La mirifique épopée d’Étienne et Nicolas

par C’est Nabum
mercredi 28 août 2024

Les damnés de la mer.

Grandir en bord de rivière et se laisser bercer par le murmure des eaux, les confidences des oiseaux, les plantes du vent et la puissance des flots peut conduire à bien des extravagances. C'est ce qui advint à Étienne, un jeune garçon né entre Perche et Beauce qui ne se fit pas tirer l'oreille lorsque le poisson d'Or lui confia une lourde responsabilité.

Jeune berger, profession qui semble fréquemment investir ceux qui en font métier dans leur jeune âge d'une mission sacrée, c'est en comptant ses moutons qu'il vit en songe le Christ, un bâton à la main, cheminer sur les routes de France à la manière d'un pèlerin. Passant non loin du troupeau, le prince du ciel lui confia une lettre à remettre en main propre au roi Philippe Auguste.

La missive mandait qu'on laissa passer de par le vaste royaume de France les enfants qui voulaient suivre les pas d'Étienne pour converger vers leurs homologues germains partis sous les harangues de Nicolas, pour se lancer conjointement dans la croisade des enfants afin de délivrer Jérusalem après les deux échecs cuisants des deux expéditions précédentes menées par des chevaliers.

Le Roi de France, qui avait à organiser le grand tournoi hippique de Paris de 1212 n'eut que faire de cette requête inopportune dans le contexte festif d'une manifestation qui allait regrouper toute la chevalerie européenne. La présence des enfants risquait de troubler les grandes joutes inaugurales qui devaient avoir lieu sur la Seine, les jeunes pèlerins français furent donc dispersés à grand coup de gaz lacrymogène.

Si nombre d'entre eux regagnèrent leurs pénates, Étienne et quelques fidèles poursuivirent leur route et gagnèrent Marseille pour embarquer sur sept bateaux dont les capitaines leur promirent un voyage en Terre Sainte. Par ailleurs, c'est à Pise que Nicolas et les derniers survivants de cette vaste procession qui tourna à la tragédie lors de la traversée des Alpes, montèrent à bord de leur côté. C'est donc une poignée de jeunes gens illuminés par leur foi qui se trouvèrent embarqués dans une périlleuse aventure.

Les capitaines n'étaient que des trafiquants d'esclaves, de vulgaires forbans pratiquant la traite. Les enfants traversèrent la Méditerranée pour être vendus sur la côte algérienne à Bougie. Étienne et Nicolas se retrouvèrent ainsi compagnons de banc de nage, une brancarde, espace terrifiant étroit pour cinq galériens attachés les uns aux autres de 2,30 m de long et 1,25 m de large. C'est là qu'ils trimèrent, mangèrent, dormirent, déféquèrent et tentèrent de survivre avec une ration journalière de deux livres de biscuit, 4 onces de fèves et parfois un peu de vin.

Les deux meneurs de la croisade avaient le sentiment d'être déjà installés dans leur futur cercueil et perdirent foi dans leur mission sacrée. Pire même, ils se jurèrent si jamais le destin tournait en leur faveur de se venger des humains quel que soient leurs croyances et leurs origines. C'est alors que la roue de l'infortune cessa de les tourmenter.

Leur galère fut arraisonnée par un bateau pirate ayant eu vent qu'il y avait à bord un riche chargement alors qu'un abordage récent avait singulièrement diminué les effectifs. Les flibustiers allaient faire d'une pierre deux coups en faisant joli butin et belles emplettes de solides gaillards. L'assaut se passa aisément et les pirates proposèrent aux galériens encore en bon état physique qui le souhaitaient, de les suivre.

Nicolas et Étienne ne se firent pas prier. Ils voyaient dans ce signe du destin une nouvelle occasion de se lancer dans une toute autre croisade, celle-ci exclusivement à leur profit. Ils changèrent une dernière fois, c'est du moins ce qu'ils espéraient, de rôle. Bergers, pèlerins, croisés, galériens et désormais pirates, une belle promotion sociale à moins que ce ne fut un ascenseur pour l’échafaud. C'est ainsi que s'acheva du reste après bien des années de crimes et forfaits, de rapines et de débordements, la triste histoire de deux gamins de la terre qui pensaient trouver dans les voies maritimes leur salut.


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