La démocratie est imparfaite

par Orélien Péréol
mardi 2 janvier 2024

Nombre de discours, et nombre d’intellectuels (Étienne Chouard entre autres), racontent que nous ne sommes pas en démocratie en montrant des défauts, des manques de la démocratie. Leur pseudo-démonstration est fondée sur un principe non-dit selon lequel la « vraie » démocratie (c’est aussi une expression qu’ils emploient quelquefois) serait parfaite et que toute imperfection de la démocratie la détruirait entièrement. C’est un idéalisme intenable.

C’est aussi et surtout une déviation des lignes sur lesquelles les forces progressistes devraient s’unir et combattre pour améliorer le système, imparfait, forcément imparfait. Mal voir le problème à ce point conduit à pervertir les luttes nécessaires et utiles. À ce titre, c’est un discours conservateur.

Ces contempteurs qui nous disent que la démocratie est une supercherie valorisent la démocratie athénienne. Il y a là un argument dont la malhonnêteté ne doit pas être acceptée. La démocratie athénienne a été une ploutocratie : les propriétaires d'esclaves réglaient leurs affaires entre eux pendant que l'intendance leur était fournie gratuitement par des travailleurs sans droits ! Les femmes étaient exclues de cette prétendue démocratie, même les femmes riches qui auraient pu contribuer à cette ploutocratie ! Se référer à ce système esclavagiste est inadmissible. Y voir une perfection de la démocratie est incroyable.

Au lieu de voir les choses comme elles sont, les adeptes de la démocratie parfaite dissimulent la réalité de la démocratie athénienne. Les citoyens y siégeaient en permanence pendant que les esclaves labouraient, cultivaient, élevaient… pour que la nourriture arrive toute cuite dans l’assiette des citoyens dans des maisons luxueuses construites par des maçons commandés à la schlague… Ces citoyens en Assemblée générale permanente et continue, qui votaient tous ensembles des lois préparées par une poignée d’entre eux, représentent un idéal, qui, malheureusement, ne s’appliquaient pas à tous. Le malheureusement nomme un regret dans leur bouche, les Athéniens auraient pu aller plus loin, et ceux qui voient l’inégalité totale de cette pseudo-démocratie athénienne comme un regrettable défaut sous-entendent qu’ils vont le résoudre, qu’ils vont mettre le peuple de France en assemblée décisionnelle ininterrompue. Ce « récit » sous-jacent, induit, tacite est faux, est la fausseté de toute cette « démonstration ».

 

Chouard, par exemple, dit aussi que le peuple ne peut parler que par ses représentants. Le peuple, pour reprendre cette expression, a la liberté d'associations, de syndicats, c'est-à-dire la liberté de s'organiser dans les entreprises, de manifestations, de publications... Le peuple s'exprime sans cesse en dehors de l'expression de ses représentants, et de toute sorte de façon, sur toute sorte de support.

D'autre part, l'action desdits représentants est évaluée régulièrement à période fixe et s'ils ont démérité, ils sont révoqués, et d'autres sont élus. Le droit à la révocation en cours de mandat n’a aucune espèce d’intérêt, alors qu’il est donné comme une révolution qui redonnerait le pouvoir au peuple !

 

La démocratie n'est pas dans l’élection. C’est l’élément formel visible et qui sert de définition classiquement. C’est aussi, bien sûr, la définition des dénonciateurs de la « fausse » démocratie, pleine d’imperfections qui soi disant l’annihilent.

En niveau international, les pays sont classés selon soixante critères regroupés en cinq catégories, le premier étant l’organisation d’élections et le respect du pluralisme. Avec ces critères, on note les pays de 0 à 10 et on les classe. Sont considérés comme démocratiques les pays qui ont plus de 8. Selon les comptes et selon les années, 45% d’humains vivent dans des démocraties, de deux niveaux « à part entière » et « imparfaite ». La France est encore une démocratie « à part entière ».

La démocratie est structurellement dans le respect de l'opposition et des opposants, et pas seulement dans l’élection.

Le contraire, répression des porteurs de voix dissidentes, se développe dans le monde et des citoyens conscients devraient s’en inquiéter et mener les luttes pour le maintien ou le réhaussement du niveau de la démocratie dans le monde. Au lieu de rêver d’une démocratie directe des propriétaires du capital, en « temps réel » pour employer une expression connue, il vaudrait mieux s’occuper du réel tel qu’il est, tel qu’il se présente, défendre et perfectionner la démocratie telle qu’elle est.

L’écrivain russe Boris Akounine a été décrété « terroriste » par Moscou alors qu'il vit à Londres : il a pris position contre la guerre en Ukraine. Ses livres ont été retirés de la vente en Russie. Il en va de même des livres d’un autre écrivain, Dmitri Bykov. Voilà la pratique d’un pays dans lequel il y a des élections.

Toujours à Moscou, le rappeur Vacio est convoqué au tribunal et condamné dans la foulée à quinze jours de prison, accusé de faire de la « propagande des relations sexuelles non traditionnelles ». Il s’est rendu nu, une chaussette sur le sexe qui était ainsi protégé des regards, à une soirée organisée par une influenceuse, Anastasia Ivleeva, laquelle est aussi inquiétée. Slate qui relate l’affaire écrit que « la Russie s’enfonce dans le conservatisme ». Ce n’est pas le conservatisme, le problème, c’est la négation de la démocratie. Elle est battue, à mort. En sens inverse, la Palestine est tellement bas dans le classement des régimes politiques, qu’on peut se demander comment un peuple palestinien pourrait s’y exprimer.

Il faut bien reconnaitre que ces discours indigents qui prennent modèle sur une fausse démocratie athénienne des riches et des puissants ne payant pas leurs serviteurs… pour nous dire que nous ne sommes pas en démocratie font partie de l’autorisation démocratique à dire ce qu’on veut et n’importe quoi.

Nous devrions être résolument démocrates, radicalement démocrates pour parler plus près de la mode, et subséquemment, résolument, radicalement argumenter.


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