Zéro covid ?

par Sylvain Rakotoarison
jeudi 27 juillet 2023

« La rhétorique de crise se développe en une progression argumentative pseudo-dialectique qui tend à narrativiser l’argumentation, à partir d’une modalité faussement interrogative ou, inversement, d’une rhétorique de l’évidence. Se demander si la crise est là (ou partir de l’évidence qu’elle est là) implique une posture prescriptive, une proposition de solutions économiques, politiques permettant d’éviter la catastrophe ou, à l’inverse, une déploration emphatique et catastrophiste. » (Yoan Vérilhac, maître de conférences de langue et littérature françaises à Nîmes, le 23 avril 2023).

Un événement est passé un peu inaperçu en France le samedi 22 juillet 2023 : pour la première fois depuis janvier 2020, il n'y aurait plus aucune personne en France qui serait atteinte du covid-19. Le conditionnel s'impose en effet car c'est probablement faux, mais les statistiques de l'OMS annoncent qu'il n'y a plus de cas actif de covid-19 en France depuis le 22 juillet 2023. En fait, bien sûr que si, qu'il y en a encore, mais depuis le 30 juin 2023, Santé Public France, à ma connaissance, ne communique plus aucune statistique concernant l'épidémie de covid-19.

Ainsi, après plusieurs semaines d'absence théorique de nouveaux cas, c'est logique de ne plus avoir de cas actif. La France n'est pas le seul pays à ne plus communiquer ses statistiques. L'Allemagne avait arrêté quelques semaines avant la France.

Concrètement, depuis environ mai 2022 en France, l'épidémie de covid-19 a perdu de sa vigueur. J'ai connu des personnes contaminées encore au milieu de juin 2023, mais depuis un an un quart, environ, quelques vagues ont eu lieu, certes, mais c'étaient plutôt des vaguelettes. Au 1er juillet 2023, en France, il devait y avoir environ entre 500 et 1 000 nouveaux cas par jour (et ça a dû encore baisser par la suite), et environ 10 décès par jour. C'est beaucoup, hélas, mais cela correspond, sur une année, au nombre de décès "habituel" pour la grippe, par exemple, dont on ne se préoccupait pas vraiment avant 2020 (et dont on devrait un peu plus se préoccuper maintenant, enfin, je l'espère).

Dans le monde, la situation est moins bonne qu'en France. En tout, parmi les cas et décès recensés (donc non compris la France, l'Allemagne, et tous les pays désormais muets), il y a eu encore près de 310 000 nouveaux cas ces sept derniers jours (en baisse de 6%), principalement la Corée du Sud (230 000), puis les États-Unis (21 000), le Brésil (12 000), la Nouvelle-Zélande (3 000), la Russie (3 000), l'Australie (3 000), la Bolivie (3 000), etc. mais comme on le voit, à part la Corée du Sud, ce n'est qu'une "fin de courbe" Pour le deuxième pays le plus atteint dans le recensement, il n'y a que 3 000 nouveaux cas par jour (21 000 pour sept jours), en chute de 53%, et il faut le rapporter à la population, l'équivalent de 600 nouveaux cas en France, ce qui doit être à peu près le cas aussi en France (comme je l'ai écrit plus haut).

Pour les décès, 576 décès ont été recensés par l'OMS dans le monde sur les sept derniers jours, soit moins d'une centaine par jour partout, ce qui, du point de vue absolu, est toujours trop, mais qui reste très faible par rapport à ce qu'on a vécu depuis trois ans. On peut dire clairement que la pandémie de covid-19 est terminée (l'OMS l'a officiellement déclaré il y a quelques semaines, lire plus bas), même si cela ne signifie pas que le covid-19 ne tuera plus. Au contraire, comme la grippe, il faudra vivre avec, mais on sait comment s'en prémunir, ou du moins, comment réduire le développement de la forme sévère du covid-19. Je n'insiste pas, mais la vaccination contre le covid-19 a donc encore un sens.

En France depuis mai 2022, il y a eu deux effets : la réalité de l'épidémie qui a effectivement diminué, mais est restée encore bien prégnante jusqu'au printemps 2023 (qui n'a pas connu, dans son entourage ou lui-même, de personnes atteintes du covid-19 au premier semestre 2023 ?), mais aussi la campagne présidentielle qui a entraîné une forte motivation du gouvernement à ne pas trop communiquer sur le sujet pour ne pas "emmerder" les Français avec le covid-19 tandis que bien d'autres sujets anxiogènes étaient apparus entre-temps (la guerre et ses massacres sur le continent européen, le prix de l'énergie, les risques de pénurie d'énergie pendant l'hiver, l'inflation en général, etc.).

De fait, la plupart des Français ont repris leurs comportements d'avant-covid, en particulier, dans leur manière de saluer (on refait la bise à ses collègues femmes, par exemple), et c'est tant mieux (rappelons-nous à quel point on pouvait croire que les modes de vie seraient irréversiblement changés). En ce qui me concerne, j'ai vite enlevé le masque lors de réunions professionnelles ou autres, car le masque empêche véritablement le dialogue et la prise de parole.

En revanche, depuis mai 2022, je m'étais encore restreint à deux contraintes, celle de porter le masque dans tous les lieux médicaux ou paramédicaux (hôpitaux, cabinets médicaux, pharmacies, laboratoires d'analyse), et aussi celle de porter le masque dans les lieux où il y a une très grande fréquentation de personnes hétérogènes (métro, RER, gare, aéroport, hypermarchés et grands magasins, grands concerts, etc.).

En mai 2023, j'ai retiré le masque même pour les hypermarchés parce qu'à moins de 5 000 nouveaux cas par jour (soit 50 nouveaux cas par jour et par département en moyenne), le risque d'être contaminé et de contaminer les autres devenait très faible, mais je l'avais encore gardé pour les lieux médicaux, notamment parce qu'ils le demandaient. Et puis la semaine dernière, en accompagnant une personne à l'hôpital, j'avais mis le masque la première minute en entrant, et puis je l'ai retiré, parce que plus personne ne l'avait mis (ce qui, paradoxalement, aurait dû m'inciter au contraire à la garder !), et même dans ces lieux où le covid-19 peut devenir un risque de maladie nosocomiale très grave, il est considéré comme fort peu probable. Je sais que certains ont enlevé le masque dans tous les lieux publics depuis plus d'un an (je sais observer et dans les hypermarchés, cela fait bien longtemps qu'il n'y a quasiment plus de masque porté et plus de gel hydroalcoolique), mais j'ai senti que cette volonté d'en finir (que le covid-19 n'est plus un problème) a été un peu anticipé par mes contemporains.



Officiellement, le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, a déclaré le vendredi 5 mai 2023 à Genève « la fin du covid-19 en tant qu'urgence de santé publique de portée internationale, soulignant que cela ne signifie pas que la maladie n'est plus une menace mondiale ». L'urgence avait été proclamée le 30 janvier 2020. Il a donné ces statistiques : depuis le début de la pandémie, il y a eu 765 222 932 cas de covid-19 confirmés ayant entraîné exactement 6 921 614 décès (au 3 mai 2023). Et au 30 avril 2023, 13 440 670 055 doses de vaccin ont été administrées, ce qui a abouti à 5 106 051 703 personnes entièrement vaccinées (sur les 8 milliards que compte la planète) et 5 548 001 227 personnes vaccinées avec au moins une dose.

Dans cette conférence de presse d'il y a deux mois et demi, le chef de l'OMS a déclaré : « La semaine dernière, la covid-19 a coûté la vie d’une personne toutes les trois minutes, et ce ne sont que les décès que nous connaissons. (…) [Le virus] tue toujours et il continue de changer. Le risque demeure que de nouveaux variants émergent qui provoquent de nouvelles poussées de cas et de décès. ». Sans oublier que pendant qu'il parlait, des milliers de personnes luttaient pour survivre en soins intensifs, et des millions de personnes continueraient à avoir des séquelles très handicapantes avec un covid long. Il a néanmoins confirmé que depuis un an, la tendance est à la baisse : « Cette tendance a permis à la plupart des pays de revenir à la vie telle que nous la connaissions avant la covid-19. ».





Tedros Adhanom Ghebreyesus a aussi voulu faire un premier bilan de cette pandémie qui « a érodé la confiance entre les personnes, les gouvernements et les institutions, alimentée par un torrent de mésinformation et de désinformation », engendrant d'énormes bouleversements économiques « effaçant des milliards de dollars du PIB, perturbant les voyages et le commerce, fermant des entreprises et plongeant des millions de personnes dans la pauvreté ». Il a conclu ainsi, après avoir évoqué les erreurs de gestion de crise, notamment un manque de coordination, d'équité et de solidarité : « Nous devons nous promettre, ainsi qu'à nos enfants et petits-enfants, que nous ne ferons plus jamais ces erreurs (…). Cette expérience doit tous nous changer pour le mieux. ».

L'épidémie aura duré environ trois ans (finalement, elle se termine en Asie, là où on pensait que les habitants étaient les mieux protégés) et aura coûté très cher à l'humanité dans son ensemble. L'OMS a donc communiqué à ce jour plus de 6,9 millions de décès, mais ce ne sont que les cas recensés et l'estimation de la réalité serait plus proche de 15 millions de décès. Il y a eu pire, mais ce n'est pas négligeable non plus et cela en prenant en compte tout ce qui a permis de réduire le phénomène par les gestes barrières et la vaccination.

En France, 167 642 décès ont été à déplorer à la fin du mois de juin 2023 pour l'ensemble de la période pandémique. C'est énorme mais inférieur à la plupart des pays comparables en population et en mode de vie comme l'Italie et le Royaume-Uni. Même l'Allemagne a dépassé la France au début de cette année (exactement le 10 janvier 2023) et compte depuis un mois près de 7 000 décès supplémentaires (en revanche, la situation de l'Allemagne est meilleure si on prend à population constante).



Toutes les mesures sanitaires des gestes barrières, comme cela avait été précisé dès le début de la pandémie en France, dès février 2020, plus encore lors du confinement de mars 2020, n'ont pas empêché la contamination d'une grande proportion de la population, mais a servi à la retarder, ce qui a permis d'éviter tant bien que mal la saturation du système de santé (en particulier les services de réanimation). Le fait que l'épidémie reste encore très active dans les pays asiatiques montrent que personne ni aucun pays n'y aura échappé (même les plus isolés économiquement ou politiquement), même ceux qui s'étaient beaucoup protégés.

L'épidémie a été sévère parce qu'elle n'a pas disparu au bout de deux ou trois vagues. Il y en a eu une dizaine, les dernières de très faible intensité, mais si elles ont été aussi nombreuses, c'est que le caractère global de la pandémie a renforcé l'accélération des mutations du virus, et l'arrivée systématique d'un nouveau variant à chaque nouvelle vague n'a pas contribué à la faire disparaître au début, jusqu'à ce que le variant soit de moindre létalité et de très forte contamination (omicron, en fin 2021 et début 2022 en France). Sur le plan scientifique, la période a été paradoxalement intéressante car on a pu observer en temps réel le principe de l'Évolution en accéléré.

Que ce soit en France ou dans le monde, la forte contamination a aussi contribué à stopper l'épidémie : en France, pour 67 millions d'habitants, plus de 40 millions de cas ont été déclarés (détectés et communiqués, ce qui ne correspond pas au nombre exhaustif ; en revanche, de nombreuses personnes ont eu le covid-19 plusieurs fois en trois ans), cela donne une population qui a eu une double immunité collective à la fois par le virus et par le vaccin (qui, insistons, n'a pas pour effet d'empêcher la contamination, seulement de la freiner, et surtout, il a pour effet d'éviter les formes sévères, celles qui entraînent hospitalisation et parfois décès).

La bonne nouvelle de la fin de l'épidémie de covid-19 (qui ne date donc pas d'hier) est, comme toutes les fins de crise, passée inaperçue. Qui a eu conscience de la fin de la crise de l'inflation des années 1970 et 1980 ? Personne, parce qu'il y avait le chômage qui s'était enflammé pendant que l'inflation s'était calmée. En fait, une crise chasse l'autre et si le covid-19 avait particulièrement pourri nos vies pendant deux ans, nous avons peu profité, du moins psychologiquement, de l'arrivée des "jours heureux", selon l'expression du Président Emmanuel Macron qui appelait ainsi la fin de l'épidémie, parce que les jours ne sont justement pas heureux, il y a trop d'inquiétudes, de soucis, de crises par ailleurs pour pouvoir revenir dans l'insouciance (même si, convenons-en, la plupart des gens n'étaient plus dans l'insouciance depuis une bonne quarantaine d'années !).

Beaucoup ont critiqué la gestion de la crise sanitaire, mais les faits sont là et ont montré que la France s'est plutôt bien "débrouillée" même si cela aurait pu être mieux, bien sûr (manque de masque, de respirateurs artificiels, de tests PCR, etc. à la première vague). Il manque encore, et j'espère qu'elle est en cours, une étude détaillée pour faire le bilan exhaustif et objectif de cette gestion de crise, avec des comparaisons avec les autres grands pays, dire ce qui a été négatif (le démarrage de tout) et dire aussi ce qui a été positif (la très bonne couverture vaccinale, par exemple), sans arrière-pensées politiciennes qui n'apporteraient rien, car jusqu'à maintenant, soit c'était "rien à signaler, tout est bien madame la marquise" (et on sait que ce n'est pas le cas), soit le désastre complet pour charger au maximum Emmanuel Macron par une haine qui, fort heureusement, n'a pas su compenser ses voix aux élections (il a été réélu et sa majorité parlementaire aussi, même si elle est relative).

La vérité est entre les deux, et c'est important d'analyser objectivement ce qui s'est passé (ou pas passé) pour préparer les pandémies futures, car malheureusement, il n'y a aucune raison qu'un autre virus ne fasse pas une apparition plus tard. Le monde en est d'autant plus sensible qu'il est ouvert, globalisé ; il n'y a jamais eu autant de circulation de personnes et de biens matériels qu'à notre époque.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (26 juillet 2023)
http://www.rakotoarison.eu


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