L’Islam est universel, l’extrême-droite néolibérale ne le sera pas

par Boogie_Five
lundi 27 novembre 2023

Sous les appels enragés et vengeurs d’esprits tourmentés, l’ultime guerre planétaire entre Islam et Occident n’est pas prête de se terminer. Les contrôles, les purges et les déportations des musulmans sont vivement encouragés au sein des pays atlantistes et libéraux. L’épuration ethnique au Proche et Moyen-Orient est devenu un acte certes regrettable mais acceptable voire nécessaire pour certains belligérants et leurs alliés.

Portée par ce contexte qu’elle a préparé elle-même en partie, l’extrême-droite est sur le point de conquérir l’hégémonie mondiale à la suite des néoconservateurs libéraux (de droite et de gauche) qui avaient pourtant déjà cautionné l’invasion américaine de l’Irak en 2003 et la grande guerre au terrorisme islamiste lancée depuis 2001. Loin d’être aussi surprenante qu’elle puisse paraître, l’expansion mondiale du néofascisme et de la droite radicalisée s’inscrit dans la parfaite continuité de l’hégémonie néolibérale sous leadership états-unien qui s’était imposée à la fin de la Guerre froide.

Prenant l’aspect d’une véritable quatrième guerre mondiale, structurée autour d’un axe du mal, la lutte contre la nébuleuse jihadiste globalisée a faussé puis dévitalisé les règles du droit international, en autorisant des régimes d’exceptions qui ont étendu à des populations civiles entières ce qui était à l’origine prévu pour cibler des organisations armées et criminelles infra-étatiques. Ainsi, l’élimination d’un cercle restreint d’un millier de djihadistes, qui a très peu d’assise populaire, peut tout à fait justifier l’enfermement ou l’élimination de millions d’individus au prétexte qu’ils en partageraient la cause. Et cela ne se passe pas seulement en Palestine, ce sont les mêmes justifications qui ont servi pour enfermer le peuple Ouïgour ou la répression de minorités musulmanes dans différents pays.

Cette confusion est tout simplement possible parce que l’amalgame est complet entre terrorisme islamiste et religion musulmane. À préciser quand même que l’islamisme n’est pas forcément terroriste, il peut juste être prosélyte et avoir pignon sur rue sans forcer la conversion avec une kalachnikov ou une machette, comme le font les témoins de Jéhovah et les évangélistes qui agitent leurs bibles dans les lieux touristiques. Passé cette parenthèse, l’évidence qui s’est imposée est que l’Islam est associé la barbarie, la violence et au dogmatisme et présenterait donc une antithèse parfaite au régime libéral post-chrétien, qui aurait réussit à s’affranchir de la religion en vue de défendre des droits de l’homme universels.

Cet argument massue, qui s’appuie sur l’histoire des révolutions libérales, peut fonctionner aussi bien dans nombre de pays où la religion musulmane est majoritaire. Les islamistes ont été durement réprimés par des régimes autoritaires en Algérie et en Égypte, en Turquie auparavant… Cette tenaille qui conditionne la démocratie libérale à la répression de l’Islam n’est pas facile à démonter parce qu’elle met en jeu une autre question qui n’est pas liée à la civilisation ou la pure religion, mais sur la forme politique toujours en construction que devrait avoir cette universalité de droits qui est invoquée à chaque fois comme antithèse à l’islamisme, et donc à la religion dans son ensemble qui serait exclusive et hermétique à toute interprétation laïque et profane. De manière très subtile mais fallacieuse et souvent motivé par un racisme bien enraciné, le rejet de l’islam comme prétendant à l’universalité permet en retour de le dénigrer en tant que mouvement sectaire et radicalisé à abattre dans son ensemble, là où les religions juive, catholique ou protestante auraient connu bien plus d’indulgence et même de coopération en vue de contribuer à un projet universel commun.

Pourquoi accréditer seulement les thèses les plus fondamentalistes des adversaires quand il s’agirait justement d’ouvrir et de sortir cette religion d’un carcan identitaire ?

L’assignation par le pouvoir de l’Islam à une identité ethno-raciale bien délimitée dans la société, et pas seulement dans l’espace public, trahit un racisme à peine voilé qui dénigre sans arrêt toute une culture et des populations entières, en les catégorisant sous le prisme d’un sectarisme barbare rétif au progrès et dépourvu d’humanité. Finalement l’intégrisme arrange bien ceux qui voudraient l’éradiquer au nom d’un autre universalisme qui n’est pas aussi représentatif que le prétendent ses défenseurs néo-républicains et autres. Cette imposture, qui consiste à se focaliser sur les extrêmes afin de justifier l’exclusion totale d’une minorité, trahit aussi un excès de confiance : malgré toutes les répressions et guerres civiles inimaginables livrées contre elle, aucune religion ou culture, a fortiori d’échelle universelle, ne saurait être réduite à la cage de fer qui a été spécialement conçue pour elle.

L’hubris du néolibéralisme radicalisé et attelé au néofascisme, qui influence de la gauche de gouvernement à l’extrême-droite traditionnelle et réactionnaire, tire originairement sa cohérence et sa force de la chute du communisme. En plein acmé avec la dérégulation totale du capital mondialisé mis en œuvre depuis des décennies, ses partisans se targuent d’être les défenseurs et les représentants d’un « Occident » qui serait la seule entité capable d’universalité et de garantie pour les droits de l’homme. Sans revenir sur ce concept problématique « d’Occident » employé à tort et à travers (voir mes précédents articles), qui nous dit que cette droite radicale en serait vraiment la meilleure héritière et représentante bien qu’elle s’en enorgueillisse ? Après tout, quel changement significatif a t-elle apporté en arrivant au pouvoir au États-unis, au Brésil, en Italie, en Hongrie et ailleurs ? L’Occident était-il mieux défendu et a-t-il gagné en influence ? Ne serait-ce pas plutôt le contraire ? Et n’évoquons même pas les piteuses années 1930 où les mouvements nationalistes réactionnaires ont conduit à la destruction de l’Europe et ont précité la décolonisation, ce qui était sûrement le summum de la sauvegarde des valeurs civilisées « occidentales »...

D’autre part, est-il vraiment mesuré de mettre sur le même plan un universalisme disons « d’Occident libéral » qui s’est certes étendu extraordinairement à partir du XIXème siècle, face à une religion universelle plus que millénaire, qui a légitimé la fondation d’une multitude de pays et d’institutions sur plusieurs continents, de l’Asie du sud-est à la Bosnie en passant par le Tatarstan et le Niger ? Compare t-on vraiment le même type d’ensemble ? Le concept de civilisation ne serait-il pas trop grossier pour caractériser de telles étendues composées d’éléments aussi différents ? Tout au plus, une civilisation se pourrait se référer à une culture régionale, c’est-à-dire à un ensemble de pays proches qui ont des pratiques similaires et des correspondances linguistiques comme le Maghreb, l’Europe du nord avec la Scandinavie, l’ensemble malayo-polynésien, etc. Alors que dans le cas de l’Occident et de l’Islam, ces ensembles renvoient plus à la construction de grands systèmes d’échanges qu’au partage de sources culturelles communes.

Dans le fond, et chacun le sait, ce n’est pas l’Occident qui est opposé à l’Islam, mais un christianisme hypocrite et mal assumé. Ainsi, la droite libérale réactionnaire post-chrétienne, contestée de toutes parts aussi bien dans le monde qu’au sein des pays centraux du capitalisme, serait en manque d’universalité, et dispose d’un adversaire d’importance dont la soumission et la défaite lui assurerait une gloire mondiale et éternelle : l’Islam.

Huntington, auteur du choc des civilisations, savait très bien que s’il avait mis « bloc chrétien » au lieu « d’Occident », toute sa théorie s’effondrait parce que le christianisme est justement divisé lui-même en trois blocs : Amérique latine, Occident, et bloc Orthodoxe avec la Russie. Mais pour l’Islam, il a maintenu une unité géopolitique fictive en faisant croire que la Malaisie va dans le même sens que la Turquie, qui est d’ailleurs dans l’OTAN, organe stratégique suprême de l’Occident. La vision simpliste qui ressort de ce « choc des civilisations », même coulée dans une théorisation poussée des relations internationales, n’en reste pas moins fausse. Elle aurait pu être pertinente avec d’autres critères, en les affinant avec la cartographie des langues notamment, ainsi que celle des ressources, puis en mettant en second plan la religion justement.

Au-delà du concept de civilisation qui réduit trop la grille d’analyse, ce qu’il faut comprendre est que le fondamentalisme islamiste est redoutable parce qu’il exploite judicieusement le patrimoine universel de leur religion, qui ne relève justement pas d’un enjeu culturel en particulier, et encore moins d’une alliance locale entre l’islamisme et une gauche anticapitaliste de banlieue. Car dire que les islamistes ont nécessairement besoin de la gauche populaire, c’est encore une forme de condescendance mal placée qui associe pauvreté, immigration, délinquance, barbarie, sectarisme de seconde zone et de banlieusard, qui dénigre en dernière instance l’universalité en tant que telle de la religion musulmane. Or cette analyse en grande partie biaisée (on trouvera toujours un ou deux islamo-gauchistes ici ou là) conforte plus qu’elle n’affaiblit la stratégie des islamistes fondamentalistes qui veulent tout simplement privatiser leur religion, comme s’ils pouvaient en être les seuls propriétaires. Le nœud du problème ne se trouve pas dans les quartiers populaires mais relève d’une échelle beaucoup plus large : comment l’humanité et la communauté internationale pourraient partager avec les fidèles tout ce patrimoine universel (immatériel et matériel) tout en respectant les croyances de chacun et en tournant définitivement la longue période coloniale où la religion musulmane était relativement affaiblie et franchement ridiculisée.

Les différents pays où les musulmans sont minoritaires ne doivent pas chercher à assimiler ces fidèles en eux-mêmes, mais leurs histoires et leurs cultures, que les uns et les autres peuvent partager en reconnaissant un patrimoine commun qui est universel et dépasse les questions identitaires qui finissent par détruire ce que les réactionnaires de tous bords prétendent justement défendre.

 

Seulement, l’heure n’est plus vraiment à la joie de découvrir d’autres cultures et les gouvernements ont succombé à la peur que les extrémistes ont réussi à instaurer. Dilemme tragique et sans issue que cette guerre mondiale envers une religion universelle, qui fait partie du patrimoine mondial de l’humanité et n’est pas seulement le rassemblement de fidèles autour d’un culte en particulier. Comme d’innombrables exemples ont pu le démontrer ces dernières décennies au Proche et Moyen-Orient, une telle guerre est toujours vouée à l’échec et ne peut que déboucher sur toujours plus de désolation et de terrorisme.


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