Manu Militari : un pseudo-stratège en carton ou la fuite en avant d’un dangereux belliciste

par Renaud Bouchard
lundi 3 juin 2024

"Comme le voyageur qui navigue entre les iles de l'archipel voit la buée lumineuse se lever vers le soir, et découvre peu à peu la ligne du rivage, je commence à apercevoir le profil de ma mort."

Marguerite Yourcenar, Mémoires d'Hadrien, Plon (1951)

"Il était arrivé à ce moment de la vie, variable pour tout homme, où l’être humain s'abandonne à son démon ou à son génie, suit une loi mystérieuse qui lui ordonne de se détruire ou de se dépasser", écrit encore Marguerite Yourcenar dont les pensées profondes qu'elle prête à l'empereur Hadrien dans ses pseudo-mémoires adressés à son petit-fils adoptif Marc Aurèle, ne toucheront probablement jamais M. Macron tant est aujourd'hui implacable l'impasse dans laquelle il s'est personnellement imprudemment engagé, tentant d'entraîner avec lui l'avenir d'un pays - la France - qu'il n'a plus la possibilité de gouverner tant sa pseudo-légitimité politique à le faire s'est à ce point dégradée.

Le fait est que les clowneries et déclarations tragiques sinon imprudentes sur les plans diplomatiques et militaires - tous domaines (sans compter les questions économiques, financières,industrielles,sociales) dans lesquels ce pseudo chef de l'Etat belliciste aura amplement démontré qu'il n'y connaissait absolument rien - ont soigneusement laissé passer l'occasion qui lui était offerte de mettre un terme immédiat à ce qui apparaît déjà comme le triple suicide assisté de la pseudo union européenne, de l'Ukraine et de la France.

Quelle immense erreur, quelle occasion ratée ce triste personnage aura en effet faite et manquée en plongeant la France dans une aventure militaire inconséquente et ruineuse plutôt que de privilégier et soutenir une oeuvre de Paix dans laquelle lui comme notre pays eussent été à leur vraie place, dans leur vrai rôle pleinement souverain.

Fort heureusement et aussi stupides soient-ils, ces agissements comme ces manquements seront un jour sévèrement jugés - en attendant un tribunal électoral et populaire dont la France a montré qu'elle était coutumière - par ce qu'il est convenu d'appeler le « Tribunal de l'Histoire », un tribunal qui n'a aucun état d'âme pour punir, plus que les vaincus, les médiocres, les inconséquents et les incompétents.

Le bellicisme comme dérivatif aux échecs politiques intérieurs constitue une erreur fatale.

Comme l'écrit le chroniqueur d'un pays en décomposition H16 dont je cite ci-après la récente contribution, "Les sondages sont assez clairs : c’est la déroute pour le camp macronien."

Il est vrai que ce que dans une expression courante et plutôt leste, mais qui a pour elle d'être précise et comprise par tous, la branlée monumentale que les "élections européennes" du 9 juin prochain vont infliger au camp politique en sursis aura au moins pour mérite d'éclaircir le paysage politique en installant une autre équipe (qui fera et durera ce qu'elle durera) en lieu et place d'une camarilla destinée à rejoindre les poubelles de l'Histoire.

"Ainsi, non seulement Mélusine Hayer ne parvient pas à décoller dans les intentions de vote au point qu’elle chatouille à nouveau ses plus bas niveaux depuis qu’elle est entrée en lice, mais en plus réussit-elle la performance de propulser Bardella, le concombre endimanché du Rassemblement national, à un niveau record que ses seules prestations, nulles, n’auraient jamais permis.

Certes, ce qui pousse la droite traditionnelle (que les journaux, la bave aux lèvres et la subvention en parachute, appellent courageusement “extrême”) à des niveaux rarement atteints jusqu’à présent n’est pas cantonné à la France puisqu’un peu partout en Europe, on retrouve cette même tendance.

Néanmoins, il ne fait guère de doute qu’Emmanuel Macron se prépare visiblement à une branlée de magnitude 9 sur l’échelle électorale, qu’il aura bien du mal a faire oublier politiquement, d’autant qu’elle s’ajoute à la catastrophe économique en cours (dont la dégradation de notation récente n’est qu’un symptôme d’ailleurs minimisé par le Bruno de Bercy avec l’aplomb culotté d’un cuistre vibrionnant). Le petit marquis de l’Élysée, assez furibard à l’idée que le peuple refuse de voir en lui autre chose que le petit emmerdeur qu’il a souhaité lui-même être ouvertement, doit donc en venir aux extrémités maintenant habituelles pour camoufler sa déroute.

On se souvient en effet qu’alors que montait la grogne des agriculteurs, et qu’il avait dû se rendre au Salon de l’agriculture sous les huées et avait donc ressenti les affres de l’humiliation en direct et sur les ondes, le président de la République s’était, quelques heures à peine plus tard, fendu de déclarations particulièrement va-t-en-guerre, précisant par exemple (c’était en mars) que la France ne devait pas renoncer à l’idée d’envoyer des troupes au sol afin sans doute que la déroute ukrainienne puisse être partagée par l’armée française.

Ici, le schéma semble furieusement le même : la véritable débâcle de son parti aux prochaines élections européennes n’est pas encore confirmée que, déjà, voilà notre généralissime prêt à autoriser l’usage d’armes remises par la France à l’Ukraine afin d’aller bombarder directement la Russie. Pour le moment, il camoufle l’envie d’en découdre directement avec les Russes dans une phrase alambiquée heureusement interprétable de différentes manières, souhaitant simplement que les Ukrainiens dégomment les batteries de missiles longue portée qui se trouvent en Russie.

Oui, il semble bien évident que Macron, fidèle à son En-Même-Temps qui a, en sept ans, mis le pays dans un embarras de plus en plus délétère, entend provoquer toujours plus les Russes et, en même tempsleur garantir notre pacifisme. L’actuel locataire de l’Élysée semble miser sur la perte de sang-froid de Poutine ou de ses généraux qui pourraient décider – enfin ! – d’attaquer directement un pays de l’OTAN, la France pourquoi pas, donnant – enfin ! – une opportunité de riposter sans plus barguigner ou tourner autour du pot.

L’idée, dans la tête de Macron, n’est probablement même pas d’un conflit ouvert, chaud et direct avec la Russie, qui comporte tout de même quelques risques pour ses propres miches (Macron a amplement démontré, jusqu’à présent, son manque total de courage physique), mais plutôt de galvaniser les Français derrière lui plutôt que contre lui, ce qui lui ferait un vrai changement depuis les Gilets Jaunes, période à laquelle il a définitivement compris qu’une frange du peuple en voulait à sa peau (il lui reste encore à comprendre que cette frange est maintenant majoritaire).

Malheureusement pour notre stratège en carton, il apparaît – au moins jusqu’à présent – que les dirigeants russes sont un peu plus malins que ce que les élites occidentales semblent croire (dans une auto-intoxication d’ailleurs visible avec l’histoire lamentable des sanctions contre la Russie) et Poutine n’entend pas trop suivre la voie que Macron veut lui tracer et joue plutôt sur un temps long dont Macron ne dispose pas.

Et alors que les provocations plus ou moins fines se multiplient donc, les dissensions entre Macron et, notamment, l’Oncle Sam se font chaque jour plus présentes : pour les Américains dont les prochaines élections approchent de plus en plus vite, les choses ne semblent pas suffisamment bien engagées pour abonder dans le sens général choisi par Macron et quelques autres marionnettes européennes : Biden, qui n’a jamais été aussi bas dans les sondages, ne peut plus trop utiliser le sujet ukrainien pour tenter de camoufler les effets désastreux de sa politique intérieure, et doit donc jouer sur du velours pour tenter de se démêler de ce conflit européen. Alors que Macron autorise des frappes hypothétiques avec les missiles français livrés à Kiev, les États-Unis, eux, l’interdisent formellement.

Autrement dit, Macron n’apparaît pas vraiment soutenu ( ni même supporté) par ses alliés américains, et les autres États membres de l’Union européenne semblent beaucoup moins pressés de se lancer dans de nouvelles aventures plus ou moins bien préparées, et ce alors que d’autres troubles s’accumulent un peu partout en leur sein : la question migratoire revient ainsi avec une insistance croissante pour les exécutifs européens, et les vagues de réfugiés – à la très faible proportion de femmes et d’enfants – ressemblent de plus en plus à une invasion, d’autant plus qu’avec les tensions croissantes au Proche et Moyen-Orient, les réactions des groupuscules islamistes pro-hamas un peu partout en Europe laissent perplexe : s’il semble logique et louable de réclamer un retour de la paix en Palestine, la façon de plus en plus hystérique avec laquelle les manifestants s’y prennent ressemble maintenant à de l’intimidation et de la violence psychologique (bientôt physique ?) qu’à un sain débat d’idées.

En somme, E.Macron continue de gesticuler en utilisant la politique internationale, qu’il ne maîtrise plus du tout (l'a-t-il jamais maîtrisée, tout comme la politique économique, financière, sociale ? c'est moi qui parle) et dans laquelle il passe à présent pour un dangereux bouffon, pour camoufler l’embarrassante catastrophe fumante de sa politique intérieure : en effet, personne ne peut croire à sa maîtrise de la première alors qu’il peine franchement à assurer un semblant d’ordre dans son propre pays.

On voit mal comment ça pourrait bien se terminer."

La réponse est très simple : par un coup d'Etat sous une forme très inattendue.

En outre, comme l'écrit très pertinemment M. Bertrand Renouvin dans son dernier Editorial en date du 3 juin 2024 : 

"Nous avons pu croire qu’un président de la République s’était envolé pour la Nouvelle Calédonie livrée au chaos. Nous voulions espérer qu’il prendrait l’exacte mesure de la tragédie pour en induire, après mûre réflexion, une politique… Hélas ! Nous avons appris que, dans l’avion du retour, Emmanuel Macron avait délaissé sa tâche éminente pour lancer à Marine Le Pen un défi. “Prêt à débattre, immédiatement” avec l’ancienne et future candidate à l’élection présidentielle, le locataire de l’Elysée voulait rejouer les débats de 2017 et 2022. Sans doute était-il sûr de pouvoir vaincre à nouveau son adversaire et de faire perdre quelques points de sondage à Jordan Bardella. Cette provocation infantile a eu la réponse qu’elle méritait, Marine Le Pen n’étant pas femme à venir “quand on la siffle”.

Emmanuel Macron est de la confrérie de ceux qui osent tout. Cette retentissante gifle politique ne l’a donc pas empêché de se livrer à une nouvelle démonstration de son talent rhétorique. Il s’agissait, lors de sa visite d’Etat en Allemagne, de prendre une hauteur historique en dénonçant le “vent mauvais” (1) du populisme qui souffle sur l’Union européenne. Nul ne s’est étonné que ce discours soit resté sans effet. Après quarante ans d’appels inopérants à la vigilance contre l’extrême droite, cette dramatisation est d’autant plus ridicule que le lanceur d’alerte de Dresde ne cesse d’enregistrer des déconvenues. Il a lancé Gabriel Attal contre Jordan Bardella en janvier sans le moindre résultat. Le récent débat entre le Premier ministre, qu’on tient pour un génie de la communication, et le lieutenant de Marine Le Pen s’est conclu par une nouvelle ascension de ce dernier dans les sondages. Le fantôme de Munich a été mobilisé par Valérie Hayer, on a évoqué les fondateurs du Front national et le patron de Renaissance a annoncé son intention de “débusquer’ le programme anti-européen du Rassemblement national – au moment même où les responsables de cette formation pactisent avec le patronat – mais le premier parti d’opposition poursuit son ascension. On s’étonne, on s’indigne et on va une fois de plus sonner le tocsin après le 9 juin en refoulant au plus profond les deux constats qui permettraient d’y voir clair.

Il est impossible de prendre au sérieux des dirigeants qui dénoncent l’illibéralisme de certains Etats et de divers partis pour la défense et la promotion d’une Union européenne qui est structurellement anti-démocratique. Le Parlement européen ne représente pas un peuple européen qui n’existe pas. La Banque centrale européenne est hors de tout contrôle comme la Cour de justice de l’Union européenne. La Commission européenne n’est que la part visible des réseaux technocratiques et des groupes de pression qui prennent les décisions. Il en résulte, dans les peuples des Etats membres, des sentiments de dépossession et d’impuissance qui nourrissent toutes les colères.

Qu’on ne dise pas que “les gens n’y comprennent rien”. Il n’est pas besoin d’être un juriste spécialisé pour se souvenir que les référendums de 2005 en France et aux Pays-Bas ont été délibérément effacés. La création de l’euro fut l’acte fondateur de l’oligarchie mais c’est le traité de Lisbonne qui a concrétisé en 2007 le déni de démocratie sur lequel repose l’Europe des traités. Le Rassemblement national exploite d’autant plus efficacement ce sentiment de dépossession que la fraction dominante de la gauche masque sous son “fédéralisme européen” un plat ralliement au système néolibéral. Comme la classe dirigeante veut à tout prix conserver la libre circulation des capitaux et le système de contrainte salariale mis en place par la “monnaie unique”, le populisme qu’elle récuse a de beaux jours devant lui.

Cependant, on aurait tort de penser qu’un Frexit résoudrait le double problème de la dépossession populaire et de l’extrême droite. Rejeter les structures de l’Union européenne ne sert à rien si l’on conserve le néolibéralisme qui est la cause première du populisme. L’essor du Front national a coïncidé avec le tournant rigoriste de 1983, et tous les effets de l’idéologie néolibérale qui ont favorisé la progression du populisme, la rendent aujourd’hui irrésistible : désindustrialisation, chômage de masse, précarité, importation de main-d’œuvre servile, destruction méthodique des services publics dans le cadre d’une marchandisation générale des êtres et des choses.

La vague populiste est strictement protestataire. Elle provoque des émois médiatiques et de réelles angoisses par ce qu’elle charrie de haine identitaire. Elle ne relance pas plus un fascisme à l’ancienne qu’une promesse de reconstruction sociale et politique. En France comme ailleurs, les chefs populistes ont passé tous les compromis qui assureront le maintien en l’état du système économique et financier. Ils vont pouvoir écrire une nouvelle page de leur histoire – celle de la trahison explicite des classes moyennes et populaires dans l’oubli du principe et des modalités de la souveraineté."

 

Je répète la question :

On voit mal comment ça pourrait bien se terminer.

Cela se terminera bien pour certains et très mal pour d'autres.

Comme d'habitude en France.

En rupture violente ou par un coup d'Etat sous une forme très inattendue.

 

 

Note et sources

 

1/ Cette formule est malheureuse : utilisée par Pétain dans un discours de 1941, elle montre que les discours présidentiels sont préparés par des incultes.

Editorial du numéro 1280 de « Royaliste » – 3 juin 2024

Sources : 

https://h16free.com/

Editorial du numéro 1280 de « Royaliste » – 3 juin 2024


Lire l'article complet, et les commentaires