Le mariage pour tous, 10 ans plus tard

par Sylvain Rakotoarison
mardi 16 mai 2023

« Les personnes de tendance homosexuelle sont des enfants de Dieu, Dieu les aime, Dieu les accompagne. (…) Condamner une telle personne est un péché, criminaliser les personnes de tendance homosexuelle est une injustice. » (le pape François, le 5 février 2023).

Ce mercredi 17 mai 2023 marque le dixième anniversaire de la promulgation de la loi n°2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. En d'autres termes, le mariage pour tous était né. Le Président François Hollande a promulgué cette loi le jour même de sa validation par le Conseil Constitutionnel, le 17 mai 2013 (comme quoi, c'est très courant de promulguer une loi le même jour que sa validation constitutionnelle, j'écris cela à propos de la réforme des retraites dont la promulgation rapide a été ressentie comme une provocation par certains opposants ignorant les procédures constitutionnelles).

Entre 2013 et 2023, près de 70 000 mariages de personnes du même sexe ont été célébrés en France, soit environ 7 000 par an en moyenne (beaucoup plus en 2014, beaucoup moins en 2020), soit 3% du total des mariages célébrés.



À Paris, ils représentent un peu plus de 9% des mariages célébrés à Paris, dont les trois quarts pour des couples d'hommes et le quart restant pour des couples de femmes. La ville de Paris organise un bal populaire le mercredi 17 mai 2023 sur la place de l'Hôtel de Ville pour fêter ces dix ans.



Inutile de dire que si l'objet de cette loi continue à nourrir des oppositions, ces dernières sont de plus en plus faibles et aujourd'hui, aucun parti en capacité de gouverner la France (seul ou avec des alliances) ne propose sa remise en cause. De toute façon, qu'on fût pour, contre ou sans opinion (comme certains députés à l'époque), il était certain qu'une fois adoptée, cette loi ne pouvait plus être abrogée, ne serait-ce qu'en raison du principe sacro-saint de l'égalité entre les citoyens. En effet, comment interdire à l'avenir deux personnes de même sexe de s'unir par le mariage alors que d'autres, précédemment, l'ont déjà été ? Et que vaudraient les mariages déjà acquis ? Remis en cause (la rétroactivité des lois est une interdiction constitutionnelle formelle) ? Acceptés et dans ce cas, inégalité des citoyens.

Moi-même, j'étais mollement réticent à l'époque. Je ne considérais pas qu'il fallait y puiser toute son énergie pour s'y opposer, comme ce fut le cas de la Manif pour tous, car j'estimais (et estime toujours) qu'il y a des combats bien plus importants, celui par exemple pour s'opposer à l'euthanasie, mais aussi, même si c'est trop tard, s'opposer aux lois qui permettent désormais l'expérimentation sur des embryons humains (il faut reconnaître que cette question est très technique).

Je considérais simplement que le mariage était une institution sociale, la dernière qui fasse sens après l'effondrement de tant d'autres comme liant social (l'Église, l'armée, l'école, l'entreprise, etc.), et qu'elle représentait la famille, c'est-à-dire, dans le schéma traditionnel, une femme, un homme et, le cas échéant, des enfants, et que ce schéma avait ce nom de mariage. Je n'étais évidemment pas opposé à ce que les couples de personnes de même sexe fussent reconnus formellement ni qu'ils puissent avoir les même garanties tant fiscales que financières (succession, reprise de bail, etc.), et il est vrai qu'en cas de décès, le survivant n'était, avant le PACS, rien du tout face à la société, à l'État et surtout à la famille du disparu.

En revanche, je n'ai jamais eu de réticence sur l'adoption d'enfants par un couple de personnes de même sexe. Il existe mille situations familiales différentes et l'éducation et l'amour qu'on porte à un enfant ne dépendent, à mon sens, ni de son orientation sexuelle ni de son statut civil. Du reste, des personnes seules pouvaient déjà adopter un enfant, ce dernier n'avait donc pas de modèle d'une personne du sexe différent de l'adoptant, ce qui reste le cas désormais dans un couple homosexuel. De même, un enfant peut être malheureux dans le cadre très traditionnel d'une famille que j'oserais encore dire normale, c'est-à-dire un homme, une femme, des enfants, sans recomposition ni décomposition par les séparations et unions diverses et variées. Pour moi, ce qui compte le plus est d'une part, l'amour qu'on porte à l'enfant (et tout le monde peut aimer), d'autre part, dans tous les cas, y compris la GPA, la vérité à dire le plus tôt possible à l'enfant, dire son origine. Aimer et respecter.

Bien entendu, je suis opposé à la GPA parce qu'elle entraîne d'autres problèmes éthiques majeurs (la marchandisation du corps humain, l'exploitation des femmes les plus pauvres devenues mères porteuses et la séparation des bébés qui me paraît aller à l'encontre de l'intérêt de ces bébés), et pour la PMA, je reste mitigé : je n'y suis pas opposé dès lors que l'enfant est dans la possibilité de connaître son origine biologique, ce qui est désormais le cas (c'est la même loi qui autorisait l'expérimentation sans autorisation sur les embryons humains).




Sur le mariage pour tous, cela fait longtemps que je n'ai plus de réticence, déjà en raison de la loi (on est légaliste ou on ne l'est pas), ensuite parce que finalement, il n'induit pas une révolution sociale générale (au contraire de ce que prédisaient certaines alarmistes), c'est seulement la possibilité d'une formalisation d'un nombre très restreint de couples (quelques milliers par an). L'institution du mariage a résisté beaucoup plus difficilement aux assauts des lois sur le divorce, par exemple (que je ne remets toutefois pas en cause non plus).

Pour l'anecdote, on a souvent cité le mariage le 5 juin 2004 à Bègles par Noël Mamère (son député-maire) du premier couple homosexuel, mais il ne compte pas puisqu'il a été annulé le 27 juillet 2004 par le tribunal de grande instance de Bordeaux (définitivement le 13 mars 2007). En fait, le premier mariage homosexuel, paradoxalement, a été célébré bien avant la date de promulgation de la loi sur le mariage pour tous, le 4 juin 2011 à la mairie (prestigieuse) de Nancy, en Lorraine. En effet, Élise et Stéphanie se sont mariées et personne n'a eu rien à redire, pas même les juges ni l'État. D'ailleurs, l'adjoint au maire qui l'a célébré s'est bien gardé de prendre un seul risque en demandant préalablement l'autorisation du procureur de la République qui la lui a donnée. Stéphanie était alors une femme transsexuelle qui n'avait pas encore été reconnue par l'État comme une femme et selon l'état-civil, elle était un homme, ce qui ne posait pas de problème pour ce mariage qui n'avait rien d'une provocation.

Le dixième anniversaire du mariage pour tous est l'occasion aussi de se pencher non seulement sur les actes d'homophobie mais aussi de LGBTIphobie. SOS Homophobie publie chaque année (depuis 1996) un rapport (en horrible écriture inclusive) sur ces actes d'agression, mais basé principalement sur les témoignages (1 506 en 2022) que cette association recueille régulièrement de différentes manières (2013 avait été l'année record avec 3 517 témoignages, probablement en rapport avec la haine suscitée par le débat public sur la loi sur le mariage pour tous).

Le rapport est une chronique de la haine ordinaire. Il serait instructif de connaître d'ailleurs la part des agressions (petites ou grandes) homophobes et transphobes, j'aurais tendance à imaginer une diminution de l'homophobie au profit de la transphobie (les personnes transgenres sont plus visibles qu'auparavant), ce serait plutôt rassurant, car cela signifie une plus grande tolérance pour l'homosexualité mais moins pour les orientations ou identités sexuelles plus "particulières".



Ce rapport commence en fustigeant l'ancienne ministre Caroline Cayeux qui a eu un mot malheureux en parlant des personnes homosexuelles (« ces gens-là ») ainsi que le gouvernement en général, un peu excessivement en surinterprétant une simple maladresse de langage : « Qui aurait pu penser qu’en 2022, les personnes LGBTI seraient méprisées par une ministre en poste et une partie du gouvernement en place ? Caroline Cayeux a bien été poussée à démissionner, mais ce n’est cependant pas à cause de ses propos tenus sur Public Sénat, celle-ci disant avoir "beaucoup d’amis parmi ces gens-là". Ce n’est pas non plus à la suite d’une réaction du reste du gouvernement d’Élisabeth Borne, dont certains membres n’évoquaient là qu’une "erreur" après laquelle il aurait fallu "passer à autre chose". Passer à autre chose ? Impensable. Car lorsque la parole LGBTIphobe s’exprime librement et sans la moindre conséquence au plus haut niveau de l’État, elle légitime les comportements violents dans tout le reste de la société. "Ces gens-là" sont aujourd’hui toujours victimes d’agressions en raison de leur orientation sexuelle et amoureuse et/ou de leur identité de genre. ».

Plus justement, le rapport est dédié « à Lucas, qui a mis fin à ses jours en janvier 2023, après avoir été victime de haine LGBTIphobe et de harcèlement scolaire ». La haine tue alors qu'on peut croire que ces agressions quotidiennes sont des petits actes, certes lâches mais sans conséquences. Les nombreux témoignages du rapport sont édifiants et montrent qu'il y a encore du chemin à parcourir dans la tolérance : chacun a le droit de vivre comme il le pense, tant qu'il respecte les lois de la République.

Au cours d'une conférence de presse le 5 février 2023, lors de son vol vers le Soudan du Sud où il se rendait, le pape François a précisé sa "position" sur l'homosexualité ; aucune personne ne doit être rejetée. Il a expliqué : « Je me suis exprimé sur cette question lors de deux voyages : d’abord, en revenant du Brésil : si une personne de tendance homosexuelle est croyante et cherche Dieu, qui suis-je pour la juger ? C'est ce que j'ai dit lors de ce voyage. Ensuite, en revenant d'Irlande (…), j'ai dit là clairement aux parents : les enfants qui ont cette orientation ont le droit de rester à la maison, vous ne pouvez pas les chasser de la maison, ils ont le droit à cela. (…) La criminalisation de l'homosexualité est une question qu'il ne faut pas laisser passer. Le calcul est, plus ou moins, que cinquante pays, d'une manière ou d'une autre, conduit à cette criminalisation. Certains disent qu’il y en a plus, disons au moins cinquante. Et certains d'entre eux, je pense qu'ils sont dix, prévoient également la peine de mort, ouverte ou cachée, mais la peine de mort. Ce n'est pas juste, les personnes de tendance homosexuelle sont des enfants de Dieu, Dieu les aime, Dieu les accompagne. ». Ceux qui revendiquent leur foi chrétienne pour rejeter les personnes homosexuelles n'ont rien compris à l'Évangile et devraient revenir aux fondamentaux du christianisme : aime ton prochain comme toi-même !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 mai 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le mariage pour tous, 10 ans plus tard.
Rapport 2023 de SOS Homophobie (à télécharger).
Six ans plus tard.
Mariage lesbien à Nancy.
Mariage posthume, mariage "nécrophile" ? et pourquoi pas entre homosexuels ?
Mariage annulé : le scandaleux jugement en faveur de la virginité des jeunes mariées.
Ciel gris sur les mariages.
Les 20 ans du PACS.
Ces gens-là.
L’homosexualité, une maladie occidentale ?
Le coming out d’une star de la culture.
Transgenres adolescentes en Suède : la génération sacrifiée.
PMA : la levée de l’anonymat du donneur.
La PMA pour toutes les femmes.
L’avortement, hier et aujourd’hui.
Le fœtus est-il une personne à part entière ?


 


Lire l'article complet, et les commentaires