Nahel valait 1,6 million d’euros

par LATOUILLE
samedi 15 juillet 2023

Voilà, « Les 1,6 million d’euros ont quitté la plateforme. Les fonds récoltés pour la famille du policier ayant tiré sur le jeune Nahel, dans une cagnotte lancée fin juin et fermée mardi 4 juillet, « ont été retirés par la bénéficiaire », déclare au Parisien GoFundme, qui a hébergé la collecte. Au total, 1 635 680 euros ont été récoltés pour la femme de ce policier, mis en examen pour homicide volontaire. » (Mort de Nahel : la cagnotte d’1,6 million d’euros a été versée à la femme du policier mis en examen - Le Parisien).

Plaçons-nous au-delà du factuel : qui était Nahel, qui est ce policier, que dit la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique qui a étendue l’autorisation d’usage de leur arme par les policiers, pour tenter de poser un cadre d’analyse du sens qu’a cette cagnotte en faveur de la famille du policier qui, rappelons-le, n’est pas encore condamné.

La cagnotte a d’abord un sens symbolique fort : un policier peut tuer un adolescent de 17 ans et être financièrement récompensé pour cet acte avant même que la justice se soit prononcée sur une éventuelle culpabilité. Pour sûr cela sera de nature à réconcilier les gens, plus particulièrement les jeunes, des « quartiers » avec la police.

Ensuite cette cagnotte montre clairement ce que peuvent être les « gens de droite » qui l’ont lancée et ceux qui la soutiennent : des tenants d’une société mise sous tutelle de la police. Car à bien regarder un tel soutien à l’acte mortel du policier donne un blanc-seing à la police et remise la justice dans un statut de décoration pour vitrine. Imaginons que le policier soit condamné par un tribunal ; comment les tenants de la cagnotte interpréteront-ils cette condamnation sinon en l’opposant à cette espèce de parole populaire qui apporte un soutien sans faille au policier ? Si la cagnotte a atteint un tel niveau c’est que le peuple soutient le policier et que toute condamnation sera non seulement une erreur mais surtout un désaveu de la parole populaire.

Il s’ensuit que cette cagnotte, son lancement et son soutien, pose une question de morale qui se situe au-delà de la cagnotte. Est-il moral à travers elle d’approuver et de soutenir le fait de tuer un adolescent notamment lorsqu’on dispose de « l’autorité publique » ? La société des « gens de droite » et la Justice supportent, dans le silence assourdissant du gouvernement, ce qu’elles avaient refusé en 2019 : « Le Parisien avec AFP, Le 6 janvier 2021 à 17 h 41, modifié le 6 janvier 2021 à 20 h 30  : C'est un appel aux dons qui avait créé la polémique. Après les images chocs où l'on voyait Christophe Dettinger frapper des gendarmes lors de l'acte 8 des Gilets jaunes, une cagnotte avait été lancée pour soutenir l'homme, alors en garde à vue… Si elle a rapidement atteint les 145 000 euros, Christophe Dettinger, dit « Le Gitan de Massy », n'en verra pas la couleur. Ce mercredi, le tribunal a annulé la cagnotte Leetchi ouverte en janvier 2019 pour l'ex-boxeur. » Donc dans une quête morale, où on cherche à distinguer le bien du mal, il devient clair que quelques « marrons » sur le casque de gendarmes mobiles apparaissent plus graves que le fait de tuer un adolescent.

Quand bien même cet adolescent n’aurait pas été un ange, un parangon de vertu (ce qui à ce jour reste à prouver) est-ce qu’on peut ainsi, en toute morale, soutenir le fait de tuer, à bout portant ? On voit là se dessiner une drôle de morale civique : certains (plutôt les nantis financièrement ou investis de fonction) ont des droits supérieurs à ceux des plus pauvres (financièrement et/ou culturellement) de notre société. Mais, malheureusement la chose n’est pas nouvelle : « Selon que vous serez puissants ou misérables, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. Jean de La Fontaine, Les Animaux malades de la peste (1678). » L’inscription, tellement revendiquée par Emmanuel Macron, de la France dans la philosophie des Lumières où l’égalité devant le droit prime sur les privilèges de quelques-uns, est bafouée par cette cagnotte, au moins au moment où elle est lancée.

La cagnotte aurait été lancée après que le policier ait été condamné, l’aurait-elle rendue plus morale ? Je ne crois pas, c’est globalement le rapport de ces cagnottes à la question de la morale qui est posé, d’autant que dans le cas présent la cagnotte en faveur de la famille du policier qui atteint une somme faramineuse (environ 76 années de SMIC brut, soit 98 années de SMIC net), entraîne ou confirme une fracture importante dans la société en France. Mais on sait que celui qui a lancé cette cagnotte, et qui rêve de « nettoyer » le pays, n’est pas un parangon de vertu et qu’il n’est pas mu par un fort sens moral ; il en est de même pour les médias et les journalistes (en particulier CNew et BFM) pour qui morale et éthique n’appartiennent pas à leur dictionnaire et qui offrent souvent une tribune de choix à ce quidam, mais c’est l’exercice de la liberté d’expression sans doute. Toutefois, on aurait pu espérer que le président de la République ou au moins un ministre : la première d’entre eux, le garde des Sceaux, le ministre de l’Intérieur, prennent la parole pour se positionner (c’est-à-dire positionner le pays, la nation, le peuple à travers son représentant suprême) vis-à-vis de la possible amoralité de la cagnotte voire de son iniquité. Mais comment un gouvernement où tant de ministres, notamment les principaux d’entre eux, sont en délicatesse avec la Justice pourrait porter un discours sur la morale d’une action ? Or une nation qui se départit, comme jamais avant ces sept dernières années, de tout sens moral dans la conduite des affaires publiques est une nation qui se « décivilise ».


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