L’éducation sexuelle à l’école en Belgique francophone

par Paul Jael
lundi 18 septembre 2023

Le sud du pays a connu des remous mais également des événements graves causés par une polémique au sujet de l’éducation sexuelle à l’école.

Reprenons le fil des événements. Cinq lettres déchaînent les passions : EVRAS : éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle.

De quoi s’agit-il ? Pour le comprendre, voyons les explications du site de la RTBF :

Dès la rentrée, les écoles seront obligées de mener des cours d’Evras (Education d’animation à la vie relationnelle affective et sexuelle) en sixième primaire et en quatrième secondaire. (NDLR : le système scolaire belge, différent de ce qui existe en France, se compose de 6 années primaires suivies de 6 années secondaires).

En 2012, un décret prévoyait déjà cette obligation pour l’ensemble du parcours scolaire. Mais dans les faits, la situation est très disparate et les modalités sont laissées à l’appréciation de chaque école. Certaines mettent en place des activités chaque année quand d’autres en organisent une seule année ou même jamais.

Cette fois, avec cette nouvelle obligation, l’idée du politique est de faire en sorte que chaque élève ait eu au moins deux fois au cours de sa scolarité, en sixième primaire et en quatrième secondaire, un accès à ces animations.

Ces années n’ont évidemment pas été choisies au hasard. En sixième primaire, les élèves entrent dans la puberté. En quatrième secondaire, ils se rapprochent de l’âge moyen des premiers rapports sexuels.

L’Evras ne se limite pour autant pas uniquement aux premiers rapports sexuels. En sixième primaire, les cours sont axés sur "les stéréotypes de genre, le consentement, la puberté, l’adolescence, les réseaux sociaux".

Tandis qu’en quatrième secondaire, les animations évoquent les relations sexuelles et amoureuses, la virginité, le consentement, mais aussi toute la question du dilemme culture/religion et vie privée/intimité.

La priorité est donnée aux jeunes. C’est sur base de leurs questionnements que les activités s’articulent.

Précisons qu’il ne s’agit pas d’un cours inscrit à l’horaire mais d’une animation de deux heures en one shot (ou plutôt « two shots » puisque deux années sont concernées).

Peu de temps après l’annonce, quatre écoles étaient incendiées et/ou vandalisées de nuit à Charleroi avec des slogans anti-Evras tagués. Puis deux encore ailleurs. Des manifestations ont également eu lieu et des communiqués offensés furent publiés. Comme toujours, les réseaux sociaux servent d’autoroutes à outrances et contre-vérités. Se colportent des « informations » les plus folles sur l’Evras qui apprendrait la masturbation, mettrait les enfants en contact avec la pornographie, les inciterait à changer de sexe…

Je n’insisterai pas sur les actes de vandalisme et d’incendie. Toute personne sensée se rend compte du caractère monstrueux de s’en prendre ainsi à des écoles. Les fake news ne sont pas plus dignes d’intérêt. Je ne ferai pas l’injure aux gens qui les colportent de les croire assez bêtes pour qu’ils pensent ce qu’ils disent ; ou plutôt, comme toujours, on s’oblige à croire ce qu’on pense avoir intérêt à faire croire qu’on croit.

Le fond du problème est plus intéressant. Le communiqué d’une association militant contre l’EVRAS aider à le situer :

« Cette décision nous semble aller à l’encontre des valeurs universelles et inviolables du cadre de l’éducation familiale et aux intérêts des élèves ainsi que de leurs familles ».

« Nous resterons vigilants et continuerons à défendre le droit des familles à choisir l’éducation qui convient le mieux à leurs enfants, tout en garantissant une communication ouverte et respectueuse sur ce sujet délicat »

Mon opinion est au contraire qu’il est du devoir de l’Etat de veiller à ce que tous les enfants reçoivent une instruction suffisamment large, diversifiée et ouverte. Certains objecteront qu’il y a là un danger de manipulation étatique. Ce serait vrai dans une dictature, mais il est légitime d’espérer qu’en démocratie, l’Etat favorise un enseignement pluraliste.

L’intérêt de l’enfant, c’est de suivre un enseignement qui éveille son esprit, qui le fait accéder à l’autonomie intellectuelle, qui l’informe sur une large palette de problème en l’instruisant des diverses opinions existant sur ces questions. Il serait naïf de penser que tous les parents souhaitent une telle éducation à leurs enfants. Beaucoup de parents espèrent que leurs enfants deviendront des adultes qui leur ressemblent, ce qui est une manière de nier leur autonomie personnelle. Les parents pétris de préjugés, à l’esprit fermé ne souhaitent certainement pas l’ouverture d’esprit de leurs enfants. Il en résulte alors une certaine méfiance envers l’école, perçue comme un concurrent éducatif.

Par ailleurs, alors qu’elle est la chose la plus naturelle qui soit, la sexualité pose problème à beaucoup de gens, en réalité à tout le monde ; cela fait partie de la nature humaine. Le problème est plus ou moins aigu selon l’éducation qu’on a reçue Et la sexualité se ramifie vers les questions de genre, la phallocratie, le patriarcat, la structure familiale… On comprend que l’affaire est délicate. Ouvrir l’esprit est d’autant plus nécessaire.

La question de l’Evras est une fenêtre ouverte sur une problématique plus générale, elle-même plus que séculaire. Le constitution belge (et sans doute quelques autres) prévoit ce qu’elle appelle la « liberté d’enseignement ». Mais il s’agit d’une liberté pour les adultes : liberté pour qui le souhaite de fonder un réseau d’enseignement, liberté pour les parents de choisir parmi les réseaux existants. Les enfants sont les grands oubliés, plus précisément leur droit à être instruits de façon ouverte. L’enseignement serait-il conçu au service des adultes plutôt qu’à celui des enfants ?

L’horizon de la question peut encore être élargi. C’est le statut de l’enfant qui est en jeu. Qu’est-ce que ça implique d’affirmer que l’enfant est une personne ? Khalil Gibran dans son livre « Le prophète » y répond avec sagesse :

Et une femme qui tenait un bébé contre son sein dit, Parlez-nous des Enfants.

Et il dit :

Vos enfants ne sont pas vos enfants.

Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à la Vie.

Ils viennent à travers vous mais non de vous.

Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne sont pas à vous.

Vous pouvez leur donner votre amour, mais pas vos pensées.

Car ils ont leurs propres pensées.

Vous pouvez héberger leurs corps, mais pas leurs âmes.

Car leurs âmes résident dans la maison de demain que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves.

Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux, mais ne cherchez pas à les faire à votre image.

Car la vie ne marche pas à reculons, ni ne s'attarde avec hier.

Vous êtes les arcs desquels vos enfants sont propulsés, tels des flèches vivantes.

L'Archer vise la cible sur le chemin de l'Infini, et Il vous tend de Sa puissance afin que Ses flèches volent vite et loin.

Que la tension que vous donnez par la main de l'Archer vise la joie.

Car de même qu'Il aime la flèche qui vole, Il aime également l'arc qui est stable.

 


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