’autre ou d’asséner, comme le Président de la République, « je ne vous comprends pas » à des jeunes en détresse. Pendant la présidentielle 2002, certains membres de la majorité parlementaires de gauche ont cru bon d’affirmer que le sentiment d’insécurité n’avait qu’un vague rapport avec la réalité de l’insécurité, en dépit des statistiques. Pour le résultat que l’on sait. Avec le même aplomb, certains membres de la majorité actuelle prétendent distinguer la réalité telle qu’elle est de celle telle qu’elle est perçue, malgré un taux de chômage de 10,2% et une croissance molle. Il faudra un jour que l’on s’aperçoive que la perception de la réalité du peuple n’est pas toujours biaisée. Parfois, c’est la réalité qui est difficile à vivre.


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