La révolte des épouvantails

par C’est Nabum
samedi 28 octobre 2023

 

En rase campagne.

 

Depuis des temps immémoriaux, ils étaient assignés à mener une guerre en rase campagne contre les oiseaux du pays. Absurde embrigadement qui n'expliquait en rien les misérables tenues dont ils étaient affublés. Fallait-il être vêtu de défroques misérables, de haillons et de tenues aussi grotesques qu'hétéroclites pour effrayer ces admirables volatiles ? La question méritait sans doute d'être portée à la chambre des députés mais qui oserait parmi eux, prendre la défense de ces loyaux serviteurs de la cause agricole ?

Face à cette indifférence honteuse, les épouvantails décidèrent de prendre leur destin en main. C'était d'ailleurs la seule manière pour eux de se bouger puisqu'on les avait plantés là, en terre, sans moyen de se mouvoir. Ils ne représentaient donc qu'une armée de position, une conception ancestrale de l'art de la guerre, totalement dépassée.

Au-delà de cet aspect purement technique, les épouvantails venaient de prendre conscience que l'ennemi qui leur était assigné n'avait rien de belliqueux et n'exprimait aucun ressentiment à leur égard. Ils avaient tout bonnement subi un conditionnement honteux de la part des humains, ces faux-frères, afin de voir en la gente ailée un adversaire héréditaire.

Une révolution éthique anima le peuple des épouvantails, désireux de restaurer des relations saines et amicales avec tous les oiseaux. Il fallait pour se faire, trouver des ambassadeurs, des truchements pour établir une plateforme de négociation pour une paix durable. Les pigeons voyageurs se portèrent volontaires, retrouvant ainsi un atavisme propre à l'espèce.

Les premiers échanges furent désastreux. Le conseil représentatif des épouvantails ne trouva rien de mieux que de rédiger leurs premières missives à la plume d'oie, un symbole fort peu apprécié par leurs interlocuteurs qui firent la tête devant pareil affront. Leurs réponses ne furent elles aussi peu favorables au dialogue constructif et la tentative de paix faillit se retrouver le bec dans l'eau.

La langue des oiseaux, pour imagée qu'elle fut, posa d'incontestables problèmes de compréhension chez les épouvantails bien trop terre à terre pour accéder ainsi à cette symbolique et aux jeux de mots. Heureusement, il se trouva de joyeux pinsons qui comprirent le mal-entendu et sifflèrent la fin de cet imbroglio.

Les épouvantails optèrent pour la mine de bois et les oiseaux adoptèrent la langue des cygnes, plus accessible à leurs nouveaux correspondants. Les échanges furent apaisés, les difficultés aplanies et bientôt une paix des braves fut scellée et matérialisée par les colombes qui vinrent établir domicile sur leurs nouveaux amis.

Le changement ne passa pas inaperçu parmi les humains qui comprirent qu'ils venaient de perdre des alliés précieux dans la guerre qu'ils menaient aux oiseaux. C'est le premier d'entre eux qui lors d'une allocution télévisée tira le signal d'alarme. Il pesait désormais une lourde menace sur l’approvisionnement en fruits et céréales de ses concitoyens. À sa grande confusion, il avait ce soir-là, un chat dans la gorge ce qui mit la puce à l'oreille à l'état major des épouvantails.

Immédiatement les épouvantails sollicitèrent les chauves-souris afin d'établir un pacte de non agression avec les chats du pays. Les matous, las d'être montrés du doigt pour justifier le génocide ailée, rentrèrent leurs griffes et firent acte d’allégeance auprès de leurs nouveaux amis. Ce fut un geste si fort que toute la faune du pays se ligua autour de l'armée des épouvantails pour mener la seule guerre qui fut utile : celle contre les responsables du désastre actuel.

C'est sous la bannière des épouvantails qui venaient de trouver un moyen de se mouvoir que débuta la grande extermination de l'espèce humaine. Tous les animaux se réjouissaient de mettre un terme à une désastreuse domination millénaire. Ils ignoraient alors que les épouvantails prendraient leur place rapidement, sans doute par un effet de mimétisme qu'ils n'avaient pas envisagé. Tout était à recommencer.


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