Un détour théorique sur les conditions de l’impérialisme aujourd’hui

par Robert GIL
mercredi 14 février 2024

Nous sommes confrontés à des événéments qui nous apparaissent morcelés et dont nous ne percevons pas les liens, ainsi les faits d’actualité sautent d’un événement à l’autre. Nos propres combats nous apparaissent dispersés, sont opposés en particulier les événements internationaux bien regrettables certes mais sur lesquels nous n’avons pas de prise et la lutte pied à pied contre les atteintes à notre emploi, notre pouvoir d’achat. Est-ce qu’il existe une relation entre la manière dont les puissances impérialistes, au premier rang desquelles les Etats-Unis tentent d’imposer la balkanisation du monde ,et notre pouvoir d’achat ? Difficile à percevoir si l’on a pas conscience de ce qu’est l’impérialisme à son stade actuel. Voici donc quelques pistes théoriques pour permettre de rassembler des moments épars de notre perception du monde et de l’actualité.

Danielle Bleitrach

 

 I - Qu’est-ce que l’impérialisme ?

 Le partage du monde engagé de longue date se développe avec une violence particulière dans l’affrontement des grandes puissances industrielles jusqu’à engendrer ce qu’on a appellé les guerres mondiales. Avec l’émergence au XXe siècle de l’Union Soviétique il y a eu non pas arrêt des guerres mondiales mais déplacement de l’affrontement sur les périphéries, course aux armements jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique (qui consacrait les 10 dernières années jusqu’à 40% de son PIB à cette course aus armements). L’imposition dans les années 1970 du dollar comme monnaie internationale à la place de l’or a été également un puissant facteur de victoire de l’impérialisme (1). Cependant course aux armements et dollar sont également les bases de l’aggravation de la crise du système.

C’est Lénine qui le premier définit le concept d’impérialisme : une étape particulière du capitalisme dans laquelle s’imbriquent cinq dimensions : 1) les monopoles ou la concentration de la production et du capital. 2) la fusion du capital bancaire et du capital industriel ce qu’on nomme le capital financier 3)L’exportation des capitaux 4) le partage du monde entre unions internationales monopolistes, ce que l’on appelle les multinationales 5) le partage achevé du monde entre grandes puissances.(2)

On retrouve entre Etat-nations des relations d’exploitation et de domination, il y a les Etats-impériaux qui jettent leur dévolu sur un territoire et ses ressources. C’est un rapport d’asservissement qui a de multiples dimensions : économique, politiques, culturel et militaire.

 

II - Relations entre exploitation et impérialisme

Ce phénomène est donc venu pour les théoriciens marxistes compléter celui que Marx a mis en évidence : l’exploitation. Cela dit la nature de la relation entre le capital et le travail dans la production et celle du pays dominant sur un territoire reste souvent analogique. On peut dire sans se tromper que le capital du pays dominant est le principal bénéficiaire du système et que les classes exploitées des pays dominés en sont les ultimes victimes. Mais est-ce qu’on peut considérer que les classes ouvrières des pays exploiteurs ont bénéficié de l’impérialisme ou que le capital local souffre de la domination ? Comment peut s’actualiser le fameux « prolétaires de tous les pays ? » Il ne s’agit pas d’une question dépassée mais bien d’un problème central de l’altermondialisme auquel il faut de surcroît donner la dimension nouvelle d’une planète dont les ressources ne seraient pas infinies.

Enfin il nous faut encore éclairer le nouveau stade impérialiste, celui que l’on désigne sous le terme de mondialisation néolibérale. La mondialisation est un phénomène co-substantiel du capitalisme, marx le décrit dans le Manifeste. Le néo-libéralisme est actuel, c’est un nouvel ordre social et organisationnel au profit d’une classe capitaliste trés concentrée dont les institutions financières sont les agents du pouvoir et de la domination. Le néo-libéralisme qui est souvent montré comme un processus sauvage de déreglementation est en fait une discipline au sens où l’on a pu parler de « discipline d’usine » qui a été imposée aux travailleurs comme aux managers au plan national comme au plan international.

Il s’agissait en profitant de l’effondrement de l’URSS et de l’alternative socialiste de transformer en profondeur les « disciplines » de travail comme de gestion, cela concerne les conditions de travail avec la pression sur le temps mais aussi les formes d’individualisation, l’isolement, cela concerne les conditions d’emploi avec la précarité, de licenciement, de rémunération et de protections sociales.

Mais il faut également voir qu’à ces modifications en matière d’exploitation du travail correspondent des modifications du droit des nations sur leurs ressources, une pression constantes des multinationales pour imposer l’ouverture des frontières commerciales et financières, pour substituer à la souveraineté des nations un autre droit celui de la propriété des investisseurs, des multinationales , celui des créanciers de la dette et donc les sociétés transnationales se substituant aux Etats-nations. 

Donc on mesure bien que l’exploitation capitaliste et l’impérialisme ne sont pas indépendants, hier comme aujourd’hui et que l’exploitation des travailleurs au sein des pays dominés va de pair avec l’impérialisme, même s’il s’agit de phénomènes complexes. Un thème comme celui du pouvoir d’achat nous en fournit un autre exemple.

Les multinationales obtiennent l’ouverture des frontières pour les marchandises comme pour les investissements financiers et cela a deux résultats : un, la mise en concurrence du travail à l’échelle mondiale et deux l’importation des biens de consommation à bas prix. Si l’on connaît un peu l’analyse de Marx sur la plus value on mesure bien que la mise en concurrence va permettre de renforcer l’exploitation du salariat des pays développés, non seulement en limitant les salaires, en augmentant le temps de travail, mais en lui imposant de nouvelles « disciplines » en matière de précarité, de conditions de travail et de protection sociales. En ce qui concerne le bas coût des importations nous avons un phénomène de plus value relative, la force de travail revient moins cher, mais la dite force de travail des pays capitalistes en bénéficie peu grâce au premier mécanisme et ce sont essentiellement les capitalistes qui en retirent les bénéfices. La stagnation du pouvoir d’achat malgré l’afflux de produits importés moins cher grâce à la menace concurrentielle fait partie du système.

Et il faut bien mesurer que le système a préféré engendrer de l’endettement des salariés comme des pays sous développés plutôt que de payer salaires ou matières premières à leur juste valeur.

 

III - l’hégémonie étasunienne

La plupart des observateurs notent que si le capital n’a pas de patrie, il a d’abord un bras armé les etats-Unis dont les dépenses militaires sont l’équivalent du reste du monde réuni mais aussi que les Etasuniens concentrent 40% de la richesse mondiale (sans parler de ce qui est caché dans les paradis fiscaux) et ils les investissent avec de gros retours sur investissements (grâce au financier qui assure des profits sans commune mesure avec le profit réel de la production, ainsi obtenir par le financier du 20% alors qu’aucune économie réelle n’assure de tels profits).

Mais ce qu’il faut mesurer et qui est à l’origine de la crise financière actuelle est que tout cela ne repose que sur la manière dont les etats-Unis n’ont cessé d’activer la planche à billet. La croissance du déficit extérieur commercial des etats-Unis lié aux phénomènes analysés préceddement s’accompagne d’une ré-organisation des flux financiers destinés à financer l’économie des Etats-Unis.

Résultat, le monde détient actuellement sur les Etats-Unis le double de créance que ce pays détient sur le reste du monde. les principaux créanciers étant le japon et la Chine. Les etats-Unis ont jusqu’ici réussi à maintenir un système qui leur est favorable : il font payer le double les intérêts de leurs créances de ce qu’ils payent aux pays dont ils sont les créanciers.

Pour que le système fonctionne, il faut organiser en effet un investissement systématique des classes capitalistes étrangères dans les etats-Unis, ce qui a bien marché avec les petro-dollars grâce aux saoudiens. Mais c’est l’Europe qui est le premier financeurs à cause de sa taille, mais l’Amérique latine et le Moyen orient ne sont pas mal placés non plus, alors que la Chine qui détient une grosse masse de bons du trésors investit moins.

Quand on a compris cela on voit un peu différemment les relations internationales et avant de beugler aux droits de l’homme violés on s’interroge sur ce qui est exactement recherché par le patriotisme du capital.

Danielle bleitrach

(1) nous préparons pour demain un texte du général DeGaulle qui à cette époque là dénonçait cette hégémonie du dollar et ses conséquences ;

(2) Lénine, impérialisme, stade suprême du capitalisme.

https://socio13.wordpress.com/2008/03/24/un-detour-theorique-sur-les-conditions-de-limperialisme-aujourdhui/

 


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