Le droit du sol

par C’est Nabum
vendredi 23 février 2024

 

La clef sous la porte.

 

L'actualité bruisse d'une étrange querelle, d'une polémique qui fait grand bruit et parfois même énorme vacarme. Ainsi, devant les mélomanes atterrés, le Sol réclame des droits supérieurs à ses collègues, entendant présenter la note en pleine période de restriction budgétaire. Certains qui connaissent bien la musique, se plaisent à mettre en avant cette note qui en a plein le dos de se retrouver reléguée au cinquième rang de la gamme.

Le droit du sol ne doit en rien prendre le pas sur celui de ses congénères, qu'elles fussent blanches ou bien noires, crochues ou bien diésées, mineures ou bien majeures. Il n'est pas question de faire silence sur cette honteuse prétention à s'accaparer la couverture et vouloir ainsi, avancer au son du clairon, le sabre au clair et la partition nationale.

Le Sol n'a pas plus de droit que son collègue le Fa qui ne réclame rien, n'use d'aucun groupe de pression pour se faire valoir sous les feux de la rampe médiatique. Le Do se plie volontiers à sa requête, habitué qu'il est à se courber devant ceux qui aiment à chanter en canon. Le Ré aimerait être déclaré d'intérêt public sans pour autant se réfugier sur une Île. Le Mi s'encroûte depuis qu'on le mène à la baguette et ne se ferait pas tirer l'oreille pour marcher au pas derrière ce Sol belliqueux. Le La est fatigué de toutes ces histoires, lui qui se trouve bien partout où on le pose. Le Si est sur les dents, il n'entend pas se laisser faire par ce Sol prétentieux.

De ce ramdam, il n'est rien de bon à entendre et encore moins à attendre. La Portée sent bien que les notes désirent s'émanciper, s'offrant quelques lignes, le nez au vent. Aller où bon leur chante sans plus respecter les moindres contraintes semble devenir leur nouveau leitmotiv. La liberté est dans l'air du temps, les notes prennent la clef des chants et se fiche de montrer leur papier devant le moindre chef. Il y a de la Révolution dans l'harmonie qui jusqu'alors, se contentait d'astiquer les cuivres et de défiler au pas martial.

Le droit du Sol, c'est la porte ouverte à d'autres récriminations, le risque d'une réaction en chaîne dans le petit monde feutré des musiciens. Des chats luthiers, des flutes berrichonnes et des tubas se préparent à organiser de vastes mouvements de notes qui espèrent changer de gamme ou de clef. Sans partition, les adeptes de l'improvisation désirent venir jouer en Europe, s’émancipant des frontières de toutes sortes.

Des esprits plus chagrins affirment même que ce fameux droit du Sol sonnera le Requiem des libertés créatives. La mélodie risque de passer en sous-sol pour retrouver la clandestinité ou les caves quand certaines sonorités n'étaient pas de mise. D'autres s'indignent de devoir changer les paroles de l'hymne national puisque le Sol supplantant le Sang, il faudrait se plaindre d'un Sol impur, ce qui risque fort de se mettre à dos le monde agricole.

On mesure bien que l'on risque fort de mettre le doigt sur une touche sensible, qu'avec une telle mesure, la musique cessera d'adoucir les mœurs et conduira certains au coma dépassé. D'autres changements s'imposeront alors si nous ne prenons pas garde à cette affaire à laquelle il conviendrait bien vite de mettre un bémol. Le Grand Chef d'Orchestre qui en la matière se plaît à jouer les apprentis sorciers, devrait retrouver un peu de mesure s'il ne veut pas qu'on pointe sa responsabilité.

Le Sol doit rentrer dans le rang et se contenter de marcher au même pas que les autres notes. Tout au plus, pourrions-nous cesser de débuter la partition par une clef qui invite forcement à venir s'installer ici. Ce serait une forme plus pédagogique, une sorte de solfège apaisé, une pause qui fera silence dans le vacarme du moment.

Hélas, les choses n'ont pas l'air de se calmer. Le Mi se plaint de grosses démangeaisons au point de se gratter au sang. Le Mi gratteur sonne le glas de l'harmonisation. Nous entrons dans une ère de dissonance pendant laquelle le désaccord sera la règle. Le Sol peut être content du Barouf dont il est responsable. Voilà bien un droit qui confond ballade et fugue.


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